Pris de court, comme les Français, les Américains ont condamné sans ambages, par le truchement d’un cadre ministériel, les propos de Mgr Raï en faveur du régime syrien, qu’ils sanctionnent, et de l’armement du Hezbollah qu’ils qualifient de terroriste. Il se peut dès lors que le patriarche, qui doit se rendre en tournée pastorale en Amérique du Nord, en visitant Washington, n’y soit pas reçu par les autorités, comme d’usage.
Localement, l’opposition juge que le patriarche tourne brusquement le dos aux constantes nationales que Bkerké a toujours défendues. Il s’inscrit contre la ligne libaniste, pour laquelle son prédécesseur, Mgr Sfeir, s’est battu. Luttant pour l’État de droit souverain, indépendant, maître du territoire et des armes, dispensateur de la loi. Neutre dans les conflits entre les axes. Et de se demander si, devant le tollé, l’intéressé va se raviser. Ou si, au contraire, il compte engager une nouvelle politique, contraire à l’opinion de la majorité de ses ouailles, voire des Libanais dans leur ensemble.
Les souverainistes en restent sidérés. Le patriarche Raï a dit « le pauvre » au sujet de Bachar el-Assad ! En lui décernant un satisfecit marqué pour ses études en Occident, sa modernité, pour ses propositions de réforme, et en insistant pour qu’on lui laisse une chance pour les mener à bien. Et la répression ? Le prélat ne l’évoque pas directement, mais il dédouane le chef de l’État syrien en rappelant le poids décisionnel du Baas, façon d’indiquer qu’Assad est ligoté.
Ne s’en tenant pas là, le patriarche a exprimé la crainte qu’un changement en Syrie ne mette au pouvoir les Frères musulmans, la quintessence du sunnisme pur et dur. Car à son avis, à ce moment-là, ce seraient les chrétiens qui en paieraient le prix, comme cela s’est produit en Irak, selon lui. Ajoutant que chrétiens et musulmans vivent au Liban en toute égalité, sur tous les plans, mais qu’un pouvoir sunnite qui s’établirait en Syrie s’allierait avec ses coreligionnaires chez nous. Ce qui provoquerait la pire des tensions entre eux et les chiites.
Rappel
Mgr Raï a cependant souligné ensuite que « nous rejetons la violence. En Orient, nous ne pouvons pas transformer facilement les dictatures en démocraties. Les problèmes de l’Orient doivent être résolus en respectant la mentalité de la contrée ».
Il a, comme on sait, estimé que l’armement du Hezbollah reste légitime tant qu’Israël occupe des terres libanaises et tant qu’il y a ici des Palestiniens armés, dans l’attente de leur retour dans leur pays.
On sait aussi qu’à son retour de Paris, le patriarche a avancé que ses propos avaient été tirés de leur contexte et mal interprétés par les médias. Mais sans nier le fond. Partant de là, l’opposition chrétienne entend lui demander audience, pour des éclaircissements. Portant sur les raisons qui le poussent à sortir de la ligne, et des constantes, de Bkerké. Détachant le siège de son impartiale neutralité dans les litiges opposant d’autres communautés. Et surtout, le coupant de son environnement naturel. Pour en faire un allié, un complice d’une fraction déterminée, dans le cadre de la lutte des axes.
Les opposants veulent savoir. En effet, au salon d’honneur de l’aéroport, le patriarche s’est montré plutôt évasif. Il a remercié le président Sarkozy pour l’accueil qu’il lui a réservé. Ainsi que le président Sleiman pour le représentant qu’il avait dépêché à ses côtés. Il s’est contenté de soutenir que ses déclarations n’ont pas été reproduites intégralement, voire qu’elles ont été tronquées. Et que certains le critiquent sans avoir pris connaissance de la totalité de sa position, les priant de bien lire ce qu’il a dit. Il a ensuite refusé de répondre aux questions des journalistes...
