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Moyen Orient et Monde - Le billet

Les Seychelles, Heimlich et la cacahuète

Accoudé au bar, il regardait la mer. Elle était bleu turquoise. Il avait passé l’après-midi à barboter avec un tuba en bouche et portait encore, imprimée sur son visage, la marque du masque, et sur sa rétine, la flamboyance des poissons. Les poissons, il les avait vus de loin. Il avait lu quelque part que plus un animal est coloré, plus il risque d’être dangereux.
Il but une gorgée de son cocktail. Ah... Il se sentait bien, là. Était-ce cela, la détente ?
En fait, son médecin avait dit vrai.
« Vous avez besoin de partir loin et dans un pays tranquille. Des vacances, du farniente total », lui avait dit le docteur Robert lors de son dernier check-up trimestriel. Sur le moment, il en avait été irrité. Des vacances ! Oh, le casse-tête de l’organisation, le stress de la planification, l’angoisse de l’inconnu !
« Vous n’auriez pas des cachets plutôt ? » avait-il tenté.
« Non, ce sont de vacances dont vous avez besoin. Les Seychelles, voilà ce que je vous prescris, rien d’autre. »
« Les Seychelles ? Mais c’est une destination à vaccin ça ! »
« Oui. Mais vous êtes certainement déjà vacciné. Je vous rappelle, cher Monsieur, que j’ai accepté de vous piquer contre la fièvre jaune avant votre voyage d’affaires pour Chypre ! »
Il s’était dit qu’il était temps de changer de médecin.
Arrivé chez lui, il avait immédiatement sorti son dossier médical, l’avait actualisé, en grommelant, avec les commentaires du docteur, puis s’était mis à « googeler » : « Seychelles + précautions + santé ».
La liste des recommandations et avertissements s’était déroulée, longue comme un bilan sanguin.
Vaccins recommandés : Hépatites virales A et B, Tétanos, Diphtérie, Poliomyélite, Typhoïde...
Liste des maladies possibles : Leptospirose (en eau douce), Ankylostomiase et anguillulose (pieds nus), Dengue (moustiques), Filariose lymphatique (moustiques), Poliomyélite, Diarrhée du voyageur, Salmonellose, Shigellose...
De ses doigts moites, il avait alors « googelé » : « Seychelles + requins », « Seychelles + tsunami », « Seychelles + criminalité », « Seychelles + UV »...
Sa vision s’était embuée. Le souffle court et le genou mou, il avait violemment refermé le capot de son ordinateur portable, avant de se traîner vers la salle de bains où, à l’aide de son kit Omron 705, il avait pris sa tension.
Assis à même son tapis bleu ciel antidérapant, il avait, à force de profondes inspirations, réussi à se calmer. De retour dans le salon, il avait décidé que tant qu’à faire, autant se débarrasser le plus rapidement possible de cette corvée. Il avait rouvert son ordinateur, réservé un vol relativement cher (il avait trop peur des low cost), et réservé un hôtel 4 étoiles. Il avait coché toutes les options : assurance santé, assurance annulation voyage, assurance rapatriement, et payé avec sa carte Visa qui lui offrait les mêmes assurances.
Fatigué, il avait dressé la liste des choses qu’il lui restait à faire avant de partir : « Vérifier assurance incendie, assurance vol, assurance dégât des eaux. Vérifier abonnement avec l’agence de sécurité pour appartement. Tester arrosage automatique du ficus. Donner double des clés au voisin de droite. Prévenir maman. »
Une semaine plus tard, il montait dans sa Volkswagen. Il était arrivé à l’aéroport 3 heures avant le décollage. Dans son bagage à main, il avait fourré de quoi survivre une semaine si sa valise était perdue.
Les premiers jours, aux Seychelles, il avait passé la majeure partie de son temps dans son bungalow. Rapport au mélanome. Puis il s’était ennuyé, et détendu.
Et voilà qu’il se retrouvait au bar, avec son cocktail. À 16h. En jouant avec le petit parasol en papier coloré qui reposait sur le rebord de son verre, il sourit. Jamais il ne se serait cru capable de boire une boisson à base de fruits frais sous le 45e parallèle nord. Il avait tout de même refusé les glaçons.
Sur le bar, traînait une coupelle de cacahuètes. Il la regarda du coin de l’œil, hésita, puis y plongea sa main. Avec une nonchalance qui le surprit, il s’envoya une poignée de cacahuètes dans le gosier.
L’une d’entre elles resta coincée.
Il lança un regard désespéré au barman, aux autres clients. Dans un souffle lourd, il chuinta : « Heimlich maneuver, Heimlich maneuver... »
Lui savait la faire. Les autres pas.
Accoudé au bar, il regardait la mer. Elle était bleu turquoise. Il avait passé l’après-midi à barboter avec un tuba en bouche et portait encore, imprimée sur son visage, la marque du masque, et sur sa rétine, la flamboyance des poissons. Les poissons, il les avait vus de loin. Il avait lu quelque part que plus un animal est coloré, plus il risque d’être dangereux.Il but une gorgée de son cocktail. Ah... Il se sentait bien, là. Était-ce cela, la détente ?En fait, son médecin avait dit vrai.« Vous avez besoin de partir loin et dans un pays tranquille. Des vacances, du farniente total », lui avait dit le docteur Robert lors de son dernier check-up trimestriel. Sur le moment, il en avait été irrité. Des vacances ! Oh, le casse-tête de l’organisation, le stress de la planification, l’angoisse de l’inconnu...
commentaires (1)

