« La liste de la honte », peut-on lire sur cette pancarte, brandie hier soir lors du sit-in à la place des Martyrs. Photo Wassim Daou
Petit à petit, de petits groupes arrivent en marchant. On se sent ridicule, les gens se cherchent, leurs yeux fouillent le vide à la recherche de vieux camarades de tentes. Celles de la liberté. Ils regardent autour, se demandant pourquoi l'armée borde la rue, « Ils ont peur de nous ? », « Non, ils nous protègent », se reconnaissent, « Alors, on revient au maquis ? »
Petit à petit, la foule gonfle. Il ne faut pas s'imaginer celle des grands jours, mais ils sont confiants, ou presque. « On n'était pas plus nombreux que ça, au tout début, non ? » Le nombre est faible, mais la détermination est grande. « On ne cèdera pas, on n'acceptera pas de céder sur le tribunal ! » Un groupe de jeunes s'avance en lançant des slogans à tue-tête, « ya Mikati nzal nzal, haydi el-kersé badda rjal ! »
Très vite, la foule grossit, et des applaudissements montent. « Marwan, Marwan ! » la foule accueille « le druze qu'on aime », « le battant, le loyal ». Il est suivi d'Ahmad Fatfat, de Ammar Houri, de Jean Oghassabian. La foule les entoure, les drapeaux flottent, tous ceux qui sont flanqués d'un cèdre, et le soleil bleu du Courant du futur. Plus tard arriveront Eddy Abillama et Michel Pharaon. « Révolte et insulte » sont les mots retenus du discours d'Ahmad Fatfat. « Nous nous sentons insultés, nous sommes révoltés. Les choses ne peuvent pas se passer de cette façon ! »
Et qu'en est-il de Michel Aoun, demande une journaliste à l'un des leaders du 14 Mars. Réponse : « Que Dieu lui vienne en aide ! » Aussitôt, une jeune femme se retourne et s'exclame « Non ! Non ! Pourquoi l'aider ? Il devrait rejoindre les noms écrits sur cette liste, la liste de la honte ! » En effet, un jeune homme brandit une pancarte sur laquelle des noms sont écrits, sous le titre de liste de la honte, avec à leur tête celui de Walid Joumblatt. Des noms qu'on répétait il n'y a pas si longtemps sur la place, des noms qu'on attendait, des noms qui ont promis, des noms qui « ont trahi ; on ne fait pas de politique quand on a peur pour sa vie », dit une jeune femme dont l'ami renchérit : « Parce que sa vie et celles de ses enfants valent plus que d'autres ? »
« De toutes les façons, moi, je ne voudrais pas être à la place des enfants de Mikati, déclare une troisième, il a mis tout le monde dans une sale position. Pourquoi, mais pourquoi ? » répète-t-elle, incrédule.
Les slogans s'élèvent, ils font sourire : « Chou badna min el-ta'ifiyé, Allah maa el-sinniyé... » Ce rassemblement spontané est curieux, sans réelle organisation, sans couverture officielle ; il prend forme à coups de textos et de BBM. Les gens s'interrogent, à voix plus ou moins basse : « Pourquoi sommes-nous
ici ? » « Pour dénoncer un rapt politique », leur répond-on... « Ya Bayrout oumi oumi, sara'ou minnik el-houkoumi », scandent les jeunes. « Pourquoi sommes-nous ici ? Parce qu'on a peur que le coup d'État ne soit pas seulement politique, mais qu'il vise l'esprit libanais. Pourquoi sommes-nous ici ? Parce qu'on se sent abandonné. Par le monde qui est resté silencieux sur ce qui s'est passé ces trois derniers jours », entend-on aux quatre coins de cette place qui en a déjà vu tant d'autres...
Une question se pose : ce 25 janvier 2011 pavera-t-il la voie à un 14 Mars bis, destiné, cette fois, à répondre démocratiquement et pacifiquement à un... « assassinat politique » ?