Au Liban, les gouvernements qui se sont succédé n’ont jamais fait de l’agriculture une priorité. Saïd Mallaoui
Interview
Sécurité alimentaire : les pays arabes à la traîne
DOHA, de Nada MERHI
Absence d’une stratégie pour le développement agricole, salinité de l’eau, désertification, mauvaise gestion des ressources hydrauliques... autant de problèmes auxquels doit faire face le monde arabe sur le plan de la sécurité alimentaire.
«La situation de la sécurité alimentaire dans le monde arabe est vraiment triste.» C’est en ces termes que le directeur général du Centre international pour la recherche agricole dans les régions arides (International Center for Agriculture Research in the Dry Areas – Icarda), Mahmoud Solh, résume une condition «grave» que doivent affronter les pays dans cette partie du monde.
Dans une interview accordée à L’Orient-Le Jour, en marge de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques qui s’est tenue récemment à Qatar, M. Solh explique que les problèmes de la sécurité alimentaire dans le monde arabe touchent à plusieurs secteurs comme l’agriculture, la gestion des ressources hydrauliques, la désertification...
«Le monde arabe importe près de 65 millions de tonnes de céréales par an, contre 58 millions de tonnes pour l’Asie, un continent dont la population fait au moins vingt fois celle du monde arabe, déplore-t-il. Mise à part la Syrie, tous les pays arabes ne couvrent pas leurs besoins alimentaires. En fait, certains pays du Golfe importent 90 % de leur alimentation. L’Égypte, quant à elle, reste le plus grand importateur au monde de blé avec près de 7 millions de tonnes par an.»
Mahmoud Solh attribue ce problème au manque d’investissements dans la recherche et le développement agricoles. «Au Liban, à titre d’exemple, les gouvernements passés n’ont jamais fait de l’agriculture une priorité, dit-il. Ils accordaient une plus grande importance au secteur des services qui est beaucoup plus important pour un pays comme le Liban, comme celui du tourisme. Cela est certes important. Il n’en reste pas moins qu’au Liban, l’agriculture revêt une dimension sociale en plus de la dimension économique», en ce sens qu’elle contribue au développement des populations locales.
Selon M. Solh, «il est important de soutenir l’agriculture, même dans de petits pays comme le Liban», d’autant que les prix alimentaires ont affiché de grands bonds en 2008 et au début de l’année en cours. «Les prix alimentaires ne baisseront pas pour atteindre à nouveau les niveaux observés en 2006», constate-t-il.
Les facteurs en jeu
Mahmoud Solh explique qu’à une échelle globale, plusieurs facteurs affectent la sécurité alimentaire dans le monde arabe, au nombre desquels figurent notamment «les implications du changement climatique, comme la sécheresse ou encore les inondations, comme c’est le cas en Asie du Sud-Est», qui nuisent aux récoltes. «De plus, la Chine et l’Inde constituent deux économies croissantes, poursuit-il. Ces deux pays, qui avaient l’habitude de se serrer la ceinture lorsqu’ils manquaient de provisions, se tournent actuellement vers le marché international pour s’approvisionner. Ces importants pouvoirs d’achat et la demande accrue sur les aliments sur le marché international contribuent donc à l’inflation des prix. À cela s’ajoute le changement du mode alimentaire de certains pays, comme l’Afrique où la population, qui avait l’habitude de manger plus de maïs et de millet, commence à consommer de plus grandes quantités de riz et de blé. Donc, la demande pour ces deux marchandises devient de plus en plus accrue.»
Et M. Solh de préciser: «Le monde arabe est le plus gros consommateur de blé dans le monde avec en moyenne 180 kg/personne/an. Au Maroc, la consommation atteint 230 kg/personne/an. Le blé devient ainsi une culture très stratégique dans cette partie du monde, mais elle ne suffit pas aux populations. Les gouvernements importent en fait de grandes quantités de blé, notamment durant les années de sécheresse.»
La surexploitation des ressources hydrauliques est un autre problème que rencontre le monde arabe au niveau de la sécurité alimentaire. Mahmoud Solh insiste dans ce cadre sur la nécessité d’investir dans l’eau, «mais en se basant sur des programmes solides». «Prenons le cas du Liban qui se lance dans un grand projet pour la récolte d’eau de pluie avec l’IFAD (Fonds international pour le développement de l’agriculture), note-t-il. Ce projet est d’autant plus important que le Liban a les plus importantes ressources hydrauliques dans la région. Malheureusement, cette eau se déverse dans la mer, d’où la nécessité de dresser un inventaire des ressources hydrauliques dans le pays et de développer une stratégie sur les moyens qui permettent de bien utiliser cette eau.»