Bonjour Mme Sueur :) J'avoue que me faire sourire de bon matin relève du génie. Alors je vous dis chapeau. Je découvre aujourd'hui en vous un nouveau talent. Outre le cynisme et les messages bien placés entre les lignes de vos billets précédents, vous m'avez donnée le plaisir de découvrir votre sens de l'humour si subtil. Rafraîchissant, votre texte nous donne envie de partir en fait. De nous détendre. Mais aussi, pour les gens qui souffrent de la même angoisse maladive de Monsieur qui se détend aux Seychelles (dont moi), d'apprendre à se laisser aller. A juste savourer les instants de pur bonheur sans se soucier de ce qui pourrait arriver ou pas. Oui, partir en vacances s'avère être, de nos jours, une source supplémentaire de stress, mais apprivoiser la tendance à exagérer pour savoir profiter de la vie est plus que nécessaire, je dirai même vital. Enfin, bref. Je me suis retrouvée dans ce caractère mais bizarrement, cela m'a fait sourire. Et encore une fois, me faire sourire le matin, ce n'est pas du tout évident :) A la semaine prochaine et merci.

Rita Akkari

02 h 46, le 16 septembre 2011

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Commentaires (1)

  • Bonjour Mme Sueur :) J'avoue que me faire sourire de bon matin relève du génie. Alors je vous dis chapeau. Je découvre aujourd'hui en vous un nouveau talent. Outre le cynisme et les messages bien placés entre les lignes de vos billets précédents, vous m'avez donnée le plaisir de découvrir votre sens de l'humour si subtil. Rafraîchissant, votre texte nous donne envie de partir en fait. De nous détendre. Mais aussi, pour les gens qui souffrent de la même angoisse maladive de Monsieur qui se détend aux Seychelles (dont moi), d'apprendre à se laisser aller. A juste savourer les instants de pur bonheur sans se soucier de ce qui pourrait arriver ou pas. Oui, partir en vacances s'avère être, de nos jours, une source supplémentaire de stress, mais apprivoiser la tendance à exagérer pour savoir profiter de la vie est plus que nécessaire, je dirai même vital. Enfin, bref. Je me suis retrouvée dans ce caractère mais bizarrement, cela m'a fait sourire. Et encore une fois, me faire sourire le matin, ce n'est pas du tout évident :) A la semaine prochaine et merci.

    Rita Akkari

    02 h 46, le 16 septembre 2011

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