L'alignement de Joumblatt sur l'axe de la Syrie et du Hezbollah lui a valu une rencontre nocturne avec Nasrallah, en présence de Ghazi Aridi./
Mais les derniers pointages avant de mettre en ligne donnaient les deux camps pratiquement à égalité, les informations annonçant une avance de l'un ou l'autre des deux camps ne pouvant pas êtres vérifiées. Cependant, certaines sources de la majorité ont annoncé que le président de la Chambre, Nabih Berry, avait demandé au chef de l'État Michel Sleiman de différer encore une fois les consultations de lundi, les mêmes sources faisant valoir le précédent de la semaine dernière à un moment où la majorité avait la certitude de faire reconduire son candidat Saad Hariri avec une majorité de 70 voix.
L'après-midi et le début de la soirée avaient été riches en rebondissements. Ainsi, le président du comité exécutif des Forces libanaises Samir Geagea avait tenu une conférence de presse pour dénoncer les "manoeuvres douteuses" de l'opposition pour faire nommer Omar Karamé (qui avait échoué aux législatives) par la force à la tête dune nouvelle équipe gouvernementale entièrement acquise à l'opposition. Dans ce cas, a notamment estimé M. Geagea, "ce serait la Syrie et le Hezbollah qui dirigeraient le Liban" (voir ci-dessous).
De son côté, le Premier ministre sortant Saad Hariri faisait diffuser un communiqué dans lequel il dément avoir signé un quelconque compromis sur le tribunal international comme l'avait annoncé la veille le député Walid Joumblatt devant les caméras. Ce communiqué devait lui attirer les foudres du chef du Parlement Nabih Berry qui, dans un communiqué contraire, accusait, entre autres irrégularités, Saad Hariri d'avoir fourni aux médiateurs turc et qatari un faux document d'entente dont les clauses sont différentes de ceux de l'opposition. Dans le même temps, les informations faisaient état de la possible désignation d'une tierce personne, à savoir le ministre Mohammad Safadi ou l'ancien Premier ministre Nagib Mikati, dans une tentative de compromis. D'autres sources proches de Baabda racontaient que l'opposition avait l'intention de demander au chef de l'État de différer les consultations.
Par ailleurs, des cadres du 14 Mars, qui avaient été empêchés par la direction de l'hôtel Le Gabriel à Achrafieh de tenir une réunion de concertations "en raison de la présence des médias qui gênent les clients de l'établissement", ont d'abord effectué un sit-in dans la rue avant de tenir leurs assises au siège du secrétariat du 14 Mars trop exigu pour abriter tous les participants qui ont stigmatisé "les tentatives de faire peur aux députés par la force des armes du Hezbollah pour ramener le pays aux pires moments de l'ère de la tutelle syrienne".
Enfin, sur le plan international, la France, par la bouche de sa ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, en visite en Égypte, a dénoncé notamment "la prise en otage politique du TSL" (voir ci-dessous).
Les réactions
Auparavant, à l'annonce de la volte-face de Joumblatt, c'est en rangs dispersés que les figures de proue du 14 Mars avaient réagi aux derniers développements.
Des réactions enregistrées, la plus significative est celle qui constate que c'est uniquement "par un coup de force couplé à de l'intimidation médiatique" que la minorité est parvenue, ou croit être parvenue, à disposer désormais de la majorité de 65 voix nécessaires pour former le gouvernement.
C'est ainsi qu'au cours d'une rencontre avec le ministre Boutros Harb, Mme Nayla Mouawad a affirmé : "Nous assistons aujourd'hui à un renversement de régime par les armes et par le moyen des médias. Ce renversement va conduire le Liban vers l'inconnu." Le PNL, dans son communiqué hebdomadaire, devait adopter sensiblement la même position.
Toutefois, il existe aussi une tendance, au sein du 14 Mars, qui continue de raisonner comme si le pays assistait à un changement de majorité normal, et qui affirme, sur cette base, qu'elle se pliera à la règle du jeu démocratique. "Nous nous plierons aux résultats des consultations parlementaires", a ainsi affirmé après sa rencontre avec Mme Mouawad, M. Harb. "L'alternance au pouvoir est une chose absolument normale", a-t-il encore dit.