Désertification, salinité et autre...
Se penchant sur le problème que pose la désertification dans le monde arabe, Mahmoud Solh souligne que «l’utilisation des terrains agricoles à d’autres fins est un problème en soi». «Comme c’est le cas en Égypte où le delta du Nil, qui est la région la plus fertile du pays, est transformée en territoire de constructions, déplore-t-il. Au Liban, la majorité des terrains agricoles du littoral a été remplacée par des constructions et des complexes balnéaires.»
Et d’ajouter: «La salinité constitue également un problème majeur dans des pays comme l’Irak où plus de la moitié des terrains irrigués affichent des taux de salinité supérieure à la moyenne, ce qui est nuisible à la production agricole. Dans le delta du Nil, le problème de l’intrusion saline constaté dans cette région a été aggravé avec la construction du grand barrage puisque le flux n’est plus assez puissant pour empêcher cet excès de salinité. Le gouvernement égyptien a mis au point un très bon système de drainage, mais le problème, c’est que l’argile que portait l’eau du Nil est désormais intercepté par le barrage. Il en de même pour le limon. Il s’agit de facteurs qui affectent l’agriculture. Sans oublier bien sûr toutes les maladies qui touchent les productions agricoles, comme la rouille jaune qui a touché le blé, il y a deux ans, au Liban, en Syrie, en Turquie, en Irak et en Iran, certains agriculteurs ayant perdu près de 40% de leur production.»
À Icarda, une stratégie globale décennale, qui se poursuivra jusqu’en 2016, a été mise au point pour parer aux problèmes rencontrés dans les «régions arides» et améliorer les moyens d’existence des populations dans ces régions.
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Rencontre
Agir sur l’environnement pour améliorer les conditions sociales, insiste l’ONU
DOHA, de Suzanne BAAKLINI
Taysir el-Ghanem, directeur régional de communication pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord du Fonds international pour le développement agricole (IFAD), donne un aperçu de l’action de cette agence onusienne dans cette région.
La préservation de l’environnement, la lutte contre la désertification et la pénurie d’eau sont des facteurs essentiels dans le combat contre la pauvreté des populations rurales. Voilà pourquoi, selon Taysir el-Ghanem, l’IFAD conçoit des projets et aide à leur implantation sur le terrain avec les partenaires concernés, en collaboration avec les gouvernements locaux. Cette agence spécialisée des Nations unies, basée à Rome, supervise la mise en place du projet pour s’assurer de sa bonne marche. Elle effectue en fin de parcours une évaluation globale et assure un financement par étapes.
Rencontré en marge de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques qui s’est tenue récemment à Doha, M. el-Ghanem précise que l’IFAD est présent dans quelque quatorze pays arabes, là où il y a un besoin. «Nous intervenons dans les pays à faibles revenus ou dans les pays qui sortent d’une guerre comme c’est le cas au Liban, dit-il. Nous sommes présents en Irak, en Palestine, en Mauritanie, etc. Nous avons déjà investi 1,8 milliard de dollars dans cette région.»
Quelle est son évaluation du résultat de tels investissements? «Nous avons fait de notre mieux pour donner à nos projets un caractère durable, répond-il. Cette durabilité dépend de deux facteurs: que les populations locales ressentent le projet comme le leur et qu’elles y trouvent un réel profit. Il est également important que les idées soient innovatrices. À titre d’exemple, nous avons contribué à construire une usine de mozzarella fraîche en Égypte. Les Égyptiens ne sont pas des consommateurs de ce fromage, mais les touristes italiens de Charm
el-Cheikh le sont! Cette usine est unique en son genre dans le pays, elle écoule la totalité de sa marchandise et fait travailler les producteurs de lait.»
