En ce début 2011, le monde arabe a changé de visage. En moins de 30 jours, des régimes d'une trentaine d'années ont été ébranlés par des mouvements de contestation sociale et politique sans précédent. Après la chute, le 14 janvier, du président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali - au pouvoir depuis 1987 -, le régime de Hosni Moubarak - en place depuis 1981 - est fortement déstabilisé par des manifestations populaires historiques. Conscients du risque d'un effet domino, les autres dirigeants du monde arabe, au pouvoir depuis des années eux aussi, ont commencé à lâcher du lest, promettant des réformes économiques et politiques. Reste à savoir si ces mesures seront suffisantes.
Afin de mieux comprendre les enjeux actuels, L'Orient-Le Jour s'est entretenu avec des experts sur la Syrie, le Yémen, l'Algérie et la Jordanie. Doit-on s'attendre à de nouveaux bouleversements ? Comment réagiront les régimes en
place ? Quelles en seront les conséquences ? Tour d'horizon régional.
En Syrie, la peur de l'après-révolte
« C'est une véritable dynamique qui s'est enclenchée dans le monde arabe », affirme Borhane Ghalioun, directeur du Centre d'études sur l'Orient contemporain (CEOC), à Paris. Selon lui, aucun pays n'est à l'abri de la crise actuelle, « et la Syrie ne fait pas exception ». « Ce n'est qu'une question de temps », tient-il à souligner, tout en excluant une « contagion mécanique » de la révolte populaire en raison des spécificités de chaque pays. « Aucun processus de changement ne ressemblera à un autre », précise-t-il encore, tout en ajoutant qu'en Syrie, « rien ne peut être prévisible ».
Inspiré par les événements tunisiens et égyptiens, un groupe Facebook comprenant des milliers de membres avait lancé un appel à manifester vendredi dernier « contre la monocratie, la corruption et la tyrannie ». L'appel n'a toutefois pas été suivi. « Les grandes places de Damas étaient quasiment désertes, alors que les membres des services de sécurité étaient, eux, plus nombreux qu'à l'accoutumée », rapportait vendredi l'AFP. Quelques jours plus tôt, les forces de l'ordre avaient dispersé par la force un sit-in organisé en soutien au mouvement prodémocratie en Égypte.
« Le problème, affirme M. Ghalioun, est que le régime (du Baas, en place depuis près de 50 ans) devient généralement plus répressif dès qu'il se sent menacé. Ce n'est pas la peur du régime - aussi autoritaire qu'il soit - qui empêche le peuple de se révolter, mais c'est surtout la peur des conséquences qui s'ensuivront. »
Même avis du côté d'Ellen Lust-Okar, de l'Université de Yale, qui dit craindre une « éruption de violences confessionnelles, dirigées notamment contre la minorité alaouite au pouvoir », en cas d'une éventuelle chute du régime. La population syrienne est sunnite à 80 %, le reste est principalement chrétien (10 %) et alaouite (10 %). « Le sentiment de haine à l'encontre des alaouites est très présent chez les sunnites en Syrie qui n'ont pas oublié la répression de 1982 à Hama, précise la chercheuse. Cette situation rend toute révolte populaire potentiellement sanglante. »
Dans une entrevue accordée au Wall Street Journal lundi dernier, le président syrien Bachar el-Assad, au pouvoir depuis la mort de son père Hafez en l'an 2000, a assuré que son pays était « stable », tout en affirmant que les dirigeants de la région doivent entreprendre des réformes. La Syrie, qui donne la priorité aux réformes économiques, est confrontée à « des défis considérables », avait récemment déclaré à l'AFP un responsable syrien sous le couvert de l'anonymat. La pauvreté touche 14 % des 22 millions de Syriens et le chômage affecte 20 % de la population active. Il y a quelques semaines, le gouvernement a annoncé la création d'un « Fonds national pour l'aide sociale » d'un montant de 250 millions de dollars destiné à venir en aide à quelque 420 000 familles. Parallèlement, il a augmenté de 72 % les allocations pour le chauffage pour les employés de la fonction publique et les retraités (environ 2 millions de personnes).
