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Nos Lecteurs ont la Parole

Leçons d’un 11 septembre

Par Wassim HENOUD
Le 11 septembre vers midi, tout était consommé.
Devant le spectacle macabre, des gens ont applaudi, d'autres ont pleuré - les larmes rouges du désespoir et de la colère. Mais tous se rendaient compte désormais qu'une page cruciale de l'histoire moderne était définitivement tournée.
Il avait fallu de longues années d'effort pour que cette nation, fière de ses racines cosmopolites, puisse exprimer librement sa tolérance et ses choix politiques. Mais le mal était à l'affût, et le sang coula des blessures de cette démocratie sacrifiée. Des années après, le décompte des morts et des disparus, malgré maintes tentatives aussi sérieuses et scientifiques les unes que les autres, n'était toujours pas définitif.
Le monde était abasourdi que ceux qui se réfèrent inlassablement à des textes d'où rayonnent bonté et liberté responsable puissent atteindre un tel degré de dure cruauté et de cynisme criminel. Anonymes et seuls dans le malheur, les gens tombaient par centaines. L'espace d'un instant, l'homme n'était plus. Il n'y avait plus qu'idéologies aussi stupides les unes que les autres, puisque l'homme n'en faisait partie qu'en terme de comptes macabres de gain ou de perte.
Ce 11 septembre-là, ce n'était pas New York; ce n'était pas Washington; ni le vol UA 093.
Mais le nombre des victimes de cette barbarie était tout aussi important. C'était en 1973, à Santiago au Chili, où les Hawker Hunter de l'armée de l'air inféodée aux putschistes du général Pinochet bombardèrent le palais de la présidence de la République, La Moneda, pour en déloger un président démocratiquement élu. Un assaut qui ne se termina qu'avec l'assassinat ou suicide (on en débat encore) de Salvador Allende. Ça rappelle presque un sinistre 13 octobre 1990 où les non moins sinistres bien-pensants de la société libanaise, ratant comme d'habitude une occasion de devenir enfin de véritables patriotes, se désolèrent que le général Michel Aoun n'ait pas connu le même destin funeste que celui d'Allende.
Comme au Chili à l'époque, l'argent des «aides» coule encore aujourd'hui à flots pour étouffer l'idée d'un certain Liban. Les sommes investies pour renverser alors le pouvoir au Chili sont comparables, après ajustement à l'inflation et à la taille du pays, au milliard de dollars dont la moitié en aides (ah, les aides) mentionnées le 8 juin dernier par M. Jeffrey Feltman dans sa déposition devant une commission du Sénat américain. Énumérons pour le Chili : financement de vastes opérations de propagande. Publication de magazines, livres et études spécialisées. Investissement dans le principal groupe de presse El-Mercurio qui atteint 300000 lecteurs. Création de nombreux journaux, magazines et contrôle des chaînes de télévision. Organismes de recherche qui fournissent le gros des études parlementaires. Financement de la campagne pour les élections municipales. Pression sur la Banque mondiale pour refuser l'octroi d'aides agraires. La liste est longue, et bien malin celui qui ne voudra pas voir les similitudes.
Kissinger avait déclaré à l'époque: «I don't see why we need to stand by and watch a country go communist due to the irresponsibility of its own people. The issues are much too important for the Chilean voters to be left to decide for themselves.» En gros, les Chiliens ne sont pas assez mûrs pour décider de leur propre sort. D'autres s'en chargeront! Changez le communiste d'alors en terroriste d'aujourd'hui, et l'image devient d'actualité. Quand islam devient synonyme d'el-Qaëda ou du Hezbollah, selon le degré d'inculture auquel on fait face. Quand brûler un Coran est le seul moyen de marquer son attachement aux valeurs de la démocratie occidentale. Quand égorger l'«infidèle» prétend être l'unique voie pour préserver la pureté de l'islam. Quand le comble de l'humanité serait de permettre aux Palestiniens chassés de chez eux de s'installer dans un Liban qui ne peut même plus accueillir ses enfants. Quand on est démonisé pour avoir osé tenir tête à Israël. Quand tout cela arrive, on n'est pas loin de craindre que, menés par la doctrine de Kissinger, on ne permette la répétition chez nous aujourd'hui des mêmes injustices d'ailleurs et d'autrefois.
Car le seul objectif qui compte aujourd'hui au Proche-Orient est de préserver la liberté d'Israël à jouir paisiblement de ses conquêtes. L'implantation des réfugiés palestiniens dans les pays où ils sont installés en est l'unique garantie. Beaucoup de pays arabes l'ont bien compris et les accords de paix et autres accolades diplomatiques sont là pour le prouver. Sauf le Liban où le peuple refuse d'entériner l'injuste préambule d'une paix qui signifierait à terme l'écroulement de son modèle. Qu'on ne s'étonne pas alors que les millions de dollars consentis via M. Feltman continuent à semer la discorde et à saper la stabilité de notre pays jusqu'à ce que l'implantation palestinienne y prenne bien racine. De là à penser que la présente politique de non-droit en finances et en sécurité publique ne soit qu'un instrument pour réaliser un tel objectif, il n'y a qu'un pas que seule une immense et amère indignation empêcherait un Libanais de franchir.
En conclusion, il y aura malheureusement deux suites logiques à une éventuelle réussite de l'implantation des Palestiniens au Liban : au début, on parquera une partie de la population de ce pauvre pays (on voit laquelle ) dans un canton ou une réserve pour protéger sa culture et lui permettre de vivre ses rites avec une certaine liberté. Ça ravirait certainement quelques-uns, mais leur joie sera de courte durée car la survie d'une telle entreprise est bien évidemment impossible dans le long terme ; l'histoire l'a assez prouvé. Ensuite, victimes d'une pression sournoise et inlassable, ce sera pour les pays arabes de recevoir une dernière vague de réfugiés économiques palestiniens qui, en quittant leurs derniers biens de Palestine, laisseraient le champ libre à Israël pour consolider son État juif.
... À moins que, par la foi obstinée de quelques irréductibles rêveurs, l'idée d'un Liban, pays de tolérance et de coexistence pacifique ne perdure malgré tout ; et comme la démocratie qui a refleuri au Chili récemment, que cette utopie puisse un jour ressusciter chez nous.
Le 11 septembre vers midi, tout était consommé.Devant le spectacle macabre, des gens ont applaudi, d'autres ont pleuré - les larmes rouges du désespoir et de la colère. Mais tous se rendaient compte désormais qu'une page cruciale de l'histoire moderne était définitivement tournée. Il avait fallu de longues années d'effort pour...
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