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La diplomatie au féminin

Eva Maria Ziegler : la diplomatie est un métier qui sied aux femmes

Eva Maria Ziegler, ambassadrice d'Autriche, est arrivée au Liban en juin 2008. Affable, souriante, authentique, réceptive à tout et sensible aux moindres détails, Mme Ziegler s'intéresse aussi bien à la politique qu'à la vie sociale et à l'urbanisme au Liban. Diplomate et musicienne de formation, elle veut promouvoir son pays, notamment à travers la culture et la musique. Dans le cadre de notre série d'entretiens sur les femmes ambassadeurs en poste à Beyrouth, Mme Ziegler a voulu encourager les Libanaises à prendre leur destin à bras-le-corps.

Ancienne élève de l’Académie de musique de Vienne, l’ambassadrice d’Autriche chante pour promouvoir son pays.

Féministe dans l'âme, l'ambassadrice d'Autriche, Eva Maria Ziegler, voudrait voir la situation des femmes libanaises s'améliorer. Elle souligne dans ce cadre qu'elle a connu la société turque durant les années quatre-vingt. À cette époque-là, les Turques étaient beaucoup plus indépendantes que les Libanaises actuellement, dit-elle.
Mme Ziegler raconte que les femmes chefs de mission diplomatique au Liban se réunissent une fois par mois pour évoquer des dossiers libanais, notamment la situation des femmes dans le pays, qu'elle qualifie « d'étonnante ». « Nous avons l'impression que mises à part quelques activistes, les femmes au Liban n'œuvrent pas à améliorer leur situation. Il est vraiment dommage qu'il n'y ait pas beaucoup de femmes qui luttent pour leurs propres droits dans ce pays », dit-elle.
L'ambassadrice d'Autrice estime que si les femmes ne se battent pas assez pour faire valoir leurs droits, c'est soit parce qu'elles sont issues de familles aisées et trouvent toujours des solutions à leurs problèmes et ne sentent donc pas la nécessité de changer les choses, soit qu'elles appartiennent à des milieux pauvres et n'ont pas les moyens de se battre pour changer les choses.
Mme Ziegler connaît toutes les lois libanaises discriminatoires à l'encontre des femmes, à commencer par celles qui se rapportent au statut civil, à l'octroi de la nationalité ou au congé maternité. Elle appelle à l'instauration d'un système de quota pour que les femmes puissent être représentées dans la vie politique. À plusieurs reprises, elle donne l'exemple du Pakistan, « un pays musulman où les femmes ont réussi à se faire entendre », dit-elle.

Quota et crèches
« Le quota parlementaire existe au Pakistan et en Scandinavie, mais ce n'est pas le cas en Autriche. Notre Parlement actuel compte 27 % de femmes, et ceci n'est pas fameux », souligne-t-elle, évoquant le problème des femmes en Europe, notamment dans « les pays dits catholiques comme l'Autriche, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne ». « En Europe, le problème se pose quand les femmes ont une double responsabilité, celle du travail et celle des enfants. Et assez souvent, il faut faire un choix. En Allemagne, par exemple, les statistiques soulignent que 60 % des femmes universitaires ne se marient plus, certaines ont des enfants sans se marier. Pour les hommes, ce choix ne se pose jamais », indique-t-elle.
« En Autriche, la plupart des crèches ferment leurs portes à 14 heures. Dans les pays dits catholiques, les femmes sont culpabilisées si elles reprennent leur travail six mois après leur accouchement. Le taux de fertilité dans ces pays est beaucoup moins élevé que dans les pays où il existe un réseau de crèches, comme la Scandinavie et la France », dit-elle.
En Europe, il y a des femmes qui ont bénéficié d'une très bonne formation universitaire, qui ont fait cinq ou six ans d'études et qui s'arrêtent de travailler pour s'occuper de tâches domestiques, ajoute-t-elle. Souriant, elle enchaîne : « Je n'ai pas eu à faire le choix, j'ai aimé mon métier ou peut-être que je n'ai pas trouvé la personne adéquate pour partager ma vie avec elle. Je ne me plains pas parce que j'ai eu autre chose en contrepartie. »

Intelligence émotionnelle et facilité d'adaptation
Mme Ziegler est juriste ; elle détient un doctorat en jurisprudence et un DESS en management culturel. Elle a aussi suivi des études de chant.
« J'aurais bien voulu travailler dans le domaine de la gestion culturelle, mais ce n'était pas facile. La porte était presque fermée aux femmes. En Autriche, il n'y a très peu de femmes chefs de festival ou chefs de maison d'opéra. Comme mon père était diplomate et comme j'aime bouger et relever le défi de recommencer tous les quatre ans dans un environnement complètement différent et de rencontrer de nouvelles personnes, j'ai donc opté pour le même métier que lui », raconte-t-elle.
Elle souligne que le ministère autrichien des Affaires étrangères compte environ 30 % de femmes ambassadeurs et directeurs généraux.
« Le métier se féminise de plus en plus parce que les Autrichiennes osent entrer dans le corps diplomatique et aussi parce que nous avons eu deux ministres femmes des Affaires étrangères qui ont poussé le quota féminin au sein du ministère et qui ont nommé des ambassadeurs femmes dans les grandes capitales, notamment à Washington, à Londres, à Paris et à Moscou », indique Mme Ziegler.
« Les femmes sont très habilitées à faire ce genre de métier grâce à leur intelligence émotionnelle, leur facilité d'adaptation et leur capacité d'écouter les autres. Le seul problème qui se pose, même si la tendance est en train de changer en Occident, c'est qu'il est plus facile pour un homme de trouver une femme qui le suive que vice versa, du fait qu'il est difficile qu'un homme accepte de mettre un terme à sa carrière pour suivre sa femme diplomate », explique-t-elle.
« Les femmes diplomates réagissent mieux aux autres et peuvent sourire pour adoucir une situation. Elles peuvent parfois disposer d'informations que les hommes ne réussissent pas à avoir, relève Mme Ziegler. Il est plus facile d'être une femme parfois. Avec du charme, on peut dire des choses qu'un homme ne dirait pas. Le ton fait la musique, dit-on en allemand. »
« Mais aussi, souvent, les femmes n'ont pas assez confiance en elles-mêmes, se remettent en question, se demandent si elles sont prêtes à postuler à tel ou tel poste, si elles ont assez d'expérience pour cela, ajoute Mme Ziegler. Je n'ai jamais vu un homme se poser de telles questions. » « Même s'il n'est pas prêt pour le poste, il ne doute jamais de lui-même », poursuit-t-elle.

