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L’affaire des lignes de haute tension à Mansourieh-Aïn Najem : deux logiques inconciliables

Les effets sur la santé : que dit la science ?

Une des affiches créées à la demande des habitants pour dénoncer les risques des lignes de haute tension.

La principale cause de l'angoisse provoquée par l'installation de lignes de haute tension aériennes dans une région est celle de la peur d'éventuels effets sur la santé, plus particulièrement les leucémies des enfants, les cancers du cerveau et certaines maladies dégénératives comme l'alzheimer. Où en est la science dans la détermination des risques ? Il n'est pas facile de répondre à cette question hautement polémique dans le monde. Sans compter que les études effectuées jusque-là sont épidémiologiques, traitant de la fréquence de l'apparition de cas de leucémie à proximité des lignes de haute tension, sans que des expérimentations en laboratoire ou une explication médicale des raisons d'une possible corrélation n'aient encore été établies. Voici un point avec des experts et des rapports internationaux.
Il faut d'abord signaler qu'en 2002, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé le risque cancérogène des champs électriques et magnétiques statiques et d'extrêmement basses fréquences à 2B, c'est-à-dire que « l'agent est peut-être cancérogène pour l'homme ». Cette classification se situe entre « agent cancérogène » et « agent probablement cancérogène », d'une part, et « agent inclassable » et « agent probablement pas cancérogène », d'autre part. Elle signifie que l'organisation s'est appuyée sur un élément de preuve, dans ce cas épidémiologique, mais non clinique.
La principale maladie autour de laquelle tourne le débat est la leucémie lymphoblastique aiguë, le cancer le plus commun chez les enfants puisqu'il représente environ 30 % des cas dans la catégorie d'âge de moins de 15 ans, au Liban comme ailleurs. Pour résumer la situation, le Dr Peter Noun, pédiatre oncologue et président de la Société d'hématologie et de transfusion sanguine, souligne que de nombreuses études ont été effectuées en 30 ans, depuis la première étude par Weirtheimer et Leeper en 1979, sans pour autant trancher le débat. « En gros, les études effectuées aux États-Unis et en Europe n'ont pas montré une recrudescence très significative des cas de leucémie près des lignes de haute tension, alors que des études effectuées au Japon et en Iran ont donné des résultats plus frappants, dit-il. Peut-être que ces deux derniers pays sont plus densément peuplés et qu'il y a plus d'habitations à proximité des lignes, ce qui est un point commun avec le Liban. »
Deux grandes synthèses sont évoquées dans un article signé par le Dr Noun et le Dr Miguel Abboud : celle de Greenland, en 2000, qui reprend les données de 15 autres études, a conclu au fait que le risque de leucémie, selon les estimations, est de 1,7 fois plus élevé chez les enfants exposés à plus de 0,4 microtesla. Une seconde synthèse, celle d'Ahlbom, estime le risque à 2 fois plus élevé pour les enfants exposés à plus de 0,4 microtesla.
Après la classification du CIRC, deux grandes études sont à retenir, selon ce même document : celle de Draper (Grande-Bretagne), en 2005, et celle de Pour Feizi et Arabi en Iran, en 2007. La première a passé en revue tous les cas de cancer d'enfants en Angleterre et au pays de Galles durant 33 ans (de 1962 à 1995). L'étude a pris en compte la distance de la maison de ces enfants, à leur naissance, par rapport à une ligne de haute tension. Le risque de leucémie, selon les résultats de cette étude, est accru de 1,69 fois chez les enfants dans un périmètre de 200 mètres par rapport aux enfants vivant à plus de 600 mètres, et de 1,23 fois pour les enfants vivant entre 200 et 600 mètres. En conclusion, 1 % des leucémies dans cette région pourrait être attribué au champ magnétique des lignes de haute tension.
En Iran, où bien plus d'enfants vivent à proximité de ces lignes, les enquêteurs ont calculé que le risque de leucémie chez les jeunes vivant à 500 mètres (ou moins) de câbles de haute tension était multiplié par 8,67 ! Ces enfants iraniens sont exposés à plus de 0,45 microtesla.

