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La diplomatie au féminin - Interview

L’ambassadrice du Pakistan, une femme de tête qui consacre son temps libre à ses enfants

Beaucoup d'énergie, des yeux pétillants, un grand rire et une forte personnalité. L'ambassadrice du Pakistan, Ranaa Rahim, qui a entamé sa mission au Liban en octobre 2009, est une femme de tête qui ne mâche pas ses mots. Fière de son pays, elle parle du cheminement des Pakistanaises et souhaite que les femmes libanaises parviennent un jour à faire respecter leurs droits. Dans le cadre d'une série d'interviews données par les ambassadrices en poste au Liban, Mme Rahim a évoqué avec « L'Orient-Le Jour » sa carrière diplomatique et sa vie privée.

Mme Rahim et son époux se sont connus au Pakistan. Ils ont deux enfants, Aïcha 6 ans et Ahfaz 3 ans. M. Rahim vit aux Émirats arabes unis. Le couple se voit en week-end et durant les vacances.

Bien qu'elle soit féministe jusqu'au bout des ongles, l'ambassadrice du Pakistan au Liban, Ranaa Rahim, préfère parler de sa carrière en tant que diplomate simplement et non en tant que femme ou homme du métier. « Nous nous considérons comme des personnes professionnelles et nous ne nous positionnons pas en tant que femmes ou hommes ambassadeurs », explique-t-elle.
D'ailleurs, dans sa carrière, son exemple à suivre était un homme. Un ambassadeur avec lequel elle avait travaillé alors qu'elle était jeune diplomate à Paris. « Jamshed Marker était un diplomate remarquable, le premier ambassadeur avec lequel j'avais travaillé. C'était un homme d'affaires à la base et il avait été nommé ambassadeur en 1964. Il vit actuellement en Floride », dit-elle.
Interrogée sur sa mission au Liban, elle indique : « Pour moi, en tant que femme, il m'est confortable de travailler dans ce pays. »
C'est que Mme Rahim avait été nommée pour la première fois ambassadrice dans un pays difficile, notamment pour les femmes : le Turkménistan. « J'avais beaucoup apprécié cette mission. Même là-bas, en tant que femme ambassadeur, je n'avais jamais senti que c'était vraiment difficile. À l'époque, nous étions deux chefs de mission femmes, moi-même et l'ambassadrice des États-Unis. Nous étions très proches l'une de l'autre parce que nous étions les seules femmes ambassadeurs », raconte-t-elle.
Avant le Tukménistan, Mme Rahim avait été consule générale à Los Angeles. Elle avait également travaillé au consulat pakistanais à Dubaï et avait rempli deux postes à Paris.
L'ambassadrice du Pakistan a elle-même cherché à travailler au Liban. « J'ai choisi ce pays parmi la liste qui m'avait été donnée. Le Liban est très intéressant sur le plan professionnel. Il constitue la base de tout ce qui se passe au Moyen-Orient. Je ne considère pas ma mission comme difficile », estime-t-elle, soulignant qu'avant « de quitter le Pakistan, beaucoup lui avaient dit que le Liban était l'un des plus beaux pays du monde, ayant une très bonne cuisine et une population très accueillante, je n'ai donc pas été surprise ».

