Le mot d’accueil de Daniel Favre, président de l’Association suisse des journalistes francophones.
Si les journalistes participant au colloque étaient issus des horizons les plus divers, allant de la Moldavie au Canada, en passant par les Balkans, l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient, les problèmes, eux, étaient pratiquement les mêmes, et l'on avait peine à croire qu'ils pouvaient même toucher de vénérables institutions médiatiques rayonnant dans des pays où la liberté de la presse est dans la culture et les mœurs depuis de longues années.
Quasiment à l'unanimité, les participants ont noté l'inexorable dérive affairiste de la profession : absence de transparence dans la gestion de certaines entreprises de presse, écarts importants et non justifiés dans les rémunérations, enveloppes discrètement distribuées aux journalistes « dociles » dans les conférences de presse, directeurs de l'information faisant office de courroie de transmission entre les administrateurs, voire les responsables politiques, et les rédacteurs, publicité déguisée où le mélange des genres entre contenu rédactionnel et commercial est de plus en plus toléré... Tout a été déballé, épluché, commenté dans le détail.
Le plurilinguisme
Autrement plus académique, mais profondément ressentie dans certains pays comme la Suisse ou le Canada, la question du plurilinguisme a occupé une bonne partie des débats. C'est le professeur François Grin, de l'Université de Genève, qui a ouvert le feu. Dans son exposé, il a décrit les menaces qui pèsent sur le plurilinguisme, dénoncé une forme d'« oligarchie linguistique » qui contribue à un appauvrissement de la diversité et favorise dans la pratique, selon lui, l'usage de l'anglais.
Pour François Grin, qui a critiqué ce qu'il a qualifié d'illusion du « globish », cet anglais standard et simplifié qu'on voudrait imposer, la seule solution réside dans un véritable plurilinguisme, dans l'intérêt bien compris de tout le monde : selon lui, le problème n'est pas l'anglais en soit, mais bien plutôt l'hégémonie d'une langue sur toutes les autres... avec l'objectif de déplacer les investissements vers les pays concernés.
La discussion qui s'est engagée avec les participants à l'issue de sa présentation a permis d'évoquer un parallèle entre perte de biodiversité et perte de diversité linguistique, avec à la clé un monde uniforme et cauchemardesque.
Observatoire ou observateur ?
Un débat animé a aussitôt suivi sur la proposition faite par l'Association suisse des journalistes de langue française de mettre sur pied un observatoire ou de créer un poste d'observateur des usages linguistiques au sein des organisations internationales. Une préférence s'est finalement dessinée en faveur d'un observateur, un observatoire étant par définition une structure lourde. Cette tâche sera confiée à un journaliste chargé de créer un site Internet qui recueillerait informations, témoignages et anecdotes sur les pratiques linguistiques, notamment en ce qui concerne l'usage du français et de l'anglais au siège des Nations unies à New York et à Genève, mais également dans les instances internationales à Bruxelles et Addis-Abeba. Proverbe burundais en guise de conclusion : « Il n'y a que les vaches qui ont une seule langue en bouche. »