Le ministre rappelle que la compétence de la justice libanaise pour connaître de l'affaire des présumés faux témoins, et accepter toute plainte à ce sujet, est indubitable. Des mesures ayant d'ailleurs été déjà engagées, à la suite d'accusations, contre un certain nombre de ces personnages. Mais il précise que nul ne peut être classé comme faux témoin avant que l'on ne prenne connaissance de ces faits, sur l'assassinat du président Rafic Hariri et de ses suites, que seul l'acte d'accusation du TSL peut révéler. Il faut en effet cerner les circonstances du crime, ainsi que l'effet ou l'impact qu'un témoignage déterminé aurait pu avoir sur le cours de l'enquête. On note à ce propos que le procureur Bellemare peut ne tenir aucun compte des dépositions qui lui apparaîtraient mensongères ou très peu crédibles. De même, plus avant, pour les juges de siège, à propos des témoignages évoqués dans les conclusions du parquet, ou cités à la barre soit par l'accusation, soit par la défense. Bellemare a d'ailleurs précisé ces points dans un entretien de presse, en laissant de plus entendre que des indications sur certaines conversations téléphoniques ne pourraient pas être prises en compte.
Sur place, le débat est ouvert. Certains cadres du 8 Mars réclament le lancement immédiat d'une enquête sur les 33 présumés faux témoins et manipulateurs, accusés par Jamil Sayyed devant la justice syrienne qui a lancé des mandats d'arrêt à leur encontre. Pour eux, c'est la voie à suivre afin que le TSL commence à suivre sérieusement la piste israélienne, en base des données avancées par le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah.
Les loyalistes répondent que seul le TSL, maître d'œuvre de l'enquête concrète, est en mesure de désigner les coupables de fausses dépositions et leurs commanditaires. Techniquement, il faut donc attendre le verdict ou, au mieux, pour prendre de premières positions qui n'auraient rien de définitif, l'acte d'accusation. De plus, et toujours techniquement, quand on parle d'enquêter sur les faux témoins et sur leurs maîtres, il faudrait commencer par l'histoire d'Abou Adass, des pèlerins australiens et du groupe des 13. Quant aux quatre que le 8 Mars retient, Zouheir Siddiq, Houssam Houssam, Ibrahim Michel Jarjoura et Akram Mrad, ils sont tous syriens. Ils sont aujourd'hui hors du territoire libanais. Il se trouve qu'ils n'ont pas déposé devant la justice libanaise, mais devant la commission d'enquête internationale. Ils font l'objet de mandats d'arrêt par défaut, mais comment séparer avant conclusion de l'enquête internationale le bon grain de l'ivraie, les vrais et les faux témoins ?
Astuce
Se référant à la fameuse bataille du Déversoir, en Égypte, les majoritaires soutiennent que leurs adversaires trouvent dans le dossier des présumés faux témoins, monté de toutes pièces, une diversion politique et judiciaire utile. Ils tenteraient, selon les loyalistes, de brouiller les pistes et les cartes, en vue de neutraliser le TSL. En lui lançant dans les pattes la justice libanaise et son enquête sur les faux témoins. Pour le porter à se croiser les bras jusqu'à ce que ces suspects aient été jugés au Liban, c'est-à-dire à Pâques, à la Trinité, à la Saint glin-glin ou aux calendes grecques, vaste choix.
Pour faire bonne mesure, et croc-en-jambe supplémentaire, le 8 Mars veut que le Liban n'honore pas sa quote-part de 49 % dans le financement du TSL pour le prochain exercice comptable. Une ineptie vaine, parce que les fonds seraient automatiquement assurés par l'ONU, avec le concours de pays ou de particuliers donateurs bénévoles. Autre projet de machination absurde prêtée par les loyalistes au 8 Mars : faire sauter le gouvernement avant mars 2001 pour qu'à l'expiration du premier mandat du TSL (trois ans) ce mois-ci, il y ait un vide politique au Liban. Ce qui poserait des difficultés au Conseil de sécurité des Nations unies car, au moment du renouvellement de la mission du tribunal, le Liban devrait être consulté. Sauf que pour le principal, le Conseil de sécurité, même s'il préfère un assentiment du Liban, n'en a pas besoin.
Cependant, la réalité tangible, que les ex-opposants soulignent à l'envi, est que l'existence du TSL suscite un fort et dangereux clivage au Liban, depuis les rumeurs sur une implication d'éléments du Hezbollah. Certes, les premières réactions à chaud, les menaces dirigées contre la paix civile, se sont estompées depuis le sommet tripartite de Baabda. Mais les tensions restent vives et l'empoignade plutôt rude. Car, cette fois, la majorité se défend fermement. Elle répète son attachement au maintien du chef du gouvernement, à la quête et à la découverte de la vérité, unique bouclier de sécurité permanente, de la paix civile. Car elle est la seule garante de la fin de l'impunité pour les terroristes et autres commanditaires d'attentats comme d'assassinats. Les loyalistes ajoutent que le cas des présumés faux témoins ne devrait être examiné, en bonne logique, et comme l'indique le ministre Najjar, qu'après promulgation de l'acte d'accusation du TSL, probablement en fin d'année. Ils rappellent que le Liban ne peut en aucune manière se dérober à l'engagement financier à hauteur de 49 % par rapport au TSL, car il est tenu d'appliquer la résolution numéro 1757 rendue sous le chapitre VII. S'il devait commettre une telle transgression, il se mettrait au ban de la communauté internationale. Plus droit à des assistances ni aux résolutions en sa faveur, comme celle sur le retour des réfugiés palestiniens chez eux.
À un dîner en l'honneur de Henri Chalhoub, président de l'Union française des assurances (UFA), le président Fouad Siniora s'est indigné que l'on monte en épingle les présumés faux témoins en oubliant qu'il y a eu des personnes assassinées par dizaines, tant et tant de vies prises et de familles détruites. Pour rappeler que si le Liban a été exclu du processus judiciaire, si le TSL a été créé sous le chapitre VII, c'est parce que le président Nabih Berry avait fermé la Chambre. En lançant même : « Éloignez-moi de ce calice. »