Femme diplomate : une valeur ajoutée
Mme Rahim « ne pense pas qu'être une femme diplomate soit un avantage, mais une valeur ajoutée ». « En tant que femmes, nous fournissons un travail double, dans un sens qu'il faut aussi que nous nous occupions de nos enfants, de notre mari, de notre maison et que nous assumions notre vie sociale. Nous devons donc travailler sur plusieurs plans et cela demande beaucoup d'efforts », dit-elle, ajoutant : « Nous exerçons donc deux métiers. Pour les hommes ambassadeurs, si leurs femmes partent en mission avec eux, leur vie est de loin plus facile que la nôtre car c'est leur épouse qui s'occupe de la maison, des enfants et de la vie sociale. »
Pour illustrer encore la différence entre un homme et une femme ambassadeurs, Mme Rahim raconte qu'elle a reçu une journaliste qui préparait une série d'articles sur la gastronomie internationale. « Cette journaliste avait interviewé déjà des épouses d'ambassadeur en poste au Liban. Elle voulait que je lui parle de la cuisine pakistanaise parce que j'étais une femme et j'ai fait cela. Je l'ai invitée à la résidence, je lui ai parlé de la cuisine et je lui ai préparé des plats pakistanais parce que le cuisinier de l'ambassade était en vacances. Je suis diplomate et j'ai du travail à faire ; mais aussi quand il s'agit de ce genre de tâches, je dois être présente à la maison », explique-t-elle. « C'est ce que généralement les hommes ambassadeurs ne font pas. Je cumule donc deux emplois », dit-elle.
Elle cite un autre désavantage : « Quand on part en mission, la famille ne suit pas toujours. »
L'ambassadrice du Pakistan, qui vit loin de son époux, souligne : « Quand votre mari travaille, il ne peut pas changer de pays et d'emploi tous les trois ans. Ceci s'applique également aux hommes ambassadeurs, dont les femmes ne restent pas avec eux parce qu'elles ont leur propre métier. »
L'époux de l'ambassadrice du Pakistan travaille actuellement à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis. « Ce n'est pas très loin de Beyrouth », note-t-elle. Il vient souvent au Liban et elle part chez lui avec leurs deux enfants, Aïcha, qui aura six ans en mars, et Ahfaz trois ans.

Un groupe d'ambassadrices
Mme Rahim évoque aussi les autres ambassadrices femmes en poste à Beyrouth. « Au Liban, j'étais très agréablement surprise de voir à mon arrivée qu'il y avait plus de femmes ambassadeurs qu'au Turkménistan. Nous sommes un bon groupe. Nous nous rencontrons très souvent et nous sommes très professionnelles dans notre approche. Nous nous réunissons pour un déjeuner et nous prenons l'occasion de discuter du Liban, des dossiers de femmes dans le pays, nous parlons de tout un éventail de choses. Assez souvent nous invitons un notable libanais ou une personne très active dans la société civile. Nous discutons des dossiers et essayons de voir comment nous pouvons aider dans la mesure du possible », raconte-t-elle.
Évoquant les liens tissés, elle souligne que « l'ancienne ambassadrice de Norvège, Lise Norheim, qui a achevé sa mission au Liban l'année dernière, avait indiqué avant de partir que l'un des points les plus positifs de sa mission était d'avoir connu le groupe que nous constituons. Nous ne nous posons pas en compétitrices et nous nous entraidons ».
Elle donne l'exemple dans ce cadre d'un événement académique marquant le 133e anniversaire de l'un des plus importants penseurs pakistanais, Mohammad Ikbal, organisé en coopération avec l'ambassade d'Allemagne, qui a pour chef de mission Birgitta Siefker-Eberle, en novembre dernier.
« Nous sommes sur la même longueur d'onde et avons toutes les deux compris l'importance du volet académique. Nous sommes des amies et cela aide pour mettre en place ce genre de projets », explique-t-elle.
L'ambassadrice du Pakistan estime que s'il y a de plus en plus d'ambassadrices, c'est parce que les attitudes sont en train de changer vis-à-vis des femmes qui travaillent, et ces dernières progressent ainsi dans cette carrière. Elle donne l'exemple du Pakistan. « Nous sommes un pays musulman. Jusqu'en 1973, on ne permettait pas aux femmes de travailler au service étranger car on pensait qu'elles ne pouvaient pas voyager seules ou qu'elles étaient incapables de remplir seules un mandat à l'étranger. Heureusement, les choses ont changé. Jusqu'à l'année dernière, presque dans toutes les capitales européennes importantes, les ambassades du Pakistan avaient des femmes comme chefs de mission », note-t-elle. « Mais parfois, souligne-t-elle, les femmes ne choisissent pas de joindre le service des Affaires étrangères parce qu'elles ne veulent pas perturber leur vie de famille. Beaucoup d'entre elles se marient avec leurs collègues et optent ainsi pour des postes de junior. »
Mme Rahim a joint le service civil de son pays il y a trente ans, en 1980. « Je terminais mes études quand je suis entrée dans l'administration après un diplôme de relations internationales et d'histoire. À l'époque, il n'y avait pas beaucoup de femmes au service des Affaires étrangères, mais nous étions une bonne équipe », dit-elle.
En réponse à une question, elle souligne : « Je pense que les femmes ont à se prouver beaucoup plus que les hommes, elles doivent travailler beaucoup plus qu'eux, et cela à cause des attitudes et des habitudes... Certains se disent quand ils vous regardent : c'est une femme et peut-être qu'elle sera incapable de faire ce métier. Et s'il y a une femme qui fait du mauvais travail, certains diront que c'est parce que c'est une femme (dans l'absolu), mais non parce que la personne en question est incompétente. Ceci ne s'applique pas aux hommes. » « Chaque femme doit donc se prouver pour se faire respecter, mais il faut savoir aussi qu'une fois que vous vous êtes prouvée, vous êtes reconnue et vous travaillez plus confortablement », poursuit-elle.

