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La diplomatie au féminin

D’origine libanaise, l’ambassadrice de Colombie remplit sa première mission à Beyrouth

Poignée de main chaleureuse, sourire éclatant et rire communicatif. L'ambassadrice de Colombie, Rida Aljure Salame, parle avec enthousiasme de son mandat au Liban. Pour elle, ce n'est pas une mission ordinaire. Née en Colombie de la troisième génération d'émigrés, Mme Aljure Salame est d'origine libanaise.

Mme Aljure Salame (deuxième à droite) rendant visite au père Dario Escobar, le seul ermite colombien habitant la vallée sainte de Qadisha.

Dans le cadre de notre série d'interviews avec les femmes ambassadeurs en poste au Liban, l'ambassadrice de Colombie à Beyrouth, Rida Aljure Salame, expose à L'Orient-Le Jour son parcours professionnel et personnel qui nous paraît d'autant plus intéressant qu'elle est d'origine libanaise, au niveau des deux branches de sa famille, sans compter qu'elle a visité à plusieurs reprises le Liban avant d'entamer sa mission diplomatique.
L'ambassadrice Aljure Salame a présenté ses lettres de créance en mars 2009. « À l'époque il y avait huit femmes chefs de mission diplomatique à Beyrouth. Actuellement nous sommes plus nombreuses », indique-t-elle, exprimant sa satisfaction de voir le nombre d'ambassadrices augmenter au Liban.
Avocate de formation, diplômée de l'école de droit la plus prestigieuse de Bogota, Universidad del Rosario, Mme Aljure Salame faisait partie de l'équipe rapprochée de l'ancien président colombien Alvaro Uribe Velez, qui a achevé son mandat en août 2010. Elle accomplit au Liban sa première mission diplomatique.
« J'ai travaillé longtemps avec le président Uribe Velez. J'étais juriste dans son administration. J'étais avocate auprès de la compagnie d'électricité colombienne, relevant du ministère de l'Énergie », explique-t-elle.
Mme Aljure Salame note que le président avait décidé de sélectionner cinq personnes de son équipe, ne faisant pas partie du corps diplomatique, et de les nommer ambassadeurs. « Il a choisi chacun selon sa spécialité, ses contacts et ses connaissances d'un dossier donné. Comme j'étais d'origine libanaise et proche aussi bien de la communauté libanaise en Colombie que de la communauté colombienne au Liban, j'ai été nommée ambassadeur à Beyrouth. Cela a facilité le rapprochement entre les deux communautés ainsi que les échanges culturels et commerciaux entre les deux pays », note-t-elle.
« Je connais bien le pays, certes. Grâce au travail que j'ai effectué depuis mon arrivée, j'ai pu œuvrer concrètement à renforcer les liens entre le Liban et la Colombie », affirme-t-elle. Dans ce cadre, elle s'emploie notamment à promouvoir l'exportation vers le Liban de viande bovine et de bovins. « Ainsi, pour la première fois, l'année dernière, des bateaux de bovins colombiens sont arrivés au port de Beyrouth. Leur cargaison a été transférée dans des fermes du pays, notamment à Tripoli et dans la Békaa, souligne-t-elle. Nous avions commencé avec 3 000 têtes de bovins, nous sommes actuellement à 17 000. Ce dernier embarquement est le plus grand qui soit arrivé au Moyen-Orient », ajoute-t-elle.
Le prochain défi de Mme Aljure Salame est de « répondre à l'appel du nouveau président colombien Juan Manuel Santos qui a invité toutes les missions diplomatiques et consulaires de son pays à se joindre à l'initiative « Colombia Humanitaria » dans le but d'aider les sinistrés de la tragédie hivernale la plus importante qui ait touché la Colombie, laissant plus de deux millions de personnes sans abri. Cette initiative s'adresse aux citoyens colombiens établis à l'étranger », explique-t-elle.

