Rechercher
Rechercher

L’affaire des lignes de haute tension à Mansourieh-Aïn Najem : deux logiques inconciliables - Polémique

L’affaire des lignes de haute tension à Mansourieh-Aïn Najem : deux logiques inconciliables

L'affaire de l'installation de câbles de 220 kilovolts dans la région de Mansourieh-Aïn Najem s'envenime : entre les craintes des habitants, fondées sur trente ans d'études internationales concernant de possibles effets sur la santé, et un ministère qui soutient que les preuves ne sont pas suffisantes pour bloquer un projet national, le bras de fer se poursuit.

L’éventuel risque de la proximité des lignes de haute tension et de l’exposition au champ magnétique, un débat qui se poursuit.

De la fenêtre d'un appartement de Aïn Najem (Metn), une habitante montre du doigt le pylône géant de plus de 50 mètres de haut. Ses bras de colosse ne portent pas encore les lourds câbles qui feront passer un courant de 220 kilovolts. Et pour cause : les habitants de ce quartier, alertés des possibles effets des lignes de très haute tension sur la santé, résistent par tous les moyens au raccordement de ce tronçon d'un peu moins de deux kilomètres, qui est le dernier d'un réseau national de lignes de haute tension. L'affaire dure depuis 1998, depuis l'annonce du tracé de la ligne, et la pression va croissant.
Il n'y a pas que les habitants qui remettent en cause le projet. Cinq écoles abritant des milliers d'élèves se trouvent dans la même région. Lors des nombreux sit-in effectués pour protester contre l'imminence de l'installation des câbles, des responsables d'école et des élèves avaient répondu présent en grand nombre. En effet, les études épidémiologiques faites dans le monde portent principalement sur les risques de leucémie chez des enfants (voir encadré).
« Il y a déjà des lignes de haute tension de 66 kilovolts et de 150 kilovolts qui passent par là, dénonce Carole Ibrahim, qui s'est exprimée à L'Orient-Le Jour au nom du comité des habitants de Aïn Najem. Nous ne pouvons cautionner le passage d'une ligne de 220 kilovolts près de chez nous ! »
Les habitants et le ministère ne sont pratiquement d'accord sur rien : ni le nombre réel d'appartements affectés, ni les dangers d'une exposition prolongée, ni le seuil de tolérance et la distance minimum aux pylônes, ni la solution à adopter... Les deux parties nous ont confirmé que les réunions se sont multipliées entre le ministre de l'Énergie et des Ressources hydrauliques Gebran Bassil et des représentants de la population, sans résultat.
Pour sa part, Carole Ibrahim nous tend un épais dossier contenant de multiples études sur une possible corrélation entre l'exposition prolongée au champ électromagnétique et l'apparition de cancers et autres maladies, notamment des leucémies chez les enfants, qui sont parfois multipliées par deux ou plus à proximité des lignes. Pour elle, ces nombreuses études entretiennent assez le doute pour que l'État évite d'exposer des habitants au danger. « Nous ne voulons pas que nos enfants vivent dans un laboratoire et qu'on prouve dans quelques années que les craintes étaient effectivement fondées », dit-elle.
Ce n'est pas l'avis de Claude Abou Khalil, conseiller du ministre Bassil. « Même les études qui sont les plus favorables à leur thèse reconnaissent qu'il n'y a de preuves ni d'un côté ni de l'autre, dit-il. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), sur 49 000 cas de leucémie dans le monde, seul 0,2 % aurait concerné des enfants vivant à proximité de lignes de haute tension. Une récente étude canadienne a jugé le risque insignifiant. Pour nous, ce n'est pas assez pour garder inachevé ce réseau de 220 kilovolts dont 1 247 kilomètres ont déjà été installés et dont il ne reste plus que 1,9 kilomètre dans cette région. C'est un projet vital pour le Liban qui augmenterait la production de 1 500 mégawatts aujourd'hui à 4 000 mégawatts, reliant le Liban aux autres pays et profitant notamment aux habitants du Metn, déjà sursaturé. » (Pour le détail des études et l'avis des experts, voir encadré).

Le nombre d'habitants affectés et les normes adoptées
Le nombre d'appartements qui risquent d'être affectés par la proximité des lignes de haute tension à Mansourieh-Aïn Najem ne fait pas l'unanimité. Les habitants parlent de dizaines de bâtiments qui sont concernés et de plusieurs écoles, à Aïn Najem seulement. Certains rappellent la présence des deux projets maronites de coopératives d'habitats qui se trouvent en contrebas et au-dessus desquels passent la ligne de 150 kilovolts et celle de 220 kilovolts. Quatre familles auraient déjà abandonné leurs foyers par peur des effets sur la santé et à cause du bruit incessant causé par la ligne de 150 kilovolts, alors que les câbles plus puissants n'ont même pas encore été installés, nous dit-on.
Par ailleurs, les habitants nient catégoriquement avoir acheté leurs appartements en connaissance de cause. Ils soulignent que les écoles existent depuis les années 70 et qu'elles n'étaient pas au courant du projet et de ses risques quand ils ont acquis leurs biens, se demandant quels critères ont été pris en compte par l'État quand il a décidé de ce tracé des lignes et quand il a procédé aux expropriations en 1998.
Le ministère nie en bloc ces affirmations. « Il faut savoir que pour décider du cas des populations exposées au champ électromagnétique, il ne s'agit pas de calculer la distance en mètres, mais en intensité du champ, qui se calcule en microteslas, explique César Abou Khalil, conseiller du ministre de l'Énergie et des Ressources hydrauliques. À ce niveau, nous avons adopté les standards de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), qui fixent le seuil de tolérance à 100 microteslas. Or, grâce à des simulations que nous avons effectuées sur le terrain, nous avons réduit la zone touchée à sept immeubles, dont trois n'existaient pas quand le plan a été établi et les expropriations effectuées. Nous avons trouvé qu'il y a un seul appartement assez proche pour être exposé à 2,2 microteslas. Et selon nos calculs, même si toute l'électricité du Liban passait par ce câble, cet appartement ne subirait pas plus de 22 microteslas, c'est-à-dire bien moins que la norme internationale, et à peine équivalant à ce que nos téléphones portables dégagent tous les jours. »
Le comité des habitants de Aïn Najem, dans un récent communiqué où il répond au ministre Gebran Bassil, fait remarquer que ce seuil de 100 microteslas ne vaut pas pour tous les cas, puisque, selon les mêmes autorités de référence citées par le ministère, l'exposition prolongée des enfants ne doit pas dépasser les... 0,4 microtesla. Preuve en est, c'est le seuil évoqué dans les études sur les leucémies infantiles. Pour les habitants, le seuil des 100 microteslas ne concerne pas l'exposition à long terme, surtout pas celle des enfants ou des bâtiments dits à usage sensible, comme les logements, les crèches, les garderies, les écoles, les hôpitaux...

