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Le Liban dans WikiLeaks : fuites et révélations

Le 14 Mars et le 8 Mars poursuivent leurs batailles par intérim... via WikiLeaks

Il ne se passe plus un jour sans que les « révélations » de WikiLeaks ne viennent fouetter le landernau politique local. Surtout qu'au quotidien al-Akhbar (proche du 8 Mars), qui avait jusqu'à présent l'exclusivité des « fuites » - triées sur le volet de manière à « embarrasser » le 14 Mars et les « centristes » - est venu se joindre, depuis quelques jours, al-Joumhouriya (proche du 14 Mars), qui tente, lui, de rétablir l'équilibre, en en publiant les télégrammes diplomatiques américains qui concernent Michel Aoun, jusqu'à présent ignorées par al-Akhbar.
Dans son édition d'hier, al-Joumhouriyya rapporte ainsi que, selon un télégramme en date du 3 novembre 2006, le chef du Courant patriotique libre, Michel Aoun, aurait démenti, devant l'ambassadeur des États-Unis de l'époque, Jeffrey Feltman, les informations selon lesquelles ses conseillers visitent la Syrie, qualifiant ces dernières d'« intox ». Il aurait également indiqué qu'il n'existe « aucun engagement contracté par le CPL vis-à-vis de la Syrie », ajoutant toutefois « qu'il se pourrait qu'il y ait des transactions menées par certains à son insu » avec Damas. Michel Aoun aurait ajouté qu'« il évite prudemment d'entretenir des relations étroites avec la Syrie et l'Iran ». Le chef du CPL aurait également indiqué, toujours selon ce télégramme, que durant une rencontre à Rabieh avec des députés iraniens, il leur aurait confié « l'impossibilité pour lui de former un axe politique avec Téhéran », s'attirant même « des reproches » du député de son bloc Abbas Hachem, qui avait pris part à cette réunion. Le général Aoun aurait ajouté que Abbas Hachem avait déploré à l'issue de cette réunion le fait que Aoun « n'ait pas poussé plus loin son accord officiel avec les Iraniens ». « Le CPL peut coordonner avec le Hezbollah tant qu'il bénéficie de la confiance de ce parti et que le Hezb reste focalisé sur son objectif principal », aurait ajouté le chef du CPL. Le télégramme ajoute que Michel Aoun n'a pas précisé « de quel objectif il s'agit ». « Je ne suis pas énamouré du Hezbollah. Si nous l'isolons, sa réaction sera hostile et le pays ne supporterait pas des combats », aurait souligné le député du Kesrouan.
Lorsque l'ambassadeur Feltman lui aurait dit : « Le Hezbollah vous manipule », Michel Aoun aurait aussitôt estimé que Saad Hariri fait bien pire que cela en essayant « de détruire Aoun au Liban, dans l'ensemble des pays arabes et aux États-Unis ». Le chef du CPL aurait indiqué que Saad Hariri aurait « monté un groupe de pression pour torpiller sa visite en Arabie saoudite » et pour « salir sa réputation à Washington ». Toujours selon le même télégramme, Aoun aurait exprimé « une haine féroce contre les leaders du 14 Mars, non pas par amour pour la Syrie et l'Iran, mais parce qu'il estime avoir été éloigné du camp souverainiste, alors qu'il pense que c'est à lui que revient le mérite de le diriger ». « Quels que soient les motifs de Aoun, il s'agit d'un baume sur le cœur de Haret Hreik, de Damas et de Téhéran », commente le rédacteur du télégramme, en notant que « les messages transmis par les diplomates américains ne semblent pas avoir d'effet sur lui ou le conduire à réfléchir à deux fois au sujet de ses relations avec le Hezbollah ». « Notre intuition nous fait dire que Aoun sait qu'à l'instar du 14 Mars, nous ne lui donnerons pas la récompense à laquelle il aspire, c'est-à-dire la présidence de la République, alors qu'il pense qu'il peut y parvenir par le biais du Hezbollah, de la Syrie et de l'Iran », conclut le télégramme.
Un autre télégramme daté du 18 septembre 2006 porte sur la visite-surprise à l'époque du chef du CPL à Bruxelles, et l'on y apprend que Michel Aoun s'attendait à jouer un rôle dans un échange de prisonniers entre Israël (Samir Kantar) et le Hezbollah, mais que cela n'a finalement pas eu lieu.
Sur un autre plan, al-Joumhouriyya publie un autre télégramme daté du 12 novembre 2006 concernant cette fois la position de Nagib Mikati concernant le quotidien al-Akhbar, où le député de Tripoli explique à l'ambassadeur Feltman qu'il a « honte » d'avoir versé 150 000 dollars américains comme budget initial pour le quotidien (soit plus de trois fois le montant qu'il avait affirmé avoir versé au début). M. Mikati estime « avoir été dégoûté par les campagnes » menées par le quotidien, affirmant qu'il « refuse de se compromettre plus encore avec ce dernier ».
Par ailleurs, le député Talal Arslane a démenti dans une conférence de presse hier le contenu d'un câble daté du 8 mai 2008 (soit la date de l'opération menée à Beyrouth et dans la Montagne par le Hezbollah) publié par al-Joumhouriyya, estimant qu'il s'agit « de phrases enlevées de leur contexte », de « fausses traductions » et de « mauvaises interprétations » de ses propos. Talal Arslane indique notamment, selon ce télégramme US, que la Syrie « désirait ardemment » à l'époque conclure un marché avec Doha, que « le nouveau chef de l'État devrait, lui, nommer le nouveau ministre de l'Intérieur », que « la division de la communauté druze en deux factions est une bonne chose, puisque cela aide à résoudre les conflits », et qu'il souhaiterait que « les États-Unis soient un vrai parrain pour le Liban ».