Si le pouvoir a joué sur le volet économique, sur le plan politique en revanche, il n'a rien lâché. Or, pour M. Ghalioun, « la levée de l'état d'urgence (en vigueur depuis 1963), l'organisation d'élections régulières, libres et honnêtes et l'ouverture d'un dialogue sérieux avec la société civile et les opposants politiques », sont des réformes essentielles. « Le régime aurait dû s'engager dans ces réformes il y a très longtemps, mais il n'a même pas fait le minimum requis, affirme encore l'universitaire d'origine syrienne. Aucun peuple au monde n'accepterait de vivre dans les conditions dans lesquelles vivent les Syriens depuis 50 ans ! »
Au Yémen, les conditions sont réunies pour la révolte
Contrairement à la Syrie, le Yémen a été touché par la vague de révolte populaire. Ce pays de 24 millions d'habitants est, depuis plusieurs semaines, le théâtre de manifestations d'opposants au régime de Ali Abdallah Saleh. Jeudi dernier, ils étaient ainsi plusieurs dizaines de milliers à manifester dans les rues de Sanaa pour demander le départ du président au pouvoir depuis 1990.
Dans une tentative claire de contenir ce mouvement d'opposition, le chef de l'État a annoncé publiquement avoir renoncé à briguer un nouveau mandat, tout en promettant d'engager des réformes. La création d'un fonds pour l'emploi des diplômés de l'université et l'extension de la couverture sociale à un demi-million de personnes ainsi qu'une réduction de l'impôt sur le revenu figurent aussi parmi les mesures décidées récemment.
« Pauvreté endémique, chômage chronique, répression politique accrue... Toutes les conditions sont réunies au Yémen pour alimenter la révolte du peuple », affirme Fouad al-Salahi, professeur de sciences sociales à l'Université de Sanaa. « Les réformes économiques ne suffisent plus, ce qu'il nous faut pour sortir le pays de la crise est une vision beaucoup plus large, un processus de démocratisation et d'ouverture politique », précise-t-il.
Selon les chiffres de l'ONU, plus de 45 % de la population yéménite vit actuellement sous le seuil de pauvreté, avec deux dollars par jour, et 35 % des habitants sont au chômage.
À cela s'ajoute l'instabilité sécuritaire. La seule république de la péninsule Arabique est confrontée, depuis des années, à un conflit avec les rebelles Houthis dans le nord du pays, ainsi qu'à des affrontements sanglants avec el-Qaëda dans le Sud-Est, et des accrochages récurrents avec un mouvement séparatiste dans le Sud.
« Une situation chaotique au Yémen risque d'être explosive, avertit M. al-Salahi. La structure tribale de la société et la présence d'armes dans les foyers font que le Yémen est très vulnérable à la crise. » L'expert dit également craindre l'ingérence d'acteurs régionaux, « comme l'Iran, qui pourraient profiter de la situation ». « Rien de tout cela n'est encourageant », conclut-il.
Les Algériens face au défi
Révolte ou non en Algérie ? Cette question pourrait trouver une réponse autour du 12 février, date à laquelle la « Coordination nationale pour le changement et la démocratie » - qui rassemble différents mouvements d'opposition, associations estudiantines, syndicats et organisations des droits de l'homme - doit organiser une « marche nationale » pour demander le « départ du système ». Cette coordination, créée le 21 janvier dans la foulée des émeutes de début janvier qui ont fait cinq morts et plus de 800 blessés, met l'accent sur les revendications socio-économiques, dont le chômage des jeunes. Plus de 20 % d'entre eux sont sans emploi, selon les dernières estimations de l'ONU.