Interrogé sur l’avenir de l’action de l’IFAD dans la région, Taysir el-Ghanem estime que «cette action devrait s’intensifier avec le temps». «Nous insistons particulièrement sur le transfert de technologies, qui peut s’avérer très utile dans une région qui doit faire face à de nombreux défis: pénurie d’eau, croissance démographique en hausse..., dit-il. Pour ne citer qu’un exemple, seuls 12% des terrains dans les pays arabes sont cultivés. Afin de faire face à une demande grandissante, nous réfléchissons aux moyens d’améliorer la productivité de ces terres.»
Quelque 250000 bénéficiaires au Liban
Au Liban, l’IFAD a travaillé sur la désertification et la pénurie d’eau. «Nous œuvrons, en coopération avec le Plan vert du Liban, pour tenter de régler certains problèmes qui découlent de la désertification. Nous nous intéressons notamment aux efforts de reboisement dans certaines localités. Notre dernier projet en date porte sur des zones qui ont connu récemment une dégradation naturelle en raison d’incendies, du déboisement, etc. Certaines d’entre elles ont souffert de l’impact de la guerre (israélo-libanaise) de 2006», dit-il.
L’IFAD a entamé son action au Liban après la guerre civile, au début des années 90. Il y a implanté quatre projets au cours des années, dont trois ont été complétés et un seul est toujours en cours. Il a investi en tout 37 millions de dollars dans ce pays, mais les projets ont une valeur totale de 155 millions de dollars environ, selon le responsable. «Ces projets ont porté assistance à 57000 familles rurales. Si l’on compte cinq personnes par famille en moyenne, cela donne quelque 250000 personnes en tout. Pour une petite population, ce chiffre est considérable», souligne-t-il.
Le projet qui est toujours en cours s’intéresse de près aux ressources hydrauliques du pays. «Toute la région du Proche-Orient souffre du manque d’eau, et le Liban n’est pas à l’abri, malgré ses montagnes et sa remarquable biodiversité», ajoute Taysir el-Ghanem. «Pourvoir les zones semi-arides de moyens pour collecter l’eau, limiter le gaspillage des ressources hydrauliques et recycler, quand c’est possible, les eaux usées fait partie de nos objectifs. Comme ailleurs, l’IFAD travaille au Liban à introduire et renforcer le concept de http://192.168.1.75/eworkflows/app/themes/Gray/images/image_icon_dim.png gestion durable des
ressources hydrauliques», dit-il encore.
Le responsable du Fonds poursuit: «Au Liban, quelque 29% de la population vit avec moins de quatre dollars par jour. Environ 13% de ceux-ci résident dans les zones rurales, où le problème de pauvreté est lié à la dégradation des ressources naturelles ou à l’incapacité des habitants d’en profiter. Nous pouvons aider ces personnes à réhabiliter la nature qui les entoure tout en leur assurant des bénéfices. Cela peut se faire par l’introduction des technologies adéquates, par l’instauration d’un système de microfinances ou encore par la création d’un lien entre les producteurs locaux et les marchés. Nous appuyons, à titre d’exemple, la création d’aires de stockage et d’industries alimentaires dans les campagnes, afin de donner aux produits locaux une plus-value et aider à les écouler plus efficacement».
Taysir el-Ghanem donne l’exemple d’une industrie de transformation de produits laitiers, fondée dans la Békaa. «Nous avons introduit dans cette région une grande compagnie mondiale de packaging, explique-t-il. Depuis, cette usine stérilise le lait et les produits laitiers, et fournit des boîtes et des bouteilles adaptées pour commercialiser les produits. De telles technologies profitent aux agriculteurs de deux manières: d’une part, elle leur évite de perdre une partie de leur récolte, de l’autre, elle assure une plus-value à leurs produits finis.»
Sécurité alimentaire : les pays arabes à la traîne
DOHA, de Nada MERHI
Absence d’une stratégie pour le développement agricole, salinité de l’eau, désertification, mauvaise gestion des ressources hydrauliques... autant de problèmes auxquels doit faire face le monde arabe sur le plan de la sécurité alimentaire. «La situation de la sécurité alimentaire dans le monde arabe est vraiment triste.» C’est en ces termes que le directeur général du Centre international pour la recherche agricole dans les régions arides (International Center for Agriculture Research in the Dry Areas – Icarda), Mahmoud Solh, résume une condition «grave» que doivent affronter les pays dans cette partie du monde.Dans une interview accordée à L’Orient-Le Jour, en marge de la Conférence mondiale des journalistes...