À Leidschendam, siège du Tribunal spécial pour le Liban, dans la banlieue proche de La Haye, les représentants des bureaux du procureur, de la défense et du greffe répondent volontiers aux questions qui leur sont posées. À condition cependant qu'elles se limitent au volet technique et juridique de la procédure judiciaire engagée.
Ce face-à-face entre journalistes et experts juridiques s'inscrit dans le cadre du Forum international des médias sur la justice internationale qui se tient jusqu'à vendredi à La Haye et qui est conjointement organisé par le TSL et l'Association hollandaise des correspondants de presse étrangers. S'il tend principalement à familiariser les correspondants de presse avec le fonctionnement de la justice internationale, il n'en reste pas moins, qu'à travers eux, ce forum essaie indirectement de rétablir le débat autour du TSL dans son cadre juridique et de balayer ainsi les nombreuses spéculations sur son action. L'accent est ainsi mis sur le rôle de chaque unité au sein du tribunal et sur chaque phase de la procédure judiciaire, avec force explications sur la contribution de chacune à assurer un procès équitable.
Anecdotique mais très significative est la réponse du juge Ekkehard Withopf, conseiller auprès du bureau du procureur, à la question de savoir si l'acte d'accusation sera publié bientôt : « Vous savez, bientôt est une notion très relative. »
Le texte sera publié lorsque le procureur aura suffisamment d'éléments de preuves « irréfutables » pour constituer un dossier, indique-t-il, en expliquant exhaustivement la procédure qui précède l'ouverture du procès, conformément au règlement de procédure et de preuve. Mais il n'est pas dit qu'il sera forcément rendu public. Conformément à l'article 74 de ce document, « le juge de la mise en état peut ordonner, à la demande du procureur ou de la défense, et dans des circonstances exceptionnelles, la non-divulgation au public de l'acte d'accusation ou de tout document ou toute information connexe ». Les circonstances exceptionnelles ne sont pas déterminées, ce qui suppose qu'elles sont laissées à l'appréciation du juge.
Qu'il soit publié ou non, l'acte d'accusation, le premier qui doit être publié dans l'affaire Hariri, sera différent des documents similaires publiés que ce soit au niveau de la juridiction locale ou même internationale, précise le magistrat, en soulignant que le texte sera beaucoup plus élaboré dans sa partie narrative, « mais de manière simplifiée ». Il sera parallèlement plus condensé au niveau juridique.
Autre élément sur lequel les orateurs s'accordent à insister : ce sont des individus et non pas des États ou des organisations qui seront accusés sur base de ce texte. Autant de messages que le TSL fait passer aux Libanais à travers ce forum, sans s'arrêter à aucun moment sur le débat qui fait rage au Liban autour de son action et de l'acte d'accusation attendu. Au sujet du dossier des faux témoins, le représentant du bureau du procureur souligne ainsi que ce dernier n'a à aucun moment fait état de faux témoins mais a évoqué la présence de « personnes dont les témoignages ne sont pas crédibles ». « Au niveau juridique, affirme-t-il, la différence est énorme. »
À son tour, Mme Anne-Marie Burns rappelle qu'une publication de l'acte d'accusation n'est pas associée à l'arrestation et la détention des personnes impliquées dans l'assassinat de Hariri. « Le tribunal s'est engagé à respecter la liberté des accusés » en attendant que le tribunal rende son verdict. « Mais le juge de la mise en état peut quand même ordonner l'arrestation d'un accusé pour la propre sécurité de ce dernier ou pour empêcher une récidive », précise-t-elle.
« Sanctionner l'impunité et empêcher une récidive »
Avec l'aperçu historique de l'évolution de la justice internationale depuis le début du XXe siècle jusqu'à aujourd'hui, donné par le juge O-Gon Kwon, vice-président du Tribunal criminel international pour l'ex-Yougslavie, puis avec le récit de l'expérience d'un journaliste, Mirko Klarin, aujourd'hui directeur de l'agence de presse SENSE, dans la guerre qui avait ravagé ce pays, ce sont deux principes fondamentaux revendiqués par le TSL qui sont mis en valeur : « La justice et la fin de l'impunité. » « L'objectif de tous les tribunaux est le même : sanctionner l'impunité et empêcher les récidives », dira O-Gon Kwon. « Une paix durable ne peut pas être réalisée sans justice », martèlera Mirko Klarin en réponse aux craintes formulées sur d'éventuels dérapages générés par un conflit autour du tribunal international.