« À la différence des manifestations précédentes qui n'ont pas réussi à rassembler la majorité des Algériens, le rassemblement du 12 février réunira gauchistes et islamiques », explique Amel Boubekeur, chercheuse à l'École des hautes études en sciences sociales, à Paris. « À mon avis, poursuit-elle, c'est cette capacité à dépasser les lignes de fracture partisanes et idéologiques qui sera vraiment la clé de ce rassemblement, tout comme ça l'a été en Tunisie. »
Dans une tentative de désamorcer la crise, le président algérien Abdelaziz Bouteflika a annoncé jeudi dernier des mesures en faveur des libertés publiques, avec la levée « dans un très proche avenir » de l'état d'urgence en vigueur depuis 1992 et un meilleur accès aux médias pour les partis d'opposition. Ces mesures s'accompagnent toutefois d'une mise en garde présidentielle. « La liberté ne devra pas aboutir, dans quelque circonstance que ce soit, aux dérapages ou à l'anarchie auxquels l'Algérie a déjà versé un lourd tribut », a déclaré Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999.
« Les Algériens sont toujours traumatisés par le conflit des années 90 (qui a causé la mort de plus de 100 000 personnes), affirme Mme Boubekeur. Ils ne veulent pas retomber dans le chaos. Mais en même temps, ils sont conscients aujourd'hui que le totalitarisme n'est pas le garant de la stabilité dans la région. »
Les jours de Bouteflika en tant que président sont-ils comptés ? « Pas sûr, répond Mme Boubekeur. Tout dépend du niveau de répression qui sera exercé contre les protestataires. » Et la chercheuse de souligner que « l'Algérie n'est pas la Tunisie. En Algérie, les manifestants ne réclament pas uniquement la chute du pouvoir politique. Les gens veulent vraiment un changement radical du système, y compris au sein de l'armée, de la police et des services de sécurité. La levée de l'état d'urgence ne suffit pas. Ce ne sera que le début ».
Jordanie : l'enjeu démographique
En Jordanie, la situation est moins tendue que dans le reste de la région. Une sortie de crise semble se profiler depuis la réunion « privée », jeudi dernier, entre le roi Abdallah II et le Front de l'action islamique (FAI), principale force d'opposition dans le pays. Pourtant, cette réunion ne serait peut-être pas intervenue sans les manifestations contre la cherté de vie qui ont touché plusieurs grandes villes de Jordanie, dont Amman. Ce mouvement de contestation pacifique a également poussé le souverain hachémite à faire une série de concessions importantes, dont le limogeage de son Premier ministre, violemment critiqué pour sa politique économique. Quelque 25 % des Jordaniens vivent sous le seuil de la pauvreté, selon les chiffres officiels.
Abdallah II semblerait également « engagé à donner à l'amendement de la loi électorale la priorité dans le dialogue » avec l'opposition, selon l'AFP qui cite une source proche du nouveau gouvernement. L'amendement de la loi électorale est une des demandes prioritaires des islamistes. Ceux-ci estiment que le système uninominal est à leur désavantage, ce qui les a poussés à boycotter les élections législatives en novembre dernier.
« Le roi est en quelque sorte chanceux que le FAI soit encore disposé au dialogue, affirme Ellen Lust-Okar dans un entretien téléphonique à L'Orient-Le Jour. Ce n'est pas le cas dans le reste de la région. Mais la question reste de savoir à quel point Abdallah II serait prêt à accepter les revendications des islamistes. »
« Le processus de réformes s'est ralenti, a récemment reconnu le souverain. Mais je vois une opportunité réelle de réaliser des réformes globales qui permettront à la Jordanie de devenir un exemple de sécurité et de stabilité. »
La question des réformes reste un sujet très sensible dans le royaume hachémite, en raison d'enjeux politiques et démographiques. « Traditionnellement, explique la chercheuse, les Jordaniens dits de souche - les Bédouins de Transjordanie - sont ceux qui occupent les postes les plus influents du pays, notamment au sein de l'armée. Ils se considèrent comme le pilier du régime », bien qu'ils ne représentent que 40 % des 6 millions d'habitants. Le reste de la population est principalement formé de Jordaniens d'origine palestinienne. « À mon avis, il sera très difficile de convaincre les Bédouins d'accepter la formation d'un gouvernement plus représentatif de la société jordanienne, comprenant l'opposition islamiste et les Palestiniens, estime Mme Lust-Okar. Ils ne veulent même pas en entendre parler. »
Afin de mieux comprendre les enjeux actuels, L'Orient-Le Jour s'est entretenu avec des experts sur la Syrie, le Yémen, l'Algérie et la Jordanie. Doit-on s'attendre à de nouveaux bouleversements ? Comment réagiront les régimes en
place ? Quelles en seront les conséquences ? Tour d'horizon régional.
