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Les choix impossibles

Difficile, très difficile, d’être né chrétien au Liban, et surtout maronite, laïc de surcroît ! Une communauté turbulente, impérieuse et qui s’estime, à juste titre parfois, investie de la mission sacrée de défendre et de préserver la souveraineté, l’indépendance et surtout la libanité d’un pays qui se veut le lien entre le monde arabe et l’Occident. Cette indépendance, il faut le dire quand même, n’avait été arrachée aux Français que grâce aux efforts conjugués des chrétiens, menés par Béchara el-Khoury, et de ceux que le mandat appelait à l’époque les mahométans, dirigés par Riad el- Solh. Mais assez rapidement, les maronites, suivis cahin-caha par les autres communautés chrétiennes, ont reproché aux musulmans une tendance, d’abord inavouée puis franchement publique, à vouloir se rapprocher et – même un temps – à se fondre dans leur environnement arabe, musulman comme eux. De là va naître l’idée, fièrement brandie comme un étendard, que les maronites sont le dernier rempart de la chrétienté dans un univers arabe où les fidèles de Jésus perdaient pratiquement pied dans tous les pays. Le hic, cependant, est que cette communauté à toujours été divisée sur elle- même, chacun de ses nombreux chefs voulant imposer aux autres, souvent par la force, sa vision sur la manière de défendre les chrétiens d’un Liban assimilé alors à une forteresse assiégée par un islam arabe devenu un peu trop conquérant. En somme, un complexe de Massada revisité. Rappels et survol rapide de l’histoire politique agitée des maronites – toujours à la traîne de la réconciliation, d’ailleurs – depuis l’indépendance jusqu’à nos jours. La première fracture va apparaître dans les années quarante entre les destouriens chapeautés par Béchara el-Khoury, impatient face à des Français qui rechignaient à accorder l’indépendance, et Émile Eddé, chef du Bloc national, pour lequel le salut de la communauté passait par son attachement à la puissance mandataire, seule capable à ce moment-là, selon lui, de protéger les chrétiens contre un monde arabe hostile. On ne peut ramer à contre-courant de l’histoire, et ce sont les indépendantistes (chrétiens et musulmans) qui vont remporter le morceau en 1943, consacrant la cassure entre les deux partis. L’élection de Camille Chamoun, en 1952, tombeur de Béchara el-Khoury, va créer un troisième courant qui va prendre de l’ampleur et se hisser au même rang que les deux précédents. Sous la houlette du Helf, ce courant chamounien des Ahrar va s’allier aussitôt au Bloc national puis, plus tard, aux Kataëb et au clan Frangié. L’objectif était de contrer la politique des anciens destouriens qui avaient rallié les chéhabistes du Nahj, qualifiés de militaristes puisque aidés par le Second Bureau de l’armée, et trop panarabes à leur goût pour être proches de l’Égypte de Nasser. Ces alliances néanmoins vont bientôt se défaire pour se refaire autrement. Sous le prétexte d’unifier le fusil chrétien contre les Palestiniens et la Syrie, les Forces libanaises, branche armée des Kataëb qui s’étaient alliés au diable israélien, vont attaquer en 1978 manu militari le quartier général des Noumour chamouniens, dont les plus radicaux vont être liquidés à coups de mitraillette dans la piscine de Safra Marina. C’est ensuite au tour des Marada du clan Frangié d’être la nouvelle cible des Forces libanaises, et bon nombre d’entre eux vont périr en 1978 dans la tuerie de Ehden où furent massacrés Tony Frangié, sa femme, sa fille et une trentaine de ses partisans. Un cycle sanglant de représailles et de contre-représailles va en découler sur la scène chrétienne. Résultat : le courant chamounien sera laminé et réduit à sa plus simple – mais vraiment très simple – expression politique, et les Frangié, toujours aussi maronites mais animés d’une haine féroce contre les FL, iront rejoindre le clan des prosyriens où les avaient précédés d’autres chefs chrétiens de moindre importance. Puis va survenir le phénomène Aoun et la guerre d’élimination en 1990 que le général va mener dans les régions est contre les Forces libanaises qui lui portaient ombrage et lui reprochaient notamment son alliance avec l’Irak de Saddam Hussein. L’ennemi de mon ennemi étant mon ami, les Marada et les aounistes vont se retrouver dans la même tranchée face aux FL et autres partis maronites qui prônent une guerre politique sans merci contre la Syrie, mais surtout maintenant contre l’Iran. Ainsi, après avoir longtemps boudé l’arabisme, les chrétiens de la majorité deviendront proarabes et appuieront les sunnites modérés, et les autres, ceux de Aoun, deviendront les ami des Perses chiites radicaux. Qui a tort et qui a raison ? C’est à l’histoire de le dire. En attendant, au vu de la situation catastrophique des chrétiens dans le monde arabe, notamment en Irak et en Égypte, et celle des minorités non chiites en Iran ; et sans avoir la fibre confessionnelle, ni des sympathies particulières à l’égard des Forces libanaises, des aounistes ou de leurs alliés, c’est un véritable problème de société et de civilisation qui se pose plus que jamais à chaque maronite et à chaque Libanais : vivre pleinement sa liberté de pensée, d’expression et d’action, dans un pays en paix, ou épouser l’idéologie des autres et devenir des militants obtus et des combattants dans des guerres qui ne sont plus les nôtres ? Faudra-t-il s’abstenir de choisir et rester un sans domicile fixe de la conviction ? Ou, mieux, faudra-t-il que la Vierge de Harissa tourne, encore une fois, sur son socle, comme aux législatives de 1968, pour montrer le bon chemin ?
Difficile, très difficile, d’être né chrétien au Liban, et surtout maronite, laïc de surcroît ! Une communauté turbulente, impérieuse et qui s’estime, à juste titre parfois, investie de la mission sacrée de défendre et de préserver la souveraineté, l’indépendance et surtout la...

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