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La diplomatie au féminin

L’ambassadrice de Suisse, témoin des améliorations de la condition des femmes diplomates de son pays

Sobre et simple, femme de tête et de caractère, Ruth Flint est ambassadrice de Suisse. Elle est arrivée au Liban en septembre dernier. Dans un entretien avec « L'Orient-Le Jour », elle a évoqué sa carrière de diplomate. « J'ai été la première femme du service diplomatique suisse à avoir une famille miroir, exactement comme les hommes diplomates, avec des enfants et un mari qui me suivent », raconte-t-elle. Cet entretien entre dans le cadre d'une série d'interviews avec les diplomates femmes en poste à Beyrouth.

L’ambassadrice suisse à gauche visitant une ferme d’éléphants.

Ruth Flint, ambassadrice suisse, note d'emblée que la profession de diplomate se féminise. « En Suisse, il y a une proportion de plus en plus grande de femmes diplomates. C'est un peu grâce au fait que notre ministre des Affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey, œuvre pour l'entrée des femmes dans la carrière diplomatique », dit-elle.
« En Suisse, même si la proportion des ambassadeurs femmes n'est pas élevée, des progrès ont été enregistrés. Actuellement, nous sommes 10 à 15 % de femmes sur l'ensemble des ambassadeurs. La première femme ambassadeur suisse, partie à la retraire il y a une vingtaine d'années, a dû se battre pour devenir chef de mission diplomatique », ajoute-t-elle.
Mme Flint évoque ses débuts : « Quand j'ai commencé ma carrière en 1978, ma promotion comptait 5 femmes sur 15 diplomates. Ce nombre était considéré comme exceptionnel et certains collègues masculins nous avaient accusées de leur voler leur travail. »
Il y a une trentaine d'années, divers problèmes se posaient aux femmes diplomates en Suisse. Ils concernaient notamment les mariages. Mme Flint donne l'exemple d'une diplomate qui avait épousé un ressortissant d'Europe de l'Est, mais qui avait quitté son pays natal plusieurs années auparavant. « C'était encore au temps de la guerre froide et ma collègue a dû faire le choix entre son mariage et sa carrière », explique-t-elle. L'ambassadrice suisse qui est mariée à un ressortissant britannique souligne : « Moi-même, quand j'ai voulu me marier, j'ai dû présenter le CV de mon mari et obtenir l'accord tacite de mon administration. Ces pratiques ont disparu. » « Ma mère avait travaillé pour le ministère des Affaires étrangères avant la Seconde Guerre mondiale. Elle était attachée au consulat suisse en Algérie à l'époque et elle a dû quitter le ministère le jour où elle s'était mariée », ajoute-t-elle.
L'ambassadrice suisse poursuit : « J'ai été la première femme diplomate au sein du service diplomatique suisse à avoir une famille dans le sens miroir, exactement comme mes collègues hommes, c'est-à-dire avec un mari qui me suit et ayant des enfants pendant que je travaille. »

Mutée après son accouchement
Bien sûr, il y avait un prix à payer. Mme Flint évoque un épisode qui avait marqué sa carrière. « J'ai eu ma fille en France, à Strasbourg. Je travaillais auprès du Conseil de l'Europe. Mon chef de l'époque m'avait renvoyée en Suisse car il ne voulait pas que j'aie un deuxième enfant. Ça le dérangeait pour son travail. Je suis donc rentrée en Suisse, en 1986, avec un bébé de six mois. À l'époque, mon ministère m'a considérée comme punie. Quand j'y pense, je me rends compte à quel point les choses ont changé depuis. Aujourd'hui, si une chose pareille arrivait, un scandale éclaterait », raconte-t-elle.
L'ambassadrice suisse poursuit : « J'ai revu, des années plus tard, le chef qui m'avait renvoyée. Il m'a dit : " J'ai regretté de ne pas vous avoir gardée parce ce qu'avec vos deux successeurs hommes j'ai eu des ennuis ". Je lui ai alors suggéré d'envoyer une lettre au service du personnel notant que " vous ne m'avez pas renvoyée pour mes défauts professionnels ou personnels et que vous regrettez le fait de ne pas m'avoir gardée ". Ce qu'il a fait. »
Elle ajoute qu'elle s'est aussi battue pour ses congés maternité. « Mon chef ne voulait pas me laisser joindre mes vacances à mon congé maternité. À l'époque, on devait travailler jusqu'au jour de la naissance et on n'avait que deux mois de congé maternité. Je voulais ajouter mes vacances à mon congé maternité et avoir donc trois mois libres. On me l'avait refusé. Comme je travaillais au Conseil de l'Europe, siège d'un comité pour l'égalité entre les hommes et les femmes, et de la Cour européenne des droits de l'homme, il me semblait que c'était un comble. J'ai eu gain de cause », se souvient-elle.
L'ambassadrice évoque également les déboires de ses collègues femmes lors de leurs grossesses. « Durant les années quatre-vingt, la présentation d'un certificat médical pendant la grossesse pour travailler à temps partiel ou pour arrêter de travailler n'était pas suffisant, il fallait avoir une confirmation du médecin de notre employeur. Nombre de mes collègues ignoraient cela, personne ne les avait prévenues. C'est après l'accouchement qu'elles ont découvert que leur arrêt maladie avait été déduit de leurs vacances », poursuit-elle.
« Aujourd'hui, les choses ont changé et la plupart de mes jeunes collègues sont mariées et ont des enfants. Les femmes peuvent désormais prendre quatre mois de congé maternité », dit-elle.
Mme Flint souligne également que, pour faciliter la tâche aux couples de diplomates, le ministère suisse des Affaires étrangères a introduit ce qu'on appelle le « job-sharing ». Le couple n'est pas séparé. Il est basé dans une capitale et couvre plusieurs pays.
« Quand je vois que la profession a changé, je pense que c'est tant mieux pour les jeunes femmes. Les choses sont désormais plus faciles pour elles », ajoute-t-elle.