En Syrie, la peur de l'après-révolte
« C'est une véritable dynamique qui s'est enclenchée dans le monde arabe », affirme Borhane Ghalioun, directeur du Centre d'études sur l'Orient contemporain (CEOC), à Paris. Selon lui, aucun pays n'est à l'abri de la crise actuelle, « et la Syrie ne fait pas exception ». « Ce n'est qu'une question de temps », tient-il à souligner, tout en excluant une « contagion mécanique » de la révolte populaire en raison des spécificités de chaque pays. « Aucun processus de changement ne ressemblera à un autre », précise-t-il encore, tout en ajoutant qu'en Syrie, « rien ne peut être prévisible ».
Inspiré par les événements tunisiens et égyptiens, un groupe Facebook comprenant des milliers de membres avait lancé un appel à manifester vendredi dernier « contre la monocratie, la corruption et la tyrannie ». L'appel n'a toutefois pas été suivi. « Les grandes places de Damas étaient quasiment désertes, alors que les membres des services de sécurité étaient, eux, plus nombreux qu'à l'accoutumée », rapportait vendredi l'AFP. Quelques jours plus tôt, les forces de l'ordre avaient dispersé par la force un sit-in organisé en soutien au mouvement prodémocratie en Égypte.
« Le problème, affirme M. Ghalioun, est que le régime (du Baas, en place depuis près de 50 ans) devient généralement plus répressif dès qu'il se sent menacé. Ce n'est pas la peur du régime - aussi autoritaire qu'il soit - qui empêche le peuple de se révolter, mais c'est surtout la peur des conséquences qui s'ensuivront. »
Même avis du côté d'Ellen Lust-Okar, de l'Université de Yale, qui dit craindre une « éruption de violences confessionnelles, dirigées notamment contre la minorité alaouite au pouvoir », en cas d'une éventuelle chute du régime. La population syrienne est sunnite à 80 %, le reste est principalement chrétien (10 %) et alaouite (10 %). « Le sentiment de haine à l'encontre des alaouites est très présent chez les sunnites en Syrie qui n'ont pas oublié la répression de 1982 à Hama, précise la chercheuse. Cette situation rend toute révolte populaire potentiellement sanglante. »
Dans une entrevue accordée au Wall Street Journal lundi dernier, le président syrien Bachar el-Assad, au pouvoir depuis la mort de son père Hafez en l'an 2000, a assuré que son pays était « stable », tout en affirmant que les dirigeants de la région doivent entreprendre des réformes. La Syrie, qui donne la priorité aux réformes économiques, est confrontée à « des défis considérables », avait récemment déclaré à l'AFP un responsable syrien sous le couvert de l'anonymat. La pauvreté touche 14 % des 22 millions de Syriens et le chômage affecte 20 % de la population active. Il y a quelques semaines, le gouvernement a annoncé la création d'un « Fonds national pour l'aide sociale » d'un montant de 250 millions de dollars destiné à venir en aide à quelque 420 000 familles. Parallèlement, il a augmenté de 72 % les allocations pour le chauffage pour les employés de la fonction publique et les retraités (environ 2 millions de personnes).
