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Économie - Analyse

L’intelligence économique à l’épreuve des biais cognitifs

L'intelligence économique est un concept dont on parle beaucoup dans le monde des affaires. Elle est considérée comme un élément indispensable de l'arsenal stratégique des firmes. Elle consiste en effet à collecter l'information qui sert à la formation de leurs stratégies, à protéger leurs secrets et à influencer les acteurs qui sont à même de favoriser leurs visées. C'est donc à la fois un bouclier et une arme. Pour le grand public, intelligence économique rime le plus souvent avec espionnage industriel. Les spécialistes répliquent à cette accusation en soulignant que la première se déroule dans un cadre strictement légal alors que le second ne le fait pas. Reste que la ligne de démarcation entre les deux pratiques est souvent ténue et qu'il arrive à certaines firmes de franchir sans trop de problème le pas entre intelligence économique et espionnage industriel.
Au-delà de ces subtilités sémantiques, ce qui est vraiment intéressant dans la question de l'intelligence économique est la supposition que la dominance stratégique des firmes dépend de l'ampleur et de la qualité de l'information qui est recueillie. La mise en place de stratégie effective dépendrait donc d'une connaissance parfaite de l'environnement et c'est à ce niveau précis que le bât blesse. En effet, cette information vitale pour la stratégie des firmes est recueillie par des personnes sur instructions d'autres personnes qui leur précisent où elles doivent porter leur attention. Elle est ensuite dégrossie toujours par des personnes qui la transmettent de niveaux hiérarchiques en niveaux hiérarchiques jusqu'à ce qu'elle arrive au décideur. Au cours de son voyage au sein de l'organisation, l'information va se déformer. Les différents acteurs vont notamment avoir tendance à supprimer tous les détails qui ne leur semblent pas pertinents et à mettre en relief ceux qui favorisent leur discipline. Un ingénieur qui ne jure que par la rigueur des chiffres va par exemple éliminer tout élément qui ressort d'une appréciation qualitative de la situation. Une fois que cette information arrive au sommet, elle va être soumise à l'interprétation du décideur qui va avoir tendance à établir des relations de cause à effet qui peut être erronée (corrélations illusoires), à utiliser un petit nombre d'éléments pour établir ces rapports de causalité (loi des petits nombres), revenir à des situations qu'il connaît pour juger d'une nouvelle situation (ancrage), etc. Pour les spécialistes, nous souffrons de plus de vingt causes d'erreurs d'appréciations.
Cette situation a évidemment un impact important sur la formation des stratégies. L'aspect le plus important de la résolution stratégique de problèmes est en effet la définition de la nature des problèmes, or nos biais cognitifs ont une incidence sérieuse sur notre capacité à définir la réalité des problèmes. Des scientifiques écrivent même : « Nous avons réalisé que dans la plupart des cas, pour ne pas dire dans tous les cas, la résolution du problème ne dépend pas de la précision de la connaissance de la situation courante. »
Dans ces conditions, que reste-t-il de l'intelligence économique ? Elle ne ferait que produire une information sujette à des interprétations multiples alors qu'elle est censée transcrire la réalité. Cette complication porte cependant en elle sa propre solution : ces biais cognitifs qui donnent naissance à des approches distinctes du même problème ou qui font apparaître des problèmes de nature différente au sein d'une même situation obligent la firme à élargir le répertoire des solutions aux menaces possibles auxquelles elle pourrait faire face. Ce faisant, l'entreprise se protège mieux contre les aléas de l'environnement, ce qui est, somme toute, l'un des buts de l'intelligence économique.

*Spécialiste en stratégie et théorie des organisations - Centre de recherche, d'études et de développement (CRED) de l'ESA.

En coopération avec : l'ESA
L'intelligence économique est un concept dont on parle beaucoup dans le monde des affaires. Elle est considérée comme un élément indispensable de l'arsenal stratégique des firmes. Elle consiste en effet à collecter l'information qui sert à la formation de leurs stratégies, à protéger leurs secrets et à influencer les acteurs qui sont à même de favoriser leurs visées. C'est donc à la fois un bouclier et une arme. Pour le grand public, intelligence économique rime le plus souvent avec espionnage industriel. Les spécialistes répliquent à cette accusation en soulignant que la première se déroule dans un cadre strictement légal alors que le second ne le fait pas. Reste que la ligne de démarcation entre les deux pratiques est souvent ténue et qu'il arrive à certaines firmes de franchir sans trop de problème le pas...
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