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À La Une - Éclairage

Les répercussions du « printemps arabe » n’ont pas encore touché Israël

Le gouvernement israélien a très mal perçu les révoltes populaires arabes qui n’ont toutefois pas eu un impact énorme sur l’État hébreu. Seule une troisième intifada pourrait changer la donne, explique Paul Salem, directeur du Centre Carnegie pour le Moyen-Orient à Beyrouth.

Des manifestants égyptiens brûlent le drapeau de l’État hébreu devant l’ambassade israélienne, au Caire.                     Mohamed Hossam/AFP

Israël ressemble aujourd’hui à un navire en pleine mer, balayé par une violente tempête. En effet, l’État hébreu paraît isolé de toutes parts. Non seulement la communauté internationale s’apprête à reconnaître un État palestinien à l’ONU, mais les relations avec la Turquie se détériorent de jour en jour. De plus, le printemps arabe qui secoue la région du Moyen-Orient risque de balayer les derniers alliés d’Israël, qui se sent ainsi de plus en plus menacé.
Avec la chute du président égyptien Hosni Moubarak, la contestation qui secoue la Jordanie et les troubles en Syrie, le statu quo qui prévalait depuis les accords de Camp David en 1978 semble ébranlé.
Pour Paul Salem, directeur du Centre Carnegie pour le Moyen-Orient à Beyrouth, «les fondements des relations entre Israël et les régimes arabes étaient les accords de Camp David qui ont fait perdre au front de confrontation contre l’État hébreu l’un de ses plus importants piliers, l’Égypte». Depuis, explique-t-il, Le Caire s’est activement investi dans le processus de paix, entraînant, après la première guerre contre Saddam Hussein, la Jordanie qui était dans une situation délicate. «Ces deux pays, avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ont formé récemment l’axe modéré face à Israël», ajoute-t-il.
Cet axe est divisé en deux groupes. D’abord, l’Égypte et la Jordanie qui attachent beaucoup d’importance à l’aide américaine et au soutien occidental. Et l’accord de paix avec Israël a été un fondement essentiel de cette conjoncture. Par contre, la politique des pays du Golfe est poussée par la menace iranienne, surtout après la seconde guerre contre Saddam Hussein.
«Dans ce contexte, la situation d’Israël était relativement confortable, surtout que les poids lourds de la région, comme l’Égypte et l’Arabie saoudite, ne constituaient pas une menace directe à sa sécurité. Sans oublier les bonnes relations qu’entretenait Israël avec la Turquie avant la guerre de Gaza», affirme Paul Salem.
La situation avec le régime syrien était également acceptable, malgré des hauts et des bas, surtout que le front du Golan, occupé par Israël depuis 1967, a toujours été calme. «Durant toute la période entre les deux guerres avec l’Irak, une détente notoire planait entre les deux pays. Même le soutien syrien au Hezbollah était dicté par une limite déterminée que Damas n’a jamais franchie. L’invasion américaine de l’Irak, la montée en puissance de l’Iran, les pressions américaines survenues avant et après l’assassinat de Rafic Hariri ainsi que la guerre de 2006 au Liban ont fini par rehausser considérablement la tension à la frontière nord israélienne», explique M. Salem.

