Grâce à Tamam, artistes et comédiens libanais, syriens, égyptiens et tunisiens ont planté leurs décors en Avignon, pendant le festival. La révolution, c’était la thématique incontournable pour cette édition 2011.
Maya, Omar, Ahmad, Mohammad, Nora, Ramez, Alia, Haïfa, Mouneem, Hatem, Walid et Walid, «autant de marraines et de parrains qui ont offert leur belle énergie humaine et artistique pour lancer cette aventure culturelle», souligne Aline Gemayel, présidente de Tamam et organisatrice de cette manifestation.
Grande diversité de pièces présentées
Quatre pièces se sont succédé du 8 au 28 juillet : La boîte à musique (Liban), La révolution de demain reportée à hier (Syrie), Les peut-être(s) d’une révolution (Égypte) et Courts-théâtres pour une révolution (Tunisie). Diversité de pièces, diversité de provenance, diversité de points de vue et de vécus, mais également diversité de lieux de représentation. Tamam était en partenariat avec cinq lieux avignonnais – Maison pour tous de Champfleury, théâtre de l’Entrepôt, Centre européen de poésie d’Avignon, Espace social et culturel de la Croix des oiseaux, bureau de la compagnie Mises en scène – qui ont accueilli le printemps arabe en festival.
Outre les lieux partenaires, Tamam a bénéficié de soutiens français au niveau du département, de la région et du ministère de la Culture ; les ambassades de France n’ont pas été en reste. Enfin, quelques mécènes privés ont permis de boucler le budget.
Maya Zbib était venue du Liban présenter La boîte à musique. D’aucuns se sont étonnés de la présence d’une pièce libanaise à cette plateforme alors que la révolution n’a pas encore atteint les rives du pays du Cèdre. «Maya Zbib, avec son travail, son approche artistique et humaine, s’inscrit tout à fait dans une dynamique de révolution», répond Aline Gemayel dans L’Agenda culturel de juillet. La pièce de Maya Zbib a été présentée dans 5 lieux différents, théâtres bien établis, mais également maisons de quartier, ou encore centre de poésie. Zbib avait présenté ce texte, tissé de témoignages de femmes et d’imaginaire, en arabe, à Beyrouth en 2008. Pour Avignon, elle l’a interprété en français – traduction de Omar Abi Azar –, un défi qu’elle a relevé avec brio !
La révolution de demain reportée à hier, de et avec les jeunes frères jumeaux Ahmad et Mohammad Malas, a connu un véritable succès auprès de la presse, actualité oblige. Ils ont même fait la une d’un des quotidiens locaux, le Vaucluse Matin, avec ce titre, pour le moins racoleur, «Du festival d’Avignon à la prison en Syrie?».
Le sujet qu’ils abordent, dans leur théâtre de chambre: l’interrogatoire d’un jeune manifestant par un officier. Confrontation entre l’homme de l’autorité et l’homme de la rue; l’un se transformant en l’autre, pour porter au bout du compte la même revendication: le pays a besoin de réformes en profondeur.
L’humour des frères Malas est ancré dans la réalité syrienne... Leurs dialogues sont impertinents, incisifs, drôles. Impertinentes leurs réponses à la presse également: à la question de savoir ce qu’ils attendent de l’Occident, ils répondent spontanément dans un grand rire: «Nous n’avons pas besoin de l’Occident. Les seuls en qui nous avons confiance et dont nous avons besoin sont Molière et Shakespear!»
Les peut-être(s) d’une révolution ce sont les incertitudes qui taraudent Nora Amine, accompagnée du musicien Ramez Ashraf, face aux bouleversements que connaît l’Égypte. Décrivant les premiers jours de la révolution égyptienne, elle extrapole sur les différents scénarios du développement de cette révolution, entre les forces demandant vengeance, celles demandant justice, et celles encore choquées par les événements... Entre expression physique, musique, interprétation et texte, Nora Amine passe un message très virulent, qu’elle porte d’Alexandrie au Danemark, jusqu’en Avignon: tout est encore possible, le meilleur, mais surtout le pire. À l’instar de Haïfa Bouattour, artiste tunisienne présente également sur cette plateforme avignonnaise, elle martèle que le départ d’un dictateur ne suffit pas, «il faut rompre avec la passivité des citoyens encouragée par les politiciens».