Aucune alternative ?
Dans un tel contexte d'incertitude, pourquoi le ministère a-t-il choisi de prendre le risque d'installer les câbles ? « Pour nous, il ne s'agit pas d'un risque puisque le préjudice n'est pas prouvé et que nous respectons les normes mondiales (voir encadré) », affirme César Abou Khalil. Mais que fait-il de l'angoisse bien réelle dans laquelle vivent les habitants ? « Si nous ne voulions pas tenir compte de l'angoisse des gens et de notre propre souci pour leur santé, nous n'aurions pas passé une année et demie à examiner toutes les alternatives, répond-il. Mais il n'y a pas d'alternative qui ne soit pire que celle-là. »
Dans sa dernière conférence de presse, le ministre Bassil avait fait allusion à d'éventuelles campagnes politiques sous-jacentes derrière le mouvement de protestation des habitants. Or, ces derniers, interrogés sur la question, se disent eux-mêmes en majorité non loin de la mouvance aouniste (donc le camp politique du ministre). Ils reprochent même aux députés du Bloc du changement et de la réforme (bloc aouniste) de les avoir longtemps soutenus avant de changer de position depuis l'accès de Gebran Bassil au ministère de l'Énergie et des Ressources hydrauliques. « Nous ne nions pas que nos députés aient longtemps porté l'étendard de cette cause, souligne César Abou Khalil. Sans eux, il n'y aurait pas eu un examen si approfondi du problème. »
Mais on en est au même point... « C'est vrai, reconnaît-il. Cela est dû au fait que nous n'avions pas les données suffisantes à ce moment-là. Aujourd'hui, nous sommes convaincus que le risque n'est pas fondé. Pour nous, c'est une question technique, pas politique. » Il refuse de dire si le ministre pointait du doigt d'autres forces politiques menant cette campagne, mais évoque « ces manifestants encagoulés qui brûlaient des pneus et qui n'habitent même pas le quartier ».
Nous nous sommes tournés vers une figure dorénavant familière des sit-in de Mansourieh, Eddie Abillamaa, membre du conseil exécutif des Forces libanaises (FL). Ne pense-t-il pas que sa présence et celle d'autres hommes politiques contribuent à politiser l'affaire ? Il nie d'emblée que le soutien des FL et d'autres partis comme les Kataëb à la cause des habitants ait un quelconque caractère politique. « Notre soutien à cette cause a commencé avant l'arrivée du ministre Gebran Bassil à ce poste et se poursuivra après ; il n'est pas dirigé contre lui, souligne M. Abillamaa. Au contraire, à une époque antérieure, nous étions devancés par les députés du Bloc du changement et de la réforme. C'était pratiquement la seule affaire où nous étions sur la même longueur d'onde. Mais ils ont changé de position. Aujourd'hui, nous disons au ministre : modifiez ce projet et nous serons les premiers à applaudir. »

Un avenir incertain
Après l'échec de la dernière tentative d'installer les câbles par l'entrepreneur égyptien mandaté par l'Électricité du Liban (EDL) et les nombreux sit-in des habitants ces dernières semaines, que pourrait-il se passer à partir de maintenant ? César Abou Khalil affirme que le dialogue se poursuit avec les habitants. « Nous les contactons tous et leur expliquons notre point de vue sur la faiblesse du risque, explique-t-il. Nous remarquons que beaucoup commencent à concevoir la question autrement. Mais en fin de compte, il faudra faire ce raccordement sans lequel la boucle ne sera pas bouclée au niveau de ce réseau national. Et sans cela, nous ne pouvons augmenter l'alimentation en électricité du pays. »
À l'opposé, Eddie Abillamaa assure que, selon ses contacts, des habitants pourraient avoir recours à une action en justice auprès du Conseil d'État ou du juge des référés pour protester contre l'installation des câbles si celle-ci avait lieu.
De la fenêtre d'un appartement de Aïn Najem (Metn), une habitante montre du doigt le pylône géant de plus de 50 mètres de haut. Ses bras de colosse ne portent pas encore les lourds câbles qui feront passer un courant de 220 kilovolts. Et pour cause : les habitants de ce quartier, alertés des possibles effets des lignes de très haute tension sur la santé, résistent par tous les moyens au raccordement de ce tronçon d'un peu moins de deux kilomètres, qui est le dernier d'un réseau national de lignes de haute tension. L'affaire dure depuis 1998, depuis l'annonce du tracé de la ligne, et la pression va croissant. Il n'y a pas que les habitants qui remettent en cause le projet. Cinq écoles abritant des milliers d'élèves se trouvent dans la même région. Lors des nombreux sit-in effectués pour protester contre l'imminence de...