Israël, éternel bouc émissaire
Or, malgré une relative accalmie sur les plans militaire et diplomatique, Israël a toujours constitué un bouc émissaire parfait pour les différents pays arabes, qui ont toujours accusé l’État hébreu de tous leurs problèmes et leurs échecs. L’une des parades utilisées par les régimes autoritaires pour sévir contre leur population est le danger d’instabilité et d’insécurité dont Israël – et, plus récemment, le terrorisme – était, selon eux, la source.
C’est ainsi que la Syrie a, pendant longtemps, justifié le maintien de l’état d’urgence pour réprimer toute opposition, au nom de la lutte contre Israël.
À défaut d’une légitimité populaire sur le plan interne, la guerre contre «l’ennemi sioniste» a été le support extérieur idéal pour légitimer les partis au pouvoir.
Toutefois, même parmi les pays qui ont signé la paix avec Israël, «une large partie de leur opinion publique a refusé toute sorte de normalisation avec les Israéliens, à l’instar des mouvements islamistes, mais aussi nationalistes et de gauche, surtout dans les conditions où ils ont été signés», affirme Paul Salem.
C’est notamment le cas en Jordanie et en Égypte. Les Frères musulmans, principale force d’opposition dans ces pays, manifestaient régulièrement contre les accords de paix signés avec Israël. Les protestataires ne manquaient aucune occasion pour descendre dans la rue et apporter leur soutien à la cause palestinienne.
Là aussi, Israël a été utilisé comme un moyen de pression par l’opposition contre les régimes autoritaires qui interdisaient généralement les manifestations. Du Maroc à l’Arabie saoudite, en passant bien sûr par la Tunisie, l’Égypte et la Jordanie, l’opposition défiait le pouvoir en descendant massivement dans la rue, scandant des slogans hostiles à l’État hébreu et à tous ceux qui collaborent avec lui, dans une allusion claire aux dirigeants qui ont signé la paix.
À défaut de permettre les manifestations contre la corruption endémique, les arrestations arbitraires et les violations des droits de l’homme, les régimes arabes ont laissé faire, estimant que ces rassemblements constituent une soupape suffisante pour la population.
«Il est vrai que les manifestations à grande échelle qui se produisaient dans certains pays étaient contre Israël, mais pas uniquement. En Égypte et en Tunisie notamment, les manifestations à caractère social organisées par les syndicats étaient nombreuses. La révolte qui a eu lieu cette année n’est pas en fin de compte venue de rien», estime néanmoins Paul Salem.

Surenchère entre pouvoir et opposition
En tout état de cause, une surenchère s’est installée dans plusieurs pays entre le pouvoir et l’opposition autour du conflit israélo-palestinien. Il faut dire qu’Israël ne rate aucune occasion pour se faire détester par les Arabes. Les différents gouvernements israéliens sont devenus des champions dans l’art de créer des situations condamnables: humiliation quotidienne des Palestiniens sur les barrages israéliens en Cisjordanie, blocus de Gaza, guerre contre le Hamas dans ce territoire, attaque contre la flottille turque, etc.
Le silence complice des régimes arabes, accusés de traîtrise et de corruption, a ainsi largement contribué à la frustration de la rue qui se sentait humiliée par l’inaction des autorités face à cette injustice subie par les frères palestiniens.