Pour sa part, le député Ahmad Fatfat avait affirmé que si les consultations parlementaires donnent l'avantage à l'opposition, la majorité laissera cette dernière gouverner, sans chercher à participer à un gouvernement d'entente nationale. Raisonner ainsi, c'est ignorer que l'avantage acquis par l'opposition au Parlement ne vient pas des urnes, mais des armes, ou de la menace d'une utilisation subversive de masses humaines, potentiellement violentes, pour paralyser le pays.
C'est cette politique du bord du gouffre qui semble avoir réussi au Hezbollah. Les alliés de ce parti, de Wi'am Wahhab à Gebran Bassil, plastronnaient, après la prestation publique de Joumblatt, adressant tantôt des conseils paternalistes, tantôt des infamies au Premier ministre, Saad Hariri, politiquement disqualifié pour être Premier ministre, selon Gebran Bassil, par le scandale des faux témoins. Pour sa part, le chef du PSP rencontrait le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah.
Pour sa part, M. Samir Frangié a rédigé une lettre ouverte au chef de l'État, dans laquelle il demande à ce dernier de saisir la Ligue arabe, qui a parrainé l'accord de Doha et l'ONU, à l'origine des résolutions 1701 et 1557, de ce qui se passe au Liban, et qu'il estime être une tentative de modifier le visage du Liban et son régime démocratique.
Reçu par Saad Hariri, l'ambassadeur de France Denis Pietton rappelait les deux principes qui guident l'action de la France au Liban : le soutien à la souveraineté, à l'indépendance et à la stabilité du pays d'une part ; la lutte contre l'impunité dans le cadre de la légalité internationale d'autre part.
Si la majorité ne réagit pas plus énergiquement et radicalement au coup de force du Hezbollah, c'est peut-être qu'elle espère, ou qu'elle sait, que les consultations parlementaires ne permettront pas à la minorité de recueillir les 65 voix qui lui sont nécessaires pour l'emporter.
En effet, sur les 128 députés, le bloc parlementaire de Joumblatt compte 11 élus (dont cinq appartenant à son parti), celui du Hezbollah, toutes composantes comprises, 57 et celui de Saad Hariri, toutes composantes comprises aussi, 60.
Le ralliement de M. Joumblatt ne signifie cependant pas que les 10 autres députés de son bloc le suivront. Selon des pointages qui restent approximatifs, et qui varient selon qu'on soit d'un bord ou de l'autre, le chef du PSP ne pourrait garantir que cinq de ces onze voix, celles des députés membres du parti, les autres n'étant pas liés par la discipline partisane et ayant leurs convictions propres. Selon les pointages de la majorité, Saad Hariri pourrait donc rallier à sa candidature les six députés restants, ou du moins cinq d'entre eux. Par contre, l'opposition estime que deux au moins de ces députés voteraient en faveur de son candidat, ce qui porterait à sept l'apport de voix de M. Joumblatt au Hezbollah. Il ne manquerait plus à ce dernier qu'une seule voix pour l'emporter. Cette voix pouvant être celle de Nicolas Fattouche.
L'autre tactique que pourrait adopter l'opposition consisterait à priver la majorité des voix des quatre députés sunnites de Tripoli, Nagib Mikati, Ahmad Karamé, Mohammad Safadi et Kassem Abdel Aziz, en persuadant ces derniers de ne pas se prononcer pour Saad Hariri. Mais là non plus, le résultat n'est pas garanti, encore que les sympathies syriennes de certains de ces députés ne soient pas un secret. Mohammad Safadi, pour sa part, a pris l'avion pour l'Arabie saoudite, où il pourrait être suivi par Nagib Mikati... Et ce ne sont pas les seuls à être liés par de gros intérêts au royaume wahhabite.
E-Journal OLJ