Les Colombiens d'origine libanaise
Interrogée sur le nombre de Libanais qui vivent en Colombie et les Colombiens d'origine libanaise, Mme Aljure Salame indique qu'on « ne connaît pas leur chiffre exact mais qu'ils seraient entre 500 000 et 700 000, des chrétiens majoritairement ».
En réponse à une question relative à l'enregistrement au Liban des membres de la diaspora ayant émigré en Colombie, elle souligne qu'il existe deux problèmes administratifs sur ce plan. L'un d'eux est relatif à l'orthographe des noms qui change entre le Liban et la Colombie, et l'autre réside dans le fait que certains Colombiens descendant d'émigrés libanais ne portent pas le même nom au Liban qu'en Colombie, leurs ancêtres s'étant faits enregistrés sous d'autres noms en arrivant dans le pays d'accueil, notamment celui de leur père ou de leur grand-père. « Cela crée d'importants problèmes administratifs, rendant très difficile de se faire enregistrer au Liban ou de récupérer la nationalité. De plus, beaucoup de Colombiens d'origine libanaise ne savent pas comment procéder pour récupérer la nationalité », ajoute-t-elle.
Mme Aljure Salame planche sur ce dossier pour aider les Colombiens d'origine libanaise. Elle œuvre aussi à réunifier les familles entre le Liban et la Colombie. Cela se fait à leur demande. Depuis qu'elle est en poste au Liban, elle a aidé dix-neuf familles à se retrouver.
L'ambassadrice de Colombie évoque fièrement ses origines libanaises et raconte l'histoire de sa famille : « Aljure est le nom de mon père et Salame celui de ma mère, tous les deux sont originaires de Hadeth el-Jebbeh, dans le Nord. Mon arrière-grand-père avait quitté le Liban en 1860 et était arrivé quelques mois plus tard au port de Barranquilla, au bord de l'Atlantique. Il avait ensuite remonté le fleuve Magdalena pour s'établir dans la localité de Girardot. Mon père, Joseph, est né en Colombie. Mais quand sa mère Rida - ma grand-mère dont je porte le prénom - est décédée à l'âge de 25 ans, mon grand-père Augustin a décidé de rentrer au Liban avec toute la famille. Il avait cinq enfants. L'on peut toujours se recueillir devant une partie des ossements de ma grand-mère à l'église Saint-Daniel à Hadeth el-Jebbeh. »
Le père de Mme Aljure Salame, qui avait étudié le commerce à Paris, est retourné en Colombie durant la récession des années trente. « Mon grand-père et mon grand-oncle l'avaient invité à retourner au pays afin qu'il prenne en charge l'entreprise familiale de textile. C'est donc à son retour en Colombie qu'il a fait la connaissance de ma mère, Juliette, une Libanaise de la deuxième génération, elle aussi originaire de Hadeth el-Jebbeh », raconte l'ambassadrice de Colombie, dont les parents travaillaient dans le textile et étaient propriétaires d'un grand hôtel.