Première mission d'ambassadeur à Beyrouth
Mme Ziegler remplit sa première mission d'ambassadrice à Beyrouth. « Avant ce poste, j'étais consule générale à Milan, chargée du nord de l'Italie, un pays qui m'a préparée à la mentalité méditerranéenne », raconte-t-elle. Elle avait déjà travaillé à Vienne, Bonn et Bruxelles.
« C'est l'ancienne ministre Ursula Plassnik qui m'a nommée à Beyrouth, indique-t-elle. Ici, les difficultés et les dangers sont les mêmes pour un homme que pour une femme diplomate. Mes interlocuteurs me respectent pour la position que j'occupe, et puis, quand on a de bons arguments, on est respecté », ajoute-t-elle.
Mme Ziegler a appris qu'elle occupera un poste à Beyrouth en avril 2008. Elle est arrivée au Liban le 1er juin de la même année. « D'un côté, c'était un défi, et de l'autre, j'étais un peu préoccupée à cause des évènements de mai 2008 », dit-elle.
Évaluant sa mission, elle déclare : « L'Autriche est membre observateur à l'Organisation de la francophonie, mais n'est pas un pays francophone. Il est difficile de trouver une spécialité qui permet de se faire remarquer, surtout avec l'importante influence de la France et de la Suisse. Il faut trouver une petite niche ; j'essaie un peu avec la musique. Comme je chante moi-même, je participe à des concerts. »
Elle énumère fièrement les endroits où elle a déjà donné des concerts, notamment l'auditorium Pierre Abou Khater à l'USJ avec le conservatoire national, Notre-Dame de Jamhour dans le cadre des activités des Flâneries autour du monde, et le centre culturel allemand à Jounieh.

Chanter, une façon de faire connaitre l'Autriche au Liban
Une pointe d'humour dans la voix, elle indique : « Au lieu de donner un discours de trente minutes qui ennuierait tout le monde, je préfère chanter. Je ne chante que des compositeurs autrichiens, notamment Haydn, Mozart et Schubert. C'est ma façon de faire connaitre l'Autriche au Liban. »
« J'ai fait six années d'études à l'académie de musique de Vienne et j'ai toujours continué à entrainer ma voix, mais jamais autant qu'à Beyrouth. Les gens sont étonnés de voir l'ambassadrice d'Autriche chanter », dit-elle, amusée.
Mme Ziegler aime la natation. Elle nage soit dans un club sportif à côté de chez elle à Achrafieh, soit dans les centres balnéaires où elle se rend avec des amis. Elle aime les activités culturelles et se rend souvent aux soirées du conservatoire national organisées à l'USJ. Elle apprécie les randonnées et voyage pour découvrir la région. Depuis le début de sa mission au Liban, elle s'est rendue en voiture en Syrie durant dix jours avec une amie viennoise. Elle a découvert la Jordanie avec ses parents en tour organisé.
Sensible à la nature et au patrimoine culturel libanais, elle s'insurge contre la construction des tours en béton, parle d'anciennes photos d'Antélias durant le débarquement des marines en 1958 où l'on ne voyait qu'une côte sablonneuse et des orangeraies, et évoque les vieilles maisons que l'on détruit à Achrafieh dans le quartier où elle habite. « En deux ans, depuis mon arrivée, ce changement est perceptible. Je m'imagine comment ça a dû être avant, et cela m'attriste », ajoute-t-elle.
Même si elle s'est fait des amies libanaises avec lesquelles elle est sur la même longueur d'onde, l'ambassadrice d'Autriche a été un peu choquée par l'apparence des femmes au Liban, « par ces visages opérés et cette pression d'une jeunesse éternelle ». « Il m'a fallu du temps pour le comprendre... C'est un peu de superficialité mélangée au souci et à la pression de plaire d'être tout le temps belle. On peut être élégante mais on peut quand même vieillir en dignité », assure-t-elle.
Mais malgré tout, l'ambassadrice d'Autriche dit qu'elle « se trouve bien au Liban ». « J'admire la résistance du peuple libanais et l'énergie qu'il a de recommencer à nouveau après chaque crise »,
souligne-t-elle en conclusion.
Féministe dans l'âme, l'ambassadrice d'Autriche, Eva Maria Ziegler, voudrait voir la situation des femmes libanaises s'améliorer. Elle souligne dans ce cadre qu'elle a connu la société turque durant les années quatre-vingt. À cette époque-là, les Turques étaient beaucoup plus indépendantes que les Libanaises actuellement, dit-elle. Mme Ziegler raconte que les femmes chefs de mission...