Si le pouvoir a joué sur le volet économique, sur le plan politique en revanche, il n'a rien lâché. Or, pour M. Ghalioun, « la levée de l'état d'urgence (en vigueur depuis 1963), l'organisation d'élections régulières, libres et honnêtes et l'ouverture d'un dialogue sérieux avec la société civile et les opposants politiques », sont des réformes essentielles. « Le régime aurait dû s'engager dans ces réformes il y a très longtemps, mais il n'a même pas fait le minimum requis, affirme encore l'universitaire d'origine syrienne. Aucun peuple au monde n'accepterait de vivre dans les conditions dans lesquelles vivent les Syriens depuis 50 ans ! »
Au Yémen, les conditions sont réunies pour la révolte
Contrairement à la Syrie, le Yémen a été touché par la vague de révolte populaire. Ce pays de 24 millions d'habitants est, depuis plusieurs semaines, le théâtre de manifestations d'opposants au régime de Ali Abdallah Saleh. Jeudi dernier, ils étaient ainsi plusieurs dizaines de milliers à manifester dans les rues de Sanaa pour demander le départ du président au pouvoir depuis 1990.
Dans une tentative claire de contenir ce mouvement d'opposition, le chef de l'État a annoncé publiquement avoir renoncé à briguer un nouveau mandat, tout en promettant d'engager des réformes. La création d'un fonds pour l'emploi des diplômés de l'université et l'extension de la couverture sociale à un demi-million de personnes ainsi qu'une réduction de l'impôt sur le revenu figurent aussi parmi les mesures décidées récemment.
« Pauvreté endémique, chômage chronique, répression politique accrue... Toutes les conditions sont réunies au Yémen pour alimenter la révolte du peuple », affirme Fouad al-Salahi, professeur de sciences sociales à l'Université de Sanaa. « Les réformes économiques ne suffisent plus, ce qu'il nous faut pour sortir le pays de la crise est une vision beaucoup plus large, un processus de démocratisation et d'ouverture politique », précise-t-il.
Selon les chiffres de l'ONU, plus de 45 % de la population yéménite vit actuellement sous le seuil de pauvreté, avec deux dollars par jour, et 35 % des habitants sont au chômage.
À cela s'ajoute l'instabilité sécuritaire. La seule république de la péninsule Arabique est confrontée, depuis des années, à un conflit avec les rebelles Houthis dans le nord du pays, ainsi qu'à des affrontements sanglants avec el-Qaëda dans le Sud-Est, et des accrochages récurrents avec un mouvement séparatiste dans le Sud.
« Une situation chaotique au Yémen risque d'être explosive, avertit M. al-Salahi. La structure tribale de la société et la présence d'armes dans les foyers font que le Yémen est très vulnérable à la crise. » L'expert dit également craindre l'ingérence d'acteurs régionaux, « comme l'Iran, qui pourraient profiter de la situation ». « Rien de tout cela n'est encourageant », conclut-il.
Les Algériens face au défi
Révolte ou non en Algérie ? Cette question pourrait trouver une réponse autour du 12 février, date à laquelle la « Coordination nationale pour le changement et la démocratie » - qui rassemble différents mouvements d'opposition, associations estudiantines, syndicats et organisations des droits de l'homme - doit organiser une « marche nationale » pour demander le « départ du système ». Cette coordination, créée le 21 janvier dans la foulée des émeutes de début janvier qui ont fait cinq morts et plus de 800 blessés, met l'accent sur les revendications socio-économiques, dont le chômage des jeunes. Plus de 20 % d'entre eux sont sans emploi, selon les dernières estimations de l'ONU.
« À la différence des manifestations précédentes qui n'ont pas réussi à rassembler la majorité des Algériens, le rassemblement du 12 février réunira gauchistes et islamiques », explique Amel Boubekeur, chercheuse à l'École des hautes études en sciences sociales, à Paris. « À mon avis, poursuit-elle, c'est cette capacité à dépasser les lignes de fracture partisanes et idéologiques qui sera vraiment la clé de ce rassemblement, tout comme ça l'a été en Tunisie. »
Dans une tentative de désamorcer la crise, le président algérien Abdelaziz Bouteflika a annoncé jeudi dernier des mesures en faveur des libertés publiques, avec la levée « dans un très proche avenir » de l'état d'urgence en vigueur depuis 1992 et un meilleur accès aux médias pour les partis d'opposition. Ces mesures s'accompagnent toutefois d'une mise en garde présidentielle. « La liberté ne devra pas aboutir, dans quelque circonstance que ce soit, aux dérapages ou à l'anarchie auxquels l'Algérie a déjà versé un lourd tribut », a déclaré Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999.