De la famille au Liban
Mme Aljure Salame se souvient de son enfance : « Tous les jours mon père et ma mère nous disaient que le temps à Hadeth el-Jebbeh était des plus agréables. Les fruits étaient plus grands et la lune plus proche de la terre. Pour eux, tout était plus beau dans leur village de Hadeth el-Jebbeh. Sur leur table de chevet, il y avait le livre Le Prophète de Gibrane Khalil Gibrane et une image de saint Charbel. Mon père et ma mère nous parlaient souvent de Mar Charbel en nous disant que ce grand saint était comme nous originaire du Liban-Nord. »
« Depuis que j'étais toute petite, raconte-t-elle, j'ai mangé des plats libanais. Je connais la labné, la kebbé nayé, le sambousek et le taboulé. » Avant d'être nommée en mission à Beyrouth, elle avait visité le Liban à plusieurs reprises, la première fois en 1990.
Elle évoque en souriant les premières réceptions auxquelles elle a pris part au Liban au début de son mandat : « Certains me donnaient des conseils pour essayer tel ou tel autre plat libanais. Ils ignoraient que j'avais grandi en mangeant les spécialités du pays. »
Mme Aljure Salame, qui a perdu ses deux parents bien avant sa nomination au Liban, a encore deux tantes en vie établies dans le pays. C'est avec beaucoup de tendresse qu'elle parle d'elles. « Foutine, 84 ans, et Bernadette, 85 ans, appellent l'ambassade tous les jours pour prendre de mes nouvelles », indique-t-elle. Elle a aussi des cousins maternels appartenant aux familles Bassil et Salamé ainsi que des cousins paternels appartenant à la famille Chédraoui qui vivent toujours au Liban, précise-t-elle.
Et de poursuivre : « Le jour de mon arrivée à l'aéroport de Beyrouth, le directeur du protocole au palais Bustros, l'ambassadeur Georges Siam, s'était déplacé pour m'accueillir. Il y avait aussi beaucoup de monde qui m'attendait, c'était la branche de ma famille qui vivait au Liban et mes amis libanais. M. Siam m'a demandé discrètement si j'avais appelé la presse... Pour taquiner l'une de mes tantes, il lui a demandé ce qu'elle faisait là. Elle lui a rétorqué : « Je suis sa tante et vous monsieur ? » Ce à quoi M. Siam a répondu : « Je représente le chef de l'État »...
« Je suis, bien sûr, très heureuse de remplir un mandat au Liban. Je suis colombienne et j'ai aussi des racines libanaises. Mais en même temps, cela constitue une très importante responsabilité morale pour moi », indique Mme Aljure Salame, ajoutant que travailler pour deux pays qu'elle considère les siens « est un don du ciel ».
Mère de deux garçons, Matheo, 30 ans, et Nicolas, 29 ans, l'ambassadrice de Colombie explique que la mission a été facile pour elle parce que ses enfants sont adultes. « Cela n'aurait pas été le cas avec des enfants en bas âge », dit-elle. Elle aurait souhaité aussi parler la langue arabe. « Cela aurait facilité la mission », explique-t-elle.
Même si elle est satisfaite de son mandat à Beyrouth, l'ambassadrice de Colombie souligne que « c'est la première et la dernière fois qu'elle remplit une mission diplomatique ». « La vie de diplomate est très exigeante », note-t-elle.
Mme Aljure Salame aime la danse et la musique. « Je danse sur les rythmes latino-américains et sur les airs de musique colombienne », dit-elle, soulignant qu'elle a eu l'occasion de pratiquer la danse avec plusieurs personnes à Beyrouth.
Elle chante aussi des airs de boléros, des chants mexicains et des rythmes d'Amérique latine. Sollicitée pour chanter, elle l'a fait à plusieurs occasions. De même qu'elle a trouvé au Liban une personne avec laquelle elle peut chanter.
Le fait que Mme Aljure Salame soit en poste à Beyrouth a encouragé la branche de sa famille libanaise qui vit en Colombie à passer les fêtes de fin d'année dans leur pays d'origine. « C'est toute la famille et beaucoup d'amis qui se sont retrouvés au Liban pour Noël et le Nouvel An », indique-t-elle en souriant. « Je me suis fait beaucoup d'amis au Liban et je sens que je suis véritablement chez moi, mais je reste aussi colombienne », souligne-t-elle en conclusion.
Dans le cadre de notre série d'interviews avec les femmes ambassadeurs en poste au Liban, l'ambassadrice de Colombie à Beyrouth, Rida Aljure Salame, expose à L'Orient-Le Jour son parcours professionnel et personnel qui nous paraît d'autant plus intéressant qu'elle est d'origine libanaise, au niveau des deux branches de sa famille, sans compter qu'elle a visité à plusieurs reprises le Liban...