Un changement redouté
Or, depuis le début de l’année, les révoltes populaires frappent, l’une après l’autre, les régimes arbitraires du monde arabe, balayant plusieurs dirigeants et menaçant sérieusement plusieurs autres, dont la chute n’est qu’une question de temps.
Israël n’a vu aucun signe positif dans ces révoltes. Au lieu de se réjouir de l’avènement de mouvements démocratiques, l’État hébreu, qui se considère comme un pays démocratique, n’y a vu que le danger et l’animosité.
«Entre crainte et angoisse, les Israéliens ont très mal perçu le printemps arabe. Ils considèrent en effet qu’ils ont perdu des alliés sûrs», estime ainsi Paul Salem.
Selon lui, Hosni Moubarak en personne et les services de renseignements égyptiens «étaient en excellents termes avec les Israéliens, lesquels affirmaient publiquement que l’ancien président égyptien était un allié stratégique sur lequel ils pouvaient compter».
Idem pour le président Bachar el-Assad, considéré par la presse israélienne comme le «meilleur ennemi d’Israël». «Il est évident au début de la contestation populaire en Syrie que les milieux israéliens préféraient le statu quo à un changement qui pourrait aboutir au chaos ou à la montée en puissance des islamistes. Même aux États-Unis, le lobby israélien œuvrait contre toute pression contre le régime syrien. L’expérience avec le régime Assad est relativement réconfortante», explique Paul Salem, avant d’ajouter: «Même jusqu’à présent, il n y a pas une position claire israélienne contre le régime d’Assad comme c’est le cas des Turcs, des Européens et des Américains. On a l’impression qu’Israël a peur de la chute du régime, qui profiterait à l’Iran ou à d’autres mouvements armés radicaux. Ils sont donc toujours dans l’expectative.»
Selon lui, Israël considère que la région entre, au mieux, dans une période d’incertitude ou, au pire, dans une nouvelle ère islamiste. «Certains y voient une politique proche de l’Iran, alors que d’autres y voient un parallélisme avec la Turquie. Deux visions pour le moins pas trop encourageantes pour Israël», ajoute-t-il.
Une position aux antipodes de la position des Américains et des Européens. Bien que surpris et embarrassés au début, ces derniers ont toutefois accueilli la «démocratisation» de la région d’une façon plus mûre, encouragés notamment par le développement des valeurs de démocratie et de liberté.
Obnubilés tous par la menace sécuritaire, les dirigeants israéliens n’ont pas de vision de paix globale pour la région.
Paul Salem explique l’attitude israélienne par «l’histoire ancienne et contemporaine du peuple juif et hébraïque, fondée sur une vision dramatique du monde, en commençant par leur fuite d’Égypte jusqu’à l’Holocauste perpétré par Hitler, en passant par les persécutions romaines. Sans oublier la situation actuelle dans laquelle ils se sont placés, à savoir leur conflit avec les Palestiniens».
Mais, d’après lui, «ils ont peut-être raison de se sentir paranoïaques puisqu’ils se sont mis dans une situation où ils sont effectivement haïs, d’abord par les Palestiniens, ensuite par l’ensemble du monde arabo-musulman».
Dans tous les cas, même en Israël, plusieurs voix se sont élevées contre la réaction négative du gouvernement face aux révolutions arabes,
affirme M. Salem.

Premiers signes palpables
La crainte israélienne du changement ne s’est pas fait attendre. Suivant l’exemple turc qui vient d’expulser l’ambassadeur israélien d’Ankara et de suspendre les accords militaires avec l’armée israélienne, face au refus du gouvernement Netanyahu de s’excuser après le raid qui a coûté la vie à neuf Turcs en 2010, les Égyptiens ont violemment manifesté récemment devant l’ambassade israélienne au Caire pour exiger sa fermeture, suite à la mort de cinq gardes égyptiens par des tirs israéliens au Sinaï. Des manifestations identiques ont eu lieu à Amman pour exiger l’abrogation du traité de paix liant les deux pays.
Parallèlement à la colère populaire, des premiers signes de changements concrets sont déjà palpables du côté des nouvelles autorités égyptiennes. Ainsi, le pouvoir en Égypte devient plus intransigeant face aux Israéliens: ouverture vers Gaza, rediscussions des prix du gaz acheté par Israël, parrainage d’un accord de conciliation interpalestinien... Toutefois, le pouvoir transitoire actuel, dirigé par l’armée, affirme, jusqu’à présent, son attachement aux accords de paix, tout en refusant dorénavant tout fléchissement face aux Israéliens et aux Américains. «La position égyptienne se rapproche de plus en plus de la position turque qui, sans être en état de guerre, est très critique de la politique israélienne», explique ainsi Paul Salem. Malgré cela, toute confrontation ne devrait pas dépasser la sphère diplomatique. «Il faut se rappeler que l’Égypte a plus besoin des États-Unis que la Turquie. La marge de manœuvre de pays comme l’Égypte ou la Jordanie est très restreinte», ajoute-t-il. Sachant que la majeure partie des pays en mutation aujourd’hui reste tributaire du soutien financier accordé par les pays occidentaux. Ces pays croulent sous le poids de la pauvreté, du chômage et de la récession. Sauf coup de folie, aucun régime ne peut se permettre d’entrer dans un conflit armé avec Israël, même si les islamistes arrivent au pouvoir.
Selon le directeur du Centre Carnegie pour le Proche-Orient, les Frères musulmans en Égypte pourront avoir un bon score dans les prochaines élections législatives. Et probablement qu’ils ne présenteront pas de candidat à la présidentielle. Or, comme en Égypte le système est présidentiel, l’identité du chef de l’État est essentielle. Le candidat élu devra avoir donc l’aval de l’armée et des Frères musulmans. Ces derniers se contenteront probablement des postes de politique intérieure (éducation, santé, etc.), sans exiger les portefeuilles des Affaires étrangères ou de la Défense puisqu’ils sont conscients des problèmes que le pays devra affronter au niveau international.
Même avec ce positionnement minimaliste, puisque des élections n’ont pas encore eu lieu, et le poids des Frères musulmans sur la politique extérieure de l’Égypte qui ne s’est fait pas encore sentir, les Israéliens sont déjà déconcertés.
«C’est un grand changement pour l’État hébreu», estime M. Salem. Selon plusieurs observateurs et analystes, l’armée israélienne n’avait plus depuis longtemps des plans de défense militaires concernant ses frontières avec l’Égypte. Or, avec la nouvelle donne, cette politique devrait changer et des scénarios seront probablement établis puisque ces frontières ne sont plus tout à faire sûres. Ce qui peut être un poids financier et logistique supplémentaire pour l’armée israélienne, explique le directeur du Centre Carnegie à Beyrouth.