« Les Algériens sont toujours traumatisés par le conflit des années 90 (qui a causé la mort de plus de 100 000 personnes), affirme Mme Boubekeur. Ils ne veulent pas retomber dans le chaos. Mais en même temps, ils sont conscients aujourd'hui que le totalitarisme n'est pas le garant de la stabilité dans la région. »
Les jours de Bouteflika en tant que président sont-ils comptés ? « Pas sûr, répond Mme Boubekeur. Tout dépend du niveau de répression qui sera exercé contre les protestataires. » Et la chercheuse de souligner que « l'Algérie n'est pas la Tunisie. En Algérie, les manifestants ne réclament pas uniquement la chute du pouvoir politique. Les gens veulent vraiment un changement radical du système, y compris au sein de l'armée, de la police et des services de sécurité. La levée de l'état d'urgence ne suffit pas. Ce ne sera que le début ».
Jordanie : l'enjeu démographique
En Jordanie, la situation est moins tendue que dans le reste de la région. Une sortie de crise semble se profiler depuis la réunion « privée », jeudi dernier, entre le roi Abdallah II et le Front de l'action islamique (FAI), principale force d'opposition dans le pays. Pourtant, cette réunion ne serait peut-être pas intervenue sans les manifestations contre la cherté de vie qui ont touché plusieurs grandes villes de Jordanie, dont Amman. Ce mouvement de contestation pacifique a également poussé le souverain hachémite à faire une série de concessions importantes, dont le limogeage de son Premier ministre, violemment critiqué pour sa politique économique. Quelque 25 % des Jordaniens vivent sous le seuil de la pauvreté, selon les chiffres officiels.
Abdallah II semblerait également « engagé à donner à l'amendement de la loi électorale la priorité dans le dialogue » avec l'opposition, selon l'AFP qui cite une source proche du nouveau gouvernement. L'amendement de la loi électorale est une des demandes prioritaires des islamistes. Ceux-ci estiment que le système uninominal est à leur désavantage, ce qui les a poussés à boycotter les élections législatives en novembre dernier.
« Le roi est en quelque sorte chanceux que le FAI soit encore disposé au dialogue, affirme Ellen Lust-Okar dans un entretien téléphonique à L'Orient-Le Jour. Ce n'est pas le cas dans le reste de la région. Mais la question reste de savoir à quel point Abdallah II serait prêt à accepter les revendications des islamistes. »
« Le processus de réformes s'est ralenti, a récemment reconnu le souverain. Mais je vois une opportunité réelle de réaliser des réformes globales qui permettront à la Jordanie de devenir un exemple de sécurité et de stabilité. »
La question des réformes reste un sujet très sensible dans le royaume hachémite, en raison d'enjeux politiques et démographiques. « Traditionnellement, explique la chercheuse, les Jordaniens dits de souche - les Bédouins de Transjordanie - sont ceux qui occupent les postes les plus influents du pays, notamment au sein de l'armée. Ils se considèrent comme le pilier du régime », bien qu'ils ne représentent que 40 % des 6 millions d'habitants. Le reste de la population est principalement formé de Jordaniens d'origine palestinienne. « À mon avis, il sera très difficile de convaincre les Bédouins d'accepter la formation d'un gouvernement plus représentatif de la société jordanienne, comprenant l'opposition islamiste et les Palestiniens, estime Mme Lust-Okar. Ils ne veulent même pas en entendre parler. »
En ce début 2011, le monde arabe a changé de visage. En moins de 30 jours, des régimes d'une trentaine d'années ont été ébranlés par des mouvements de contestation sociale et politique sans précédent. Après la chute, le 14 janvier, du président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali - au pouvoir depuis 1987 -, le régime de Hosni Moubarak - en place depuis 1981 - est fortement déstabilisé...
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