Circonstance aggravante, aux yeux de l’opposition : les membres du Conseil des évêques maronites, instance décisionnelle politiquement, ignoraient ce que le patriarche Raï comptait lancer. Certains d’entre eux n’hésitent pas, aujourd’hui, à estimer qu’une partie de ses positions n’est pas du tout conforme aux constantes du patriarcat. Eux aussi se proposent de réclamer des éclaircissements sur le volet syrien, comme sur le Hezbollah. À leur avis, il y a là une sortie de route par rapport à la voie de Bkerké et du Vatican.
Un ancien ministre, qui a rencontré tout récemment les dirigeants français, confirme les indications de presse sur leur surprise, teintée de mécontentement, après la plaidoirie du patriarche Raï en faveur d’un régime syrien qu’ils ne cessent eux-mêmes de vilipender. Agacement d’autant plus marqué que leur hôte venait de les entendre s’indigner au plus haut point de la sauvagerie sanglante des auteurs de la répression en Syrie. Ils lui ont également répété qu’un régime qui a souillé ses mains de tant de sang peut difficilement rester, et que sa chute est inéluctable. Les Français n’ont pas été convaincus par les arguments du patriarche. Pourtant, Paris tient beaucoup à l’avis de Bkerké, en raison des liens séculaires tissés entre eux.
Sur le plan interne, les chrétiens de l’opposition relèvent, dans un sourire plutôt jaune, que les aounistes deviennent soudainement des partisans du rôle de Bkerké, qu’ils ne cessaient de décrier naguère. On se rappelle de la virulence des campagnes des députés du CPL contre Mgr Sfeir. Et que le courant boudait le siège patriarcal. Voici qu’il devient maintenant, selon les cadres aounistes, une « ligne rouge » que nul ne doit attaquer.
Maladresse ?
Pour les souverainistes, le patriarche est certes libre de prendre les positions qu’il veut. Ils lui reprochent d’exposer à la dégradation les rapports des chrétiens du Liban avec leurs compatriotes sunnites. Par suite de sa mise en cause des Frères musulmans, ainsi que des sunnites de Syrie. Et de ses craintes de les voir s’allier, une fois au pouvoir, avec les sunnites de chez nous.
Ils ajoutent que Bkerké a toujours rejeté l’immixtion de Damas au Liban. Dès lors, fidèle à ce principe d’indépendance bien comprise, il est censé éviter d’intervenir lui-même dans les affaires intérieures syriennes.
Enfin, sur le fond, les opposants observent que Bkerké ne peut pas soutenir en même temps deux avis, deux concepts opposés sur la liberté, les droits de l’homme, la souveraineté, l’exclusivité des armes à l’État. Il est tenu de respecter les critères universels dont se réclame le Liban, coauteur de la Charte des Nations unies. Sans compter que la révolution du Cèdre a germé par la suite en printemps arabe. Bkerké, que Mohsen Slim qualifiait de recours des recours, peut d’autant moins sortir de cette orthodoxie libertaire que son locataire est en même temps le président de l’Assemblée des patriarches d’Orient, de tous les rites catholiques.
Signalons enfin que Bkerké a nié que le patriarche ait l’intention d’envoyer une délégation en Syrie.
L'article de M. Philippe Abi-Akl temoigne ,contre toute accusation de la part du MGR RAI " d'avoir sorti ses declarations de leur contexte ", que les journalistes auteurs sont de vrais garants et bons auditeurs ....nous avons lu et bien ecoute ce qui a deja ete dit a PARIS ...pas un commentaire mal place...pas une analyse injuste ou mal fonde .....ce qui est deconcertant et inconcevable c est ce virement a 180 degres dont tout le monde parle....'le masque serait il tombe ? etions nous tellement aveugles par les propos du patriarche jusqu'au point de ne plus pouvoir discerner entre " etre , simuler et feindre"???
17 h 43, le 13 septembre 2011