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Autopsie d’une défection

Il faut arrêter de prêter à Walid Joumblatt (en politique bien sûr) plus qu'il ne mérite et de le charger aussi plus qu'il ne le faut !
Ce n'est certainement pas un nouveau Talleyrand tortueux, ni à plus forte raison un Bismarck fort, intraitable et à tout prix unioniste. Dans ce sens que les motivations, qui ont mené à son énième revirement prévisible et annoncé, ont toujours été très lisibles et compréhensibles, à défaut d'être applaudies, et que son fameux repositionnement n'a nullement contribué à favoriser un courant unitaire quelconque au sein d'un pays qui reste plus que jamais celui de la désunion confessionnelle prononcée.
Au-delà des cris d'orfraie des uns qui parlent de scandale et des qualificatifs excessifs de certains autres, lâchés en pleine formation du gouvernement, qui hurlent à la trahison, il faut replacer calmement le geste du chef du PSP dans un contexte politique local, régional et international.
Sans oublier les spécificités contradictoires d'un personnage extrêmement cultivé et ouvert, mais également féodal à nul autre pareil, provocateur dans l'âme, mais non dénué d'un certain romantisme inhérent à tout militant de gauche qui se croit le sauveur de l'humanité.
Malgré ses critiques virulentes contre le slogan Liban d'abord, et à l'exemple de son père, le grand Kamal Joumblatt, qui a été l'un des premiers d'ailleurs à le payer de sa vie, Walid Joumblatt a toujours été, il faut le rappeler, dans le carré des défenseurs acharnés d'un Liban libre et souverain, à son rythme cependant et à ses conditions.
Mais à chaque fois que le besoin s'en faisait ressentir, et sous le couvert d'un nationalisme arabe éculé, de la lutte contre Israël et de la défense de la cause palestinienne, l'homme, à l'instar de la quasi-totalité des chefs des autres clans libanais, est un adepte avéré du pragmatisme politiquement égoïste, dont les faits et gestes sont investis au profit de son leadership, du bien-être de sa communauté et de sa position à l'échelon national.
Mais ce n'est là que l'une des explications, aussi principale soit-elle, de son comportement. Il y en a d'autres, certaines pas reluisantes certes mais parfois pas complètement infondées. En voilà quelques-unes ramenées à leurs justes proportions et évidemment non limitatives.
Rafic Hariri assassiné en 2005 après l'attentat contre Marwan Hamadé qui s'en est miraculeusement tiré avec quelques blessures, M. Joumblatt s'est retrouvé à découvert, sachant qu'il était la prochaine cible annoncée dans la liste des hommes à abattre. Surfant alors sur la vague nationaliste, il se positionne comme le nouvel adversaire sans merci, du régime syrien, son ancien allié, et devient l'un des principaux moteurs de la révolution du Cèdre, qui, avec l'appui des Occidentaux, boute l'armée syrienne hors du pays. Pense-t-il ainsi venger dans la foulée la mort de son père qu'il impute aux Syriens et être l'un des fondateurs du Liban de la nouvelle indépendance ?
Toujours est-il qu'on le retrouve alors aux avant-postes des pourfendeurs de tous ceux qui ne pensent pas Liban d'abord, bien avant la naissance officielle de cette fameuse formule, et milite désormais, entre autres, aux côtés des partis chrétiens qu'il avait auparavant traités d'isolationnistes pour avoir été parmi les pionniers de ce slogan élémentaire dans toute démocratie.
Mais les temps changent et la politique est une guerre de positions permanente. Le régime syrien a bien résisté aux coups conjugués des Occidentaux réunis, a pu limiter les pertes et, au fil des nouvelles donnes régionales et internationales, est parvenu non seulement à lever l'ostracisme qui le frappait, mais a réussi la gageure de se faire à nouveau courtiser par toute la communauté internationale ; et à sa tête les États-Unis de Barack Obama, soucieux de gommer les gaffes de son prédécesseur George Bush dans l'espoir de détacher Damas de Téhéran et de l'amener à négocier la paix avec Israël.
Les alliés de la Syrie au Liban ont entre-temps opéré un rétablissement spectaculaire grâce à la guerre de 2006 du Hezbollah contre Israël, une victoire militaire à la Pyrrhus, aussitôt transformée en gains politiques dans les rues de Beyrouth et dans les contreforts de la Montagne druze lors de la razzia sanglante de 2007.
Le coup de semonce est dur pour Walid Joumblatt qui voit son courant indépendantiste doublement lâché par les Occidentaux qui négocient directement avec les Syriens et qui ne bougent pas le pouce lors du coup de force du Hezbollah qui réagissait aux décisions du gouvernement Siniora contre le système de télécommunications du parti de Dieu, à la demande expresse et répétée du leader druze. Pire, ses tentatives de prendre langue avec Téhéran pour s'expliquer ont vite fait d'être court-circuitées par les Saoudiens qui lui conseillent vivement de s'abstenir.
Il était donc tout à fait logique que M. Joumblatt, démuni de tout appui interne ou externe face au retour en force de l'axe Damas-Hezbollah, revoie ses calculs, d'autant plus que le rapprochement sunnito-chrétien au sein du 14 Mars risquait de le reléguer au rang de comparse, lui qui a toujours réussi à être l'un, sinon le principal pivot de la vie politique dans notre pays.
Habiller sa défection, comme il le fait, pour sauver la face et la rendre plus respectable, des oripeaux d'une cause arabe et palestinienne en perdition n'est ni utile ni nécessaire. D'autres comme lui au sein du 14 Mars et parmi les chrétiens d'entre eux tentent, en sous-main, de jeter des ponts pour un dialogue en douce avec Damas et Téhéran.
Michel Aoun doit jubiler et se frotter les mains de satisfaction : il a été le précurseur, alors copieusement critiqué, dans cette démarche d'ouverture, et il l'a fait publiquement, lui !
Il faut arrêter de prêter à Walid Joumblatt (en politique bien sûr) plus qu'il ne mérite et de le charger aussi plus qu'il ne le faut !Ce n'est certainement pas un nouveau Talleyrand tortueux, ni à plus forte raison un Bismarck fort, intraitable et à tout prix unioniste. Dans ce sens que les motivations, qui ont mené à son...

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