Côté tunisien, enfin, quatre jeunes artistes ont présenté 4 courts-théâtres, concept original, sorte d’exercice de style (5 à 10 minutes chacun maximum), présenté dans le cadre de plusieurs soirées organisées par «El-Théatro» de Tunis fin avril. Quatre petites formes en arabe surtitré en français, utilisant qui la musique, qui le texte, qui le langage des signes, pour donner un instantané, une réaction à chaud, sur un vécu révolutionnaire. Avec al-Thawra, Alia Sellami, de sa voix de soprano, a fait écho à la révolution, qu’elle a ressentie dans sa chair à travers bruits, chants, comptines ou injonctions diverses. Avec Révolution, le slameur Hatem Karoui a écrit et joué une parodie de discours politique autour de la «révolution de la vache sur le taureau»! Abdelmonaam Chaouyet, sensible à la mise à l’écart des handicapés – notamment des sourds-muets – surtout en temps de révolution, a présenté une Antigone en langage des signes, hommage à la femme tunisienne en révolte face à l’autorité. Quant à Haïfa Bouattour, médecin fraîchement diplômée, elle s’est intéressée au K.-O. intellectuel dans lequel est plongée la jeunesse de son pays, à travers une critique acerbe de la dépendance aux feuilletons télé qu’elle compare à une drogue.
Un puzzle fait de pièces complètement indépendantes les unes des autres, mais toutes portant réflexion sur un moment fort de l’histoire immédiate de la Tunisie.
Le festival Off, une machine commerciale impressionnante !
D’édition en édition, le festival Off d’Avignon ne fait que croître et se développer. Le cru 2011 qui s’est tenu du 8 au 31 juillet a encore battu des records: 969 compagnies y ont présenté plus de 1143 spectacles, totalisant plus de 26000 représentations! Une progression impressionnante, jugez-en plutôt: 500 compagnies étaient présentes en 2004, 700 en 2007. Le festival Off d’Avignon est aujourd’hui le passage incontournable du spectacle vivant en Europe. Un fabuleux marché que fréquentent programmateurs, responsables de théâtres, décideurs culturels de toute sorte. Quelque 1400 «professionnels» se sont inscrits cette année auprès de AF&C, l’association coordinatrice du festival Off. «25% des spectacles qui jouent en France sur une année sont achetés au Off», révèle une récente enquête.
La programmation Tamam a été une goutte d’eau dans ce vaste océan de la création théâtrale, et de sa diffusion. La fréquentation en termes de public des pièces Tamam «n’a pas été à la hauteur de l’attente: quelque 260 spectateurs pour les 20 représentations, soit une moyenne de 13 spectateurs par représentation», regrette Aline Gemayel. Pour la présidente, l’organisation de Tamam a souffert de deux handicaps: un déficit de publicité et un lieu de représentation, le principal étant trop excentré. «Nous en tirerons bonne leçon pour l’édition 2012», assure-t-elle. «Ne boudons pas notre plaisir pour cette année, ajoute-t-elle, nous ne sommes pas peu fiers d’avoir posé cette première pierre.» Tamam a eu quand même le plaisir d’accueillir 4 professionnels et d’en intéresser plus d’un. Prochaine étape: développer la diffusion des pièces invitées au festival d’Avignon, en espérant les «vendre» auprès des théâtres et des festivals de France et d’Europe. «Et dans l’idéal?» s’interroge Aline Gemayel, «avoir notre propre lieu pour 2012, un lieu bien situé, avec une bonne visibilité pour les cultures et les œuvres présentées».
C.M.Z.