Ibrahim Najjar, hier, à son arrivée au palais de Baabda pour la séance du Conseil des ministres. Photo Dalati et Nohra
Hier, les ministres du 8 Mars ont à nouveau insisté sur la nécessité d'accorder la priorité à la question des « faux témoins » et de la Cour de justice, multipliant les arguments qui soutiennent leur point de vue, mais sans exercer la moindre pression ou la moindre objection au report du débat en question. Le ministre de l'Énergie et des Ressources hydrauliques, Gebran Bassil, aurait tenté de s'insurger, mais il aurait immédiatement été rappelé à l'ordre par le chef de l'État, selon des sources proches de Baabda. Quant aux ministres berrystes, contrairement à la séance précédente, ils n'auraient exprimé aucune position, se démarquant dans ce sens, du reste de leurs camarades hier.
Cela n'ôte évidemment rien au fait que le gouvernement reste fortement divisé - en trois camps - sur la question des « faux témoins » : le 8 Mars d'un côté, qui soutient donc la thèse de la compétence de la Cour de justice à se saisir du dossier, le 14 Mars de l'autre, qui réfute cette thèse en se basant sur le rapport soumis par le ministre de la Justice Ibrahim Najjar, et, entre les deux, les ministres proches du président de la République (au nombre de cinq ; même Adnan Sayyed Hussein, quoique aligné sur la thèse du 8 Mars, a indiqué qu'il était en faveur du consensus et pour le report de la question si l'on doit en arriver au vote) et ceux du Rassemblement démocratique (trois), qui tentent d'œuvrer en faveur d'un consensus pour éviter le recours au vote et, par conséquent, l'implosion du gouvernement. Aucune possibilité donc pour un camp d'obtenir une majorité absolue, ce qui constitue pour l'heure un garde-fou empêchant la dislocation du cabinet Hariri.
En début de séance, le président de la République, Michel Sleiman, a appelé à souhaiter la bienvenue au président Mahmoud Ahmadinejad, qui entame aujourd'hui sa visite officielle au Liban. Il a également évoqué le sommet arabe de Syrte en Libye auquel le Liban n'a pas participé, ainsi que le report de la séance du dialogue national parce qu'elle coïncide avec le début de la session parlementaire ordinaire de la Chambre des députés. Il a ensuite donné la parole au ministre de la Justice Ibrahim Najjar, qui a longuement exposé son rapport sur les « faux témoins ». De son côté, le Premier ministre Saad Hariri a parlé de sa visite en Égypte, évoquant l'obstination israélienne qui empêche la progression du processus de paix, mais aussi l'inquiétude du Caire en raison de la tension qui prévaut au Liban.
Le 8 Mars et la Cour de justice
C'est ensuite que Gebran Bassil a pris la parole pour réclamer que le dossier des « faux témoins » soit déféré devant la Cour de justice, suivi par ses compagnons du 8 Mars, les ministres du Hezbollah, Mohammad Fneich et Hussein Hajj Hassan, et du Marada, Youssef Saadé. Chez les quatre, une seule revendication : aller, sans tarder, devant la Cour de justice. Parce que la question des « faux témoins » est « grave et dangereuse », qu'elle a « presque provoqué une discorde confessionnelle et détruit le pays durant cinq ans », « démoli les relations libano-syriennes », et que « le TSL a reconnu son incompétence sur la question ». Ainsi, selon Mohammad Fneich, le Conseil des ministres « n'a qu'une seule compétence : se saisir ou ne pas se saisir de la Cour de justice ». Même argumentation développée par le ministre Hussein Hajj Hassan, selon qui les « faux témoins » vont jusqu'à « menacer la stabilité du pays ». « Tout le monde joue avec l'enquête internationale, ce qui est mauvais pour le pays », a-t-il ajouté, avant de revenir à l'argument selon lequel il s'agit aussi d'une « atteinte aux relations libano-syriennes ».
Prenant la parole, le ministre Adnane Sayyed Hussein a adopté une position mitigée concernant le rapport Najjar, saluant la partie qui reconnaît la compétence de la justice à accepter les poursuites contre les « faux témoins », mais rejetant la partie selon laquelle il faut attendre l'acte d'accusation avant de pouvoir engager des poursuites contre ces derniers. Aussi a-t-il approuvé la thèse selon laquelle il est possible de déférer cette question devant la Cour de justice en vertu de l'article 356 du code de procédure pénale, c'est-à-dire en cas d'atteinte à l'unité nationale, au prestige de l'État, aux relations libano-syriennes et à la paix civile. Il a également agité la menace de l'article 38 du code pénal, qui punit d'une peine de travaux forcés à perpétuité « toute personne qui excite les sentiments confessionnels, qu'ils soient hommes politiques ou journalistes », compte tenu « des dangers qui guettent le Liban ».
Harb et les droits de l'homme
Du côté de la majorité, le ministre Boutros Harb s'est livré à une étude juridique qui met en relief le fait que la Cour de justice, en tant que tribunal d'exception, viole, comme le tribunal militaire, les principes fondamentaux du droit, notamment le droit de l'accusé à la défense et à faire appel de la décision des juges. C'est donc dans une perspective humaniste qu'il s'est situé, loin de la politique politicienne, estimant que rien ne justifiait d'élargir les compétences restrictives des tribunaux d'exception qui violent les droits fondamentaux de l'homme, notamment la Cour de justice. Dans son étude, Boutros Harb ne reconnaît pas à la Cour de justice la compétence de statuer dans l'affaire des « faux témoins », estimant qu'il s'agirait là d'une « grave et inacceptable atteinte à la Constitution » et d'une « agression du Conseil des ministres contre les prérogatives des députés, celles de légiférer et d'amender le code pénal ». « Il ne suffit pas que certains prétendent que ces » faux témoignages « portent atteinte à la sécurité de l'État pour justifier le transfert du dossier à la Cour de justice. Les actes criminels ont eu lieu il y a un moment, et n'ont pas porté atteinte aux relations entre le Liban et la Syrie, mais ont eu lieu à l'heure où ces relations étaient mauvaises et paralysées entre les deux États. Ce qui menace la paix civile et la stabilité, c'est la position des parties politiques, ainsi que l'escalade et la tension générée dans le pays en raison de la poursuite par le Tribunal de ses travaux, et non les « faux-témoins » , a-t-il ajouté, appelant le parquet à se saisir du dossier. Mais il a ajouté, au terme d'une démonstration, que c'est en définitive au TSL qu'il revient d'examiner l'ensemble de ce dossier, dans la mesure où il est du ressort du Tribunal, et qu'il demeure impossible de réclamer des dommages et intérêts tant que la justice internationale n'a pas statué sur l'affaire.
Au nombre de ceux qui se sont également exprimés au cours de la séance pour aller dans le même sens en général, les ministres Jean Oghassbian - qui a estimé que ce sont des événements comme l'assassinat de Rafic Hariri ou le 7 mai 2008 qui ont failli mener le pays à l'abîme, et non l'affaire des « faux-témoins », comme le soutient le 8 Mars -, Michel Pharaon, Sélim el-Sayegh, Tarek Mitri et Mohammad Rahhal, dernier à prendre la parole avant que le président ne réclame le report de la séance au 20 octobre.