Ce n’est pas un temps confiné au printemps. C’est un temps étendu à l’infini dont les battements résonnent à travers les villes et les déserts de l’Orient.
C’est le temps où les opprimés se révoltent contre les oppresseurs, le temps de la dénonciation d’une soumission humiliante qui a duré de trop nombreuses années, le temps où enfin des milliers de bouches acclament la liberté, l’égalité, la justice, la démocratie, sauvagement, follement.
C’est le temps où le déboulonnement des tyrans par le peuple devient une réalité, où l’on se prend à croire qu’enfin un citoyen ose espérer tenir dans son poing la possibilité de peser sur l’avenir de son pays.
C’est le temps de croire, d’espérer que ce ne sont pas seulement des masses qui se soulèvent pour réclamer leur droit à une vie digne et plus heureuse mais aussi l’individu qui cherche à se dégager des chaînes de la servitude, de toutes sortes de servitudes qui bâillonnent ses élans, paralysent ses désirs.
C’est le temps des utopies qui redeviennent aussi indispensables que l’oxygène pour rêver à une vie qui vaudrait la peine d’être vécue.
Mais pourquoi devons-nous au Liban vivre ces espoirs fous par vicariance, à travers les révoltes des autres, proches ou lointains ? Pourquoi devons-nous nous contenter d’une révolte avortée ? Pourquoi devons-nous supporter des individus qui nous recommandent de nous soumettre à la tyrannie sous prétexte que notre vie dépend de la muselière que nous acceptons nous-même de nous visser ? Fermer sa gueule n’a jamais conduit qu’à encore plus d’asservissement. Faut-il comprendre les conseils de ces personnages comme l’expression de la complicité universelle des tyrans ? Le silence des agneaux indispensable à la pérennité de leur pouvoir ? Ce serait sans doute cela le désespoir total.
Pourquoi, au Liban, des voix ne hurlent pas que la meilleure protection d’un citoyen n’existe, quelle que soit sa confession ou son appartenance politique, que lorsqu’il prend lui-même son destin en main et qu’il ne peut compter que sur les autres, ses semblables, qui ont eux aussi compris que leur salut ne peut venir que de l’union de leur force critique des dérives, vigilante contre toute tentative de musellement et libérée de la servilité ?