Les « fuites » d'« al-Akhbar »
Le quotidien al-Akhbar se contente pour sa part d'un seul télégramme, auquel il consacre cependant un titre en manchette : « Le 14 Mars aux Américains : Donnez-nous des armes ». Daté du 11 mai 2008, le télégramme - qui est amputé de sa première partie dans l'édition d'al-Akhbar - rapporterait les détails d'une rencontre entre la chargée d'affaires US Michele Sison et plusieurs pôles du 14 Mars, dont le président Amine Gemayel, les ministres Nayla Moawad et Marwan Hamadé et MM. Michel Moawad et Michel Mecattaf. Selon ce télégramme, le président Gemayel aurait sévèrement reproché aux États-Unis la faiblesse de leur réaction face aux événements du 7 mai 2008, estimant qu'il s'agit là « non pas d'une crise passagère, mais d'une opération irano-syrienne de mainmise sur le Liban ». « Nous devons arrêter la Syrie et l'Iran, ou bien c'est à Damas que vous irez présenter vos lettres de créance », aurait indiqué M. Gemayel à Mme Sison. Il aurait également, toujours selon le télégramme en question, demandé aux États-Unis de « prendre des mesures très dures, précises et sérieuses » contre l'Iran et ses auxiliaires, mettant en garde contre un règlement à l'amiable qui produirait une « catastrophe » et inciterait l'Iran et le Hezbollah à « réclamer davantage encore » au Liban. M. Gemayel aurait également exprimé la détermination complète du 14 Mars à prendre toutes les mesures nécessaires pour défaire le Hezbollah, précise al-Akhbar, sans toutefois utiliser de guillemets. « Nous sommes prêts à offrir encore plus de martyrs, comme mon fils Pierre, s'il le faut », aurait souligné l'ancien chef de l'État, estimant que le 14 Mars doit sentir qu'il est « réellement » soutenu par la communauté internationale.
Marwan Hamadé aurait pour sa part déploré que le 14 Mars ait été « dupé et abandonné par nos amis au plan international ». « Nous ne compterons plus sur eux », aurait-il ajouté, selon le télégramme reproduit par al-Akhbar. Nayla Moawad aurait quant à elle réclamé, entre autres, « des sanctions américaines plus dures contre la Syrie, comme la mise en place d'une "zone d'exclusion aérienne" ». « La Syrie ne doit plus pouvoir utiliser ses aéroports tant que nous ne pouvons pas utiliser le nôtre », aurait-elle noté. Mais l'élément le plus important rapporté par al-Akhbar reste cette phrase du télégramme attribuée au président Gemayel, mais amputée néanmoins du reste du paragraphe auquel elle appartient, et dans laquelle il affirmerait (il ne s'agit pas d'une citation) que les pôles du 14 Mars savent comment organiser leurs milices, mais qu'ils ont besoin d'un « soutien calme » des États-Unis, et qu'ils auront besoin d'armes dans les cinq ou six prochains jours pour défaire le Hezbollah.
Le télégramme rapporte aussi une déception du 14 Mars quant à l'attitude de Michel Sleiman, à l'époque commandant en chef de l'armée, pour ses positions et sa gestion de la situation sur le terrain. Nayla Moawad aurait ainsi estimé qu'il se serait « contredit » dans ses positions, tandis qu'Amine Gemayel aurait affirmé à l'occasion : « Sleiman sert de concierge (dans le sens plutôt de garde forestier) du Hezbollah. »
Une seule certitude, après lecture de ces pseudo-« révélations » de part et d'autre. Il n'y a en fait qu'une seule et unique victime de WikiLeaks, de part et d'autre. Les lecteurs.
Il ne se passe plus un jour sans que les « révélations » de WikiLeaks ne viennent fouetter le landernau politique local. Surtout qu'au quotidien al-Akhbar (proche du 8 Mars), qui avait jusqu'à présent l'exclusivité des « fuites » - triées sur le volet de manière à « embarrasser » le 14 Mars et les « centristes » - est venu se joindre, depuis quelques jours, al-Joumhouriya...