L'épouse de l'ambassadeur
A-t-elle eu à faire ses preuves au Liban ? Sur le plan officiel, il ne lui a pas été difficile de traiter avec les présidents, les ministres et les députés. « Le gouvernement libanais et le leadership du pays vous traitent en fonction de votre pays, des relations que votre pays entretient avec le Liban, et non par rapport au fait que vous soyez un homme ou une femme », explique-t-elle.
« Certaines personnes sont contentes de savoir que je suis ambassadrice car je viens d'un pays en développement, d'un pays oriental. Elles s'attendent à voir des femmes ambassadeurs venues de pays occidentaux, la plupart de mes collègues femmes étant originaires d'un pays européen », dit-elle.
Et pourtant, certains se trompent encore et la prennent pour l'épouse de l'ambassadeur. L'ambassadrice du Pakistan, qui a deux enfants en bas âge et qui jongle avec ses horaires pour passer quelque temps avec son mari vivant à Abou Dhabi, résume la situation : « Je m'occupe de la maison, de ma famille, je m'acquitte parfois de tâches qui incombent à une épouse d'ambassadeur, je fais mon travail au bureau, je remplis mes obligations en allant à des réunions et des réceptions, et je croise parfois dans des dîners des personnes qui s'exclament : "Ah, l'ambassadeur n'est pas en ville !", me prenant pour son épouse, ce à quoi je réponds : "Je suis l'ambassadeur".»
Interrogée sur ses passe-temps favoris, Mme Rahim indique que ses enfants constituent pour le moment son seul hobby.
Sa fille Aïcha et son fils Ahfaz sont scolarisés à l'ACS. De temps à autre, elle va les attendre à la sortie de l'école et elle participe à toutes les réunions de parents. « J'y vais parce que mes enfants sont très importants pour moi. Je leur consacre tout mon temps libre », dit-elle. « J'ai mes réceptions et mes dîners, et je dois remplir mes fonctions officielles, mais quand j'ai du temps libre, j'organise des programmes avec eux, je vais à des endroits qu'ils aiment, surtout en week-end », ajoute-t-elle.
Mme Rahim a rencontré son mari au Pakistan. Ils se sont mariés et ont vécu plusieurs années ensemble dans leur pays natal avant qu'il ne parte pour Dubaï où elle a pu travailler au consulat. Mutée à Los Angeles, il lui a été difficile de retrouver son mari souvent. Elle se souvient qu'uniquement une heure de vol la séparait de son époux quand elle était au Turkménistan. Aujourd'hui, il faut compter 3 heures de vol entre Beyrouth et Abou Dhabi, indique-t-elle.
« Finalement, mon mari et moi aimerions passer tout notre temps ensemble », dit-elle, mais elle s'empresse de positiver : « Nous avons les week-ends et les vacances. Dans la vie, il faut faire des compromis et les femmes en font beaucoup plus que les hommes. »
Bien qu'elle soit féministe jusqu'au bout des ongles, l'ambassadrice du Pakistan au Liban, Ranaa Rahim, préfère parler de sa carrière en tant que diplomate simplement et non en tant que femme ou homme du métier. « Nous nous considérons comme des personnes professionnelles et nous ne nous positionnons pas en tant que femmes ou hommes ambassadeurs », explique-t-elle. D'ailleurs, dans sa...