Le Liban, un choix
Malgré ces changements, il existe encore certaines lacunes en Suisse où la société n'est pas vraiment organisée pour que les femmes travaillent. Par exemple, les enfants vont à l'école, mais rentrent à midi. Cela oblige les mamans de rester à la maison, ou bien à trouver une aide de jour qui s'occupe des enfants jusqu'au retour de leur mère. Aussi, il y a relativement peu de crèches d'État et les crèches privées coûtent cher.
Les jeunes mères suisses donc, à moins qu'elles aient des ressources financières suffisantes, s'arrêtent de travailler durant quelques années puis reviennent à nouveau sur le marché du travail. Ce qui explique pourquoi il leur est difficile de faire carrière. Il y a moins de femmes en Suisse qui travaillent que dans les pays scandinaves.
Ruth Flint n'avait jamais mesuré ou même pensé aux difficultés, relatives à différentes questions familiales, qu'elle rencontrera durant son parcours. Elle n'a jamais pensé quitter le service diplomatique non plus. « La question ne s'est jamais posée pour moi. J'aime mon métier », dit-elle. Et pourtant, elle note qu'elle est devenue diplomate par hasard et ce n'est qu'après qu'elle a découvert à quel point le métier la fascinait.
« Au début, je n'avais pas l'ambition de devenir ambassadeur. J'avais suivi des études de sciences politiques parce que cela me passionnait. Je me disais que la carrière n'était pas importante, que je me marierai et que j'aurai des enfants. Après mes études, je suis partie à New York où j'ai travaillé deux ans dans le secteur privé. Un de mes anciens camarades d'études, qui faisait son stage à New York, m'a invitée à dîner et m'a présenté ses collègues diplomates. Même si je fais partie de la génération post 68, j'ai décidé de rentrer en Suisse et de me présenter au concours diplomatique », raconte-t-elle.
Mme Flint accomplit sa dernière mission diplomatique au Liban. C'est elle qui a choisi ce poste à Beyrouth et c'est pour la première fois qu'elle travaille au Moyen-Orient. « Nous recevons des listes de postes disponibles, j'ai choisi le Liban parce que le Sri Lanka (où elle a été ambassadrice de 2006 à 2010) a été une expérience tellement intense que j'ai décidé de poursuivre mon travail dans un pays qui grouille de vie. Pour moi, le Liban est passionnant pour diverses raisons. C'est une zone de rencontre, une sorte de plaque tectonique et c'est ce qui m'attire », dit-elle.
Quelles étaient ses premières impressions en arrivant à Beyrouth ? « J'étais ravie de venir au Liban. Ce qui était difficile au début, c'était que le Sri Lanka est un pays très vert et Beyrouth est une forêt de béton. Le trilinguisme des Libanais me fascine », confie-t-elle.
« Je vois toutes les raisons naturelles qui donnent des affinités entre la Suisse et Le Liban. Ce sont de petits pays, la Suisse francophone attire la diaspora libanaise et les Suisses sont attirés par le Liban. Nous sommes aussi divers que vous et nous avons voulu, comme vous, vivre ensemble malgré nos différences. Nous avons eu la chance de ne pas avoir été colonisés. Nous avons aussi en commun le besoin de liberté et de souveraineté. D'ailleurs, c'est l'une des raisons pour lesquelles la Suisse ne fait pas partie de l'Union européenne ; nous voulons être nos propres maîtres. »
Concernant les droits des femmes dans le pays, l'ambassadrice estime que pour changer les choses au Liban et permettre aux femmes de faire partie de la vie politique, il faut commencer par travailler sur le plan municipal. Elle souligne qu'il existe notamment dans ce cadre une association de femmes, présidée par Hayat Arslane. D'autre part, elle espère que la loi sur la nationalité sera bientôt amendée, car il n'est pas normal que les femmes libanaises ne puissent pas transmettre leur nationalité à leurs enfants. « Vu de l'extérieur, ce type de discrimination surprend, surtout venant d'un pays moderne comme le Liban. »
Ruth Flint aime la musique, la lecture, les voyages, le tourisme et l'archéologie. Sa mission au Liban lui permettra donc de découvrir les sites archéologiques de la région.
Elle aime aussi faire la cuisine, « quand mon emploi de temps le permet », note-t-elle. « Pour moi, c'est un luxe de m'occuper de ma famille, un véritable plaisir, une chose que je n'ai jamais pu faire. J'aime prendre soin des miens et de ma maison. J'aime aussi les beaux objets », dit-elle.
Mariée à un Britannique, Mme Flint est mère de deux enfants, une fille de 25 ans et un garçon de 23 ans. « À la maison, nous parlons l'anglais et nous sommes toujours rentrés en Suisse pour les vacances. Mes enfants ont plus de liens avec la Suisse qu'avec la Grande-Bretagne. Ma fille a fait ses études universitaires au Royaume-Uni, elle suit un master à l'Université de Lausanne, et mon fils cherche actuellement du travail entre Genève et Lausanne », dit-elle.
« Mon mari a quitté son travail pour me suivre. Il s'occupe de diverses manières et ne s'ennuie jamais », souligne-t-elle, en conclusion.
Ruth Flint, ambassadrice suisse, note d'emblée que la profession de diplomate se féminise. « En Suisse, il y a une proportion de plus en plus grande de femmes diplomates. C'est un peu grâce au fait que notre ministre des Affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey, œuvre pour l'entrée des femmes dans la carrière diplomatique », dit-elle. « En Suisse, même si la proportion des...