Les Birmans espèrent d’Aung San Suu Kyi un véritable miracle après un demi-siècle de dictature militaire, mais l’opposante, 65 ans, aux prises avec une junte plus forte que jamais, leur a demandé hier d’être patients face aux défis qui les attendent. Soe Zeya Tun/Reuters
Après un bref mais électrique bain de foule samedi soir, lorsqu'elle était apparue radieuse aux grilles de sa vieille demeure familiale de Rangoun, Mme Suu Kyi a retrouvé la même ferveur à la LND hier. S'extrayant avec peine de sa voiture, elle s'est frayé un passage jusqu'au quartier général du parti avec lequel elle est entrée en politique il y a une vingtaine d'années. Les portes se sont ensuite fermées sur une foule en extase, tandis que l'opposante s'entretenait avec des diplomates étrangers.
Alors que beaucoup doutent du fait que la junte la laisse mener des activités politiques, l'avocat de Mme Suu Kyi, Nyan Win, a confirmé que sa libération était inconditionnelle. « Elle est complètement libre, a-t-il déclaré. Elle est très heureuse. » Un haut responsable birman avait déjà assuré samedi que sa sortie n'avait été soumise à aucun marchandage, répondant à l'une des inquiétudes de la communauté internationale.
Les espoirs qui pèsent sur les épaules d'Aung San Suu Kyi sont pourtant énormes, à la mesure du charisme de cette femme de 65 ans, aussi fine physiquement qu'apparemment indestructible psychologiquement. « Nous aimerions l'entendre parler de l'avenir politique de la Birmanie, (...) de la situation économique et sociale du pays. Les prix augmentent, notre pauvre peuple souffre. Nous aimerions entendre ses solutions », expliquait Nyi Min, militant de la LND. « Notre pays doit devenir démocratique, notre avenir dépend d'Aung San Suu Kyi », ajoutait-il encore. « J'espère que la liberté d'Aung San Suu Kyi est le début d'un heureux voyage pour nous », indiquait, pour sa part un chauffeur de taxi de 50 ans.
Mais les analystes soulignaient hier combien ces attentes seraient difficiles à satisfaire, et ce d'autant plus que la junte semble être plus forte que jamais. « Cette pauvre femme a beaucoup de pression sur les épaules et elle ne fait pas de miracle », a mis en garde Aung Naing Oo, analyste birman en exil en Thaïlande. « Elle doit dire aux gens d'être réalistes, d'être patients. Le chemin vers la démocratie est un processus, la démocratie n'arrivera pas en Birmanie tout de suite », a-t-il ajouté, considérant que sa libération prouvait « que la junte ne la considérait pas comme une menace ». La « Dame » de Rangoun a d'ailleurs elle même appelé ses partisans à la patience. « Je veux entendre la voix du peuple et ensuite, nous déciderons de ce que nous voulons faire », a-t-elle déclaré.
Malgré ce charisme qui l'a portée depuis la fin des années 80 dans son pays et sur la scène internationale, Mme Suu Kyi ne pourra rien faire seule, souligne Maung Zarni, analyste à la London School of Economics. « Elle ne va pas satisfaire les attentes du peuple en une nuit et pas sans que le peuple fasse sa part », a-t-il estimé. Elle devra aussi trouver un équilibre pour que la junte ne la renferme pas tout de suite, renchérit Pavin Chachavalpongpun, de l'Institut d'études sur l'Asie du Sud-Est de Singapour.
Ressouder l'opposition et, éventuellement, reconquérir ceux qui, au sein de l'opposition, avaient fait le choix de participer aux élections du week-end dernier, figurent parmi les premières tâches auxquelles la fille du général Aung San, figure vénérée de l'indépendance, devra s'atteler. « Nous saluons avec joie la libération de notre leader », a déclaré à ce titre Khin Maung Swe, ancien de la LND, qui a fait récemment sécession pour se présenter aux élections sous les nouvelles couleurs de la Force démocratique nationale (NDF), en laissant entendre qu'un projet commun était possible.
Qu'Aung San Suu Kyi réussisse ou non à reconstruire l'opposition, « la junte a bien joué », estime Maxime Boutry, chercheur associé à l'Institut de recherche sur l'Asie du Sud-Est contemporaine (Irasec). Selon lui, seules des élections auraient pu permettre à l'opposante de s'exprimer. Mais les prochaines échéances sont, au mieux, prévues dans cinq ans. « Les attentes du peuple birman risquent de rester des attentes, sans jamais se réaliser », craint le chercheur.