Le « principe de prudence »
Les études épidémiologiques font face à des critiques, parfois pour leur approximation, ou alors pour le fait qu'elles ne sont pas encore appuyées par des données biologiques cliniques. C'est en grande partie ce manque de preuves qui a été invoqué par le ministre de la Santé Mohammad Khalifé, dans une récente conférence de presse avec le ministre Gebran Bassil, pour affirmer qu'il n'y a pas de justifications de la nocivité de l'exposition au champ électromagnétique.
Mais ce flou suffit-il pour déclarer que les études sont insuffisantes pour entretenir la controverse ? « Puisqu'il y a certaines études qui estiment le risque substantiel, il faut donc prendre ce facteur en considération, même si rien n'a encore été prouvé, estime le Dr Noun. Il existe déjà beaucoup de facteurs de risque autour de nous ; en cela, le Liban est comparable aux pays développés. Pourquoi ajouter un autre facteur de risque ? Pour ma part, j'incite à la prudence. »
Comment donc aborder un problème aussi complexe ? « Le problème des expositions aux basses fréquences est qu'on ne peut immédiatement assurer qu'il y a un risque à 100 %, explique le Dr Salim Adib, épidémiologiste, actuellement directeur de la santé publique à l'émirat d'Abou Dhabi. Pour cela, il aurait fallu une expérimentation avec des cobayes humains, ce qui est évidemment hors de question. Donc pour mesurer l'impact d'une exposition prolongée, il faut une observation qui se prolonge sur plusieurs années, comme cela était le cas pour d'autres problèmes de santé publique tels le tabagisme passif ou l'exposition à l'amiante. Il faut cependant constater que la controverse grandit pour tout ce qui concerne la famille des radiations non ionisantes, dont font partie les radiations électromagnétiques. »
« En fait, poursuit-il, dans de telles conditions, la santé publique s'appuie sur le principe de précaution : s'il y a n'importe quel risque, il s'agira alors de le minimiser et non de l'amplifier. Les autorités libanaises doivent se rendre compte que dans cinq ou dix ans, les preuves pourraient être si accablantes qu'il y aura dans le monde une interdiction de faire passer les lignes de haute tension en zone urbaine. Cela signifie que l'argent qu'ils refusent de dépenser aujourd'hui pour enfouir les lignes devra être déboursé à ce moment-là. À mon avis, ils ont l'opportunité de ne pas exposer des populations supplémentaires à ce risque. »
Le Dr Adib indique qu'il a adressé une note au ministre Bassil au début de son mandat pour l'inciter à adopter ce principe de prudence. « Je lui ai conseillé d'enfouir ces lignes au niveau de ce raccordement et de mettre au point un plan décennal visant à enterrer tout le reste, a-t-il dit. Selon moi, il traite cette question avec beaucoup de nonchalance. D'une part, il a accepté le risque et, d'autre part, il a rejeté le blâme sur la population. Je lui dis qu'au lieu d'être équitable sur des bases fausses, qu'il le soit dans le bon chemin. Sinon, la logique est boiteuse. »
La principale cause de l'angoisse provoquée par l'installation de lignes de haute tension aériennes dans une région est celle de la peur d'éventuels effets sur la santé, plus particulièrement les leucémies des enfants, les cancers du cerveau et certaines maladies dégénératives comme l'alzheimer. Où en est la science dans la détermination des risques ? Il n'est pas facile de répondre à cette question hautement polémique dans le monde. Sans compter que les études effectuées jusque-là sont épidémiologiques, traitant de la fréquence de l'apparition de cas de leucémie à proximité des lignes de haute tension, sans que des expérimentations en laboratoire ou une explication médicale des raisons d'une possible corrélation n'aient encore été établies. Voici un point avec des experts et des rapports internationaux. Il...