Les mêmes erreurs
Les dirigeants israéliens ont commis la même erreur que les régimes autoritaires du Proche-Orient, explique par ailleurs Paul Salem. «Ils ont considéré qu’avec l’appui des Occidentaux et par la force militaire, ils pourront réprimer en toute impunité. Qu’ils pourront commettre éternellement des injustices sans être inquiétés.» C’était, selon lui, le calcul de Moubarak et Assad, mais également des Israéliens après les accords de Camp David. «Ils ont ainsi instauré une conjoncture injuste avec les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, mais aussi avec des régimes arabes autoritaires. Il s’est avéré que cette situation ne peut pas durer éternellement et que toute injustice aura une fin», ajoute-t-il
Pour Paul Salem, «les répercussions des révoltes arabes n’ont pas encore touché Israël parce que les Palestiniens n’ont pas encore entamé leur printemps à eux».
Un éventuel veto américain au Conseil de sécurité face à la demande palestinienne de la reconnaissance de leur État, combiné à un durcissement continuel de la position israélienne, pourrait déclencher une révolte palestinienne.
«À l’instar des régimes arabes qui ont été déracinés grâce aux révoltes populaires, l’occupation et le blocus israéliens ne pourront être vaincus que par une troisième intifada et une confrontation entre les Palestiniens et les Israéliens», prédit-il, estimant que «l’État hébreu est semblable aux régimes arabes, tout changement de sa part ne venant que sous pression».
Israël ressemble aujourd’hui à un navire en pleine mer, balayé par une violente tempête. En effet, l’État hébreu paraît isolé de toutes parts. Non seulement la communauté internationale s’apprête à reconnaître un État palestinien à l’ONU, mais les relations avec la Turquie se détériorent de jour en jour. De plus, le printemps arabe qui secoue la région du Moyen-Orient risque de balayer les derniers alliés d’Israël, qui se sent ainsi de plus en plus menacé.Avec la chute du président égyptien Hosni Moubarak, la contestation qui secoue la Jordanie et les troubles en Syrie, le statu quo qui prévalait depuis les accords de Camp David en 1978 semble ébranlé.Pour Paul Salem, directeur du Centre Carnegie pour le Moyen-Orient à Beyrouth, «les fondements des relations entre Israël et les régimes arabes...
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