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Ma Haide, le « médecin du peuple » chinois, était libanais - Portrait

Ma Haide, le « médecin du peuple » chinois, était libanais

L'idéal communiste et socialiste dont s'imprégnait Georges Hatem et les situations économiques et politiques difficiles qui se développaient aux États-Unis et en Europe ont incité le jeune médecin à s'installer en Chine pour combattre la pauvreté et les maladies.

Un itinéraire exceptionnel pour un homme exceptionnel. Telle fut la vie du docteur Georges Hatem, qui sillonna le monde, des États-Unis jusqu'en Chine, en passant par le Liban et l'Europe, emportant avec lui, dans ses bagages et à travers les océans, ses rêves, ses ambitions et sa détermination à trouver le meilleur moyen de servir l'humanité.
Georges Hatem est né le 26 septembre 1910 à Buffalo, en Caroline du Nord, aux États-Unis, de parents libano-américains, de confession maronite. Son père, Nahoum Hatem, est originaire du village de Hammana, alors que sa mère, Tamam Youssef, vient du village de Bhannes. En 1929, George Hatem a quitté l'Amérique pour venir étudier la médecine à l'Université américaine de Beyrouth (AUB) puis poursuivre ses études à Genève.
C'est en 1933 que le docteur Hatem décida de partir pour Shanghai afin d'y ouvrir une clinique avec deux autres collègues, Lazar Katz et Robert Levinson, et de continuer ses recherches portant sur certaines maladies tropicales de l'Est asiatique, notamment les maladies vénériennes, dont la syphilis, et la peste qui étaient très répandues dans l'Empire du Milieu à cette époque.
Le choix de Georges Hatem de s'installer en Chine est dû essentiellement à deux raisons. D'une part, « durant cette période, les États-Unis venaient de subir de plein fouet le crise financière de 1929 provoquée par le krach boursier de Wall Street, entraînant ainsi une forte récession et un taux de chômage dramatique dans les pays occidentaux ». « Le marché du travail n'était donc pas propice pour le début d'une carrière professionnelle dans un contexte précaire », explique l'ancien ambassadeur du Liban en Chine, Farid Samaha, qui a connu Georges Hatem personnellement. « En outre, la situation politique n'était pas meilleure en Europe où l'on assistait à l'émergence rampante et fulgurante des idéologies d'extrême droite comme le nazisme en Allemagne et le fascisme en Italie, et la dictature de Franco en Espagne », explique l'ancien diplomate libanais.
D'autre part, ajoute M. Samaha, « le Dr Hatem était épris par les idées marxistes et communistes. La Chine, en pleine mutation, était donc la destination idéale pour ce jeune homme plein d'ambition et de courage afin d'entamer sa vie professionnelle, surtout après l'appel à l'aide du dirigeant chinois, Mao Zedong, aux médecins du monde pour éradiquer la peste dans son pays ».
Le début n'était pas facile. Mais la détermination de Georges Hatem balaya toutes les difficultés. Il apprit rapidement le mandarin. « Il participa également, en tant qu'amateur, à des pièces de théâtre à l'opéra de Pékin », affirme M. Samaha, qui y trouve la preuve que le Dr Hatem a maîtrisé rapidement et parfaitement la langue chinoise à cette époque.
C'est probablement durant cette période qu'il rencontra le grand amour de sa vie, Su Fei. Issue d'une riche famille, sa future épouse se spécialisait dans l'art cinématographique et la comédie. Grâce à ses connaissances, et notamment son amitié avec la première femme de Mao, Su Fei joua un rôle important dans les futurs contacts qui ont conduit à la rencontre entre le Dr Hatem et le dirigeant chinois, et à l'amitié qui s'est liée entre les deux hommes. Selon Farid Samaha, Mao Zedong et Chou En-Lai ont assisté personnellement au mariage de Georges Hatem et Su Fei. Le couple eut deux enfants, un garçon, Yuma, et une fille, Liang-Bi.
Dr Hatem fut également frappé par la pauvreté, la précarité et la situation sanitaire désastreuse du peuple chinois lors de son séjour. « Il réalisa que l'injustice sociale était aussi dangereuse que les maladies qui sévissaient parmi la population », affirme de son côté l'ambassadeur de Chine au Liban Liu Zhiming, lors d'un hommage rendu au Dr Georges Hatem à l'occasion du 100e anniversaire de sa naissance, à Beyrouth, en septembre 2010. « Ce qui le poussa en 1936 à s'engager personnellement dans la révolution rouge aux côtés de Mao Zedong », ajoute M. Liu, afin de « réaliser un noble idéal humanitaire ».
Hatem a ainsi rejoint la ville de Yan'an, accompagné du journaliste américain Edgar Snow qui écrivit le célèbre livre sur Mao Zedong, A Red Star Over China.
Il s'enrôla dans l'armée rouge et le Parti communiste chinois sous la présidence de Mao, apportant une contribution remarquable à la victoire de la révolution maoïste, ainsi que durant la guerre contre le Japon, puis à la pérennité du Parti communiste dans le cadre de sa profession. On lui doit l'éradication de la lèpre en Chine ainsi que d'autres maladies issues de la guerre durant laquelle il traita près de 40 000 victimes.
Durant près de douze ans, Hatem a été un fidèle compagnon de Mao tout au long de sa « Longue Marche » et ce jusqu'à leur arrivée à Pékin en 1949 et la proclamation de la République populaire de Chine. En 1950, George Hatem fut ainsi le premier étranger à recevoir la nationalité chinoise, occupant des postes importants au sein de l'administration chinoise, notamment au sein du ministère de la Santé où il fut nommé premier conseiller. Il occupa également plusieurs hauts postes politiques dans le Parti communiste chinois. Son statut lui a permis de voyager aux quatre coins du pays où il initia la construction de plusieurs hôpitaux et planifia la politique sanitaire du nouveau régime chinois, dans le but d'éradiquer les maladies vénériennes et les épidémies liées à la pauvreté et la mauvaise hygiène, comme la lèpre.
Sa détermination et son action lui ont valu l'estime et l'appréciation de tout le peuple chinois. Selon plusieurs témoignages, les écoles primaires en Chine mentionnent dans leur cursus la vie et le rôle du Dr Hatem dans l'histoire contemporaine du pays, alors que huit bustes du célèbre médecin sont parsemés à travers le pays, témoignage fort pour celui qui travailla toute sa vie durant pour le bien-être d'un peuple qui l'a adopté.
Il décéda en 1988, suite à un cancer qui le terrassa. Il fut incinéré et une partie de ses cendres repose au cimetière révolutionnaire de Babaoshan, et une autre partie au cimetière familial à Buffalo, aux États-Unis.
Le régime chinois lui organisa des funérailles officielles et populaires. Selon Miled Bou Sreih, un homme d'affaires libanais présent en Chine lors du décès du Dr Hatem, près de quatre millions de personnes ont afflué pour rendre un dernier hommage au « médecin du peuple », à celui qui prit le nom chinois de « Ma Haide », qui signifie : « Vertu d'outre-mer ».
Un itinéraire exceptionnel pour un homme exceptionnel. Telle fut la vie du docteur Georges Hatem, qui sillonna le monde, des États-Unis jusqu'en Chine, en passant par le Liban et l'Europe, emportant avec lui, dans ses bagages et à travers les océans, ses rêves, ses ambitions et sa détermination à trouver le meilleur moyen de servir...