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La défaite d’un seigneur

Insuffisant ! Telle avait été la première et lapidaire réponse syrienne aux excuses publiques de Walid Joumblatt qui ravalait, non sans peine, devant des millions de téléspectateurs ses propos tenus un jour de 2005, place de la Liberté et des Martyrs, dans lesquels il traitait, dans un accès de colère, a-t-il dit, le président syrien Bachar el-Assad de serpent, singe et criminel .
L'officieux syrien al-Watan qui avait lancé ce niet, reprochait au seigneur de Moukhtara d'avoir encore rappelé implicitement que c'est la Syrie qui a assassiné son père Kamal Joumblatt, soulignant, toujours al-Watan, que Damas avait en permanence été le principal pourvoyeur du chef druze en armes et autres moyens logistiques pour qu'il puisse défendre sa communauté ; et que le donnant donnant qu'il propose - oublier l'assassinat de son père contre une absolution syrienne - est une hérésie et que sa repentance devait être totale et inconditionnelle.
Le long calvaire sur le chemin de Damas de celui qui est qualifié par ses pairs de meilleur équilibriste de la gente politique libanaise n'était pas encore terminé hier matin, puisqu'il avait trouvé dans l'adversaire syrien, qui a la dent dure, un censeur insensible à ses habituelles contorsions politiques et verbales et que al-Watan revenait à la charge pour la deuxième journée consécutive.
Insuffisante avait déjà été jugée sa sortie en grande pompe du 14 mars, répétée depuis des mois dans ses discours ; insuffisant avait été également estimé son coup de torchon, trempé dans le sang des martyrs, de la razzia chiite en 2008 contre la Montagne druze et Beyrouth suivi de son rapprochement avec le Hezbollah et le fait de souscrire à nouveau au principe de la résistance armée contre Israël, reléguant à beaucoup plus tard le choix d'un État fort et seul maître à bord de son territoire.
Insuffisant également le choix d'un nouveau précepteur, Wi'am Wahhab, venu tancer son coreligionnaire et lui faire la leçon - lui qui en donne à tous - sur la conduite à adopter et la manière de s'adresser au suzerain qui règne sans partage sur les bords du Barada, et qui reprend lentement mais sûrement la main sur la province libanaise.
Jusqu'où donc allait se poursuivre cette descente aux enfers, cette cascade de dénis, au nom du pragmatisme et de la realpolitik, ce mea culpa humiliant et sans fin que M. Joumblatt assume non sans mal, dans le souci d'assurer une succession sans problèmes à son fils Taymour à la tête de cette minorité druze, une goutte dans un océan sunnite houleux, traversé par un courant chiite envahisseur et turbulent ?
Visiblement pas bien loin puisque Hassan Nasrallah a annoncé hier en soirée que, suite à la médiation du Hezb sollicitée par M. Joumblatt, le président syrien allait bientôt recevoir le chef du PSP. Ce dernier s'est empressé aussitôt d'adresser ses remerciements au sayyed ainsi qu'à Nabih Berry, Talal Arslane, mais aussi Wi'am Wahhab, précisant par ailleurs qu'il avait beaucoup à dire à M. Assad.
En fait, lâché par ses alliés occidentaux et arabes, M. Joumblatt, pour les besoins de sa cause immédiate, s'était déjà défait rapidement, provisoirement sans doute, de ses habits d'indépendantiste notoire, hérités de son père, le grand Kamal, figure de proue, s'il en est, des bâtisseurs d'un Liban libre, souverain et indépendant.
Il avait également tué une deuxième fois ce père en pardonnant mais surtout, et ce n'est évidemment nullement facile, en choisissant d'oublier l'assassinat de celui auquel le pays est redevable de tant de wa'fét ezz et de principes nationaux qu'il a payés de sa vie en rejoignant ses prédécesseurs tombés dans la lutte contre les ennemis de la nation.
Oubliés aussi les moments de gloire, place de la Liberté, où, dressé sur ses ergots, c'est un Walid Joumblatt transfiguré qui haranguait les centaines de milliers de manifestants témoins, venus réclamer la fin de la tutelle syrienne, tutelle qualifiée par lui de la pire des occupations. Oubliés également les centaines de disparus libanais présumés, toujours embastillés dans les geôles syriennes, certains relâchés au compte-gouttes au rythme d'une libération discrète tous les quelques mois sinon toutes les quelques années.
Gommée des tablettes de l'histoire et de sa liste d'honneur la cohorte des martyrs assassinés aux coins des rues pour les punir d'avoir lancé l'intifada de la révolution du Cèdre censée redonner aux Libanais le droit de s'autogouverner librement selon les valeurs de liberté, d'égalité, d'indépendance et de souveraineté.
Qu'est-ce que M. Joumblatt va pouvoir encore dire au chef de l'État syrien maintenant qu'il s'est complètement mis à nu, lui le plus retors et le plus visionnaire de ses pairs ? Il est vrai qu'il a été le fer de lance de la contestation contre Damas et que les attaques personnelles qu'il reconnaît contre le chef de l'État syrien étaient particulièrement indécentes, comme il l'a admis. Il est tout aussi vrai (ah, la politique) que ses anciens alliés d'ici et d'ailleurs s'étaient tous écartés de lui, chacun pour des raisons qui lui sont propres, et l'ont laissé gravir en solitaire ce Golgotha douloureux.
Voilà probablement la fin de ce Canossa des temps modernes qui s'est acharné à dépouiller, celui qui fut et qui reste, malgré tout, un zaïm nationaliste libanais et arabe, de ses derniers oripeaux, que certains se disputent déjà.
Heureusement pour lui, il s'est trouvé quelqu'un parmi ses nouveaux alliés qui, au nom, espérons-le, de ce même nationalisme libanais et arabe dont Moukhtara est le berceau, a convaincu finalement les Syriens d'arrêter le massacre, de mettre un terme à cette piteuse comédie et de garder à l'homme le peu de dignité, politique s'entend, qui lui reste.
D'ailleurs, certains de ses anciens amis consacrent la majeure partie de leur temps à tenter de nettoyer en catimini leur CV, redorer leur blason, s'éviter les mêmes outrages publics que ceux subis par leur collègue du Chouf, pour recevoir l'admitatur syrien et rejoindre ainsi les légions d'affidés des maîtres de Damas.
Vous aviez bien dit liberté, souveraineté, indépendance ?
Allez, circulez !
Insuffisant ! Telle avait été la première et lapidaire réponse syrienne aux excuses publiques de Walid Joumblatt qui ravalait, non sans peine, devant des millions de téléspectateurs ses propos tenus un jour de 2005, place de la Liberté et des Martyrs, dans lesquels il traitait, dans un accès de colère, a-t-il dit, le...

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