Depuis la fin de l'Empire ottoman, une idée reçue voudrait que l'Europe soit le dernier rempart de la Turquie, suggérant qu'elle ne peut pas, ou ne veut pas, devenir une démocratie libérale en l'absence d'un agent extérieur. Il s'agit d'une idée fausse, qui repose non pas sur la réalité politique ou culturelle, mais sur un accident de l'histoire.
Tandis que la procédure d'accession à l'Union européenne est dans le coma, la société turque avance à grands pas vers plus de démocratie, de laïcité et de renouveau socio-économique. Les sondages montrent que les Turcs souhaitent une vision plus spirituelle de l'islam, une plus grande transparence de l'action des gouvernants et des institutions de l'État, ainsi qu'un engagement plus résolu dans le système économique mondial. Comme dans les démocraties occidentales, les gens veulent que le pouvoir civil leur assure des emplois, une éducation de qualité et un système de santé de classe mondiale. Les batailles idéologiques d'antan sont le cadet de leurs soucis.
La réussite économique de l'Inde apporte un démenti cinglant à la thèse qui voudrait qu'une Turquie hors l'Europe serait condamnée à la stagnation éternelle. Il y a dix ans à peine, il était bien vu de considérer l'Inde comme un ratage économique, un pays condamné à un faible taux de croissance perpétuel. La culture hindoue était vue à tort comme l'antithèse de la vitalité économique, incarnée par l'expansion galopante de l'Asie du Sud-Est, qui, elle, n'est pas hindoue.
Remplacez hindouisme par islam et voilà la Turquie dans la même charrette que l'Inde. Selon une hypothèse non avouée, la Turquie n'a pas ce qu'il faudrait pour résoudre le problème kurde, adopter une Constitution civile et démocratique, solidifier la laïcité au sein d'une population à majorité musulmane et accepter la liberté sociale comme assise de la société. Or ce verdict contredit le bilan obtenu après 87 ans à peine de construction de la nation turque, une goutte d'eau dans l'océan de l'histoire.
En fait, contrairement aux pays des Balkans, la Turquie a réussi, en gros, à intégrer toute une mosaïque ethnique après la désintégration de la splendeur ottomane. Elle est en train de mettre en place un système judiciaire viable, de conforter une tradition laïque et démocratique naissante et de donner naissance à une génération d'entrepreneurs qui font des vagues sur les marchés de l'Europe, du Moyen-Orient, de Russie, d'Asie centrale et d'Afrique dans les filières du bâtiment, de l'agriculture et des textiles.
Serait-ce que toutes les difficultés sont aplanies ? Certainement pas. Pour commencer, l'État turc ne s'est pas montré à la hauteur des attentes largement partagées de sa population kurde en matière de droits culturels et de pauvreté ; sa politique du quitte ou double fait l'impasse sur les sensibilités minoritaires ; il attise le sentiment nationaliste réactionnaire ; il perpétue la méfiance envers le non-musulman ; il reste obsédé par le contrôle social au niveau de l'élite dominante - tout cela va à l'encontre du projet d'une Turquie diverse et moderne. En d'autres termes, la société et les milieux d'affaires devancent largement le monde politique s'agissant du passage à des valeurs politiques et sociales modernes. L'urbanisation, la mondialisation économique et le progrès démocratique conduisent déjà à une mutation des valeurs sociales et traditionnelles.
Malgré son franc dynamisme, quoique parfois trébuchant, la Turquie est toujours considérée comme un pays où le conflit règne en maître - que ce soit entre Turcs et Kurdes, islam et laïcité, ou Orient et Occident. Pour preuve, le débat enragé sur le prétendu abandon des alliances occidentales en faveur d'un tropisme oriental. Ces débats ignorent l'opinion publique qui, selon les sondages, préférerait une coopération avec l'Europe, particulièrement l'Allemagne, plutôt qu'avec l'Arabie saoudite, l'Iran ou la Russie. Il y a donc peu de risque de voir la Turquie se tourner vers l'Orient ou vers un régime théocratique en l'absence d'un processus crédible d'accession à l'UE.
L'Europe commet une erreur en laissant la Turquie au bord de la route. Symbole d'espoir et source d'inspiration pour de nombreux pays musulmans et non musulmans, la Turquie se construit son avenir toute seule, en ne comptant que sur ses propres ressources. En s'affirmant ainsi indépendante de l'Union européenne, la Turquie finira par déboulonner le mythe qui voudrait que seule l'Europe peut stimuler sa libéralisation et, par extension, celle des pays arabes et du Moyen-Orient.
* Fadi Hakura est spécialiste de la Turquie à Chatham House et expert mondial des Nations unies (www.globalexpertfinder.org). Article écrit pour le service de presse de Common Ground (CGNews). Reproduction autorisée.
Tandis que la procédure d'accession à l'Union européenne est dans le coma, la société turque avance à grands pas vers plus de démocratie, de laïcité et de renouveau socio-économique. Les sondages montrent que les Turcs souhaitent une vision plus spirituelle de l'islam, une plus grande transparence de l'action des gouvernants et des institutions de l'État, ainsi qu'un engagement plus résolu dans le système économique mondial. Comme dans les démocraties occidentales, les gens veulent que le pouvoir civil leur assure des emplois, une éducation de qualité et un système de santé de classe mondiale. Les batailles idéologiques d'antan sont le cadet de leurs soucis.
La réussite économique de l'Inde apporte un démenti cinglant à la thèse qui voudrait qu'une Turquie hors l'Europe serait condamnée à la stagnation éternelle. Il y a dix ans à peine, il était bien vu de considérer l'Inde comme un ratage économique, un pays condamné à un faible taux de croissance perpétuel. La culture hindoue était vue à tort comme l'antithèse de la vitalité économique, incarnée par l'expansion galopante de l'Asie du Sud-Est, qui, elle, n'est pas hindoue.
Remplacez hindouisme par islam et voilà la Turquie dans la même charrette que l'Inde. Selon une hypothèse non avouée, la Turquie n'a pas ce qu'il faudrait pour résoudre le problème kurde, adopter une Constitution civile et démocratique, solidifier la laïcité au sein d'une population à majorité musulmane et accepter la liberté sociale comme assise de la société. Or ce verdict contredit le bilan obtenu après 87 ans à peine de construction de la nation turque, une goutte d'eau dans l'océan de l'histoire.
En fait, contrairement aux pays des Balkans, la Turquie a réussi, en gros, à intégrer toute une mosaïque ethnique après la désintégration de la splendeur ottomane. Elle est en train de mettre en place un système judiciaire viable, de conforter une tradition laïque et démocratique naissante et de donner naissance à une génération d'entrepreneurs qui font des vagues sur les marchés de l'Europe, du Moyen-Orient, de Russie, d'Asie centrale et d'Afrique dans les filières du bâtiment, de l'agriculture et des textiles.
Serait-ce que toutes les difficultés sont aplanies ? Certainement pas. Pour commencer, l'État turc ne s'est pas montré à la hauteur des attentes largement partagées de sa population kurde en matière de droits culturels et de pauvreté ; sa politique du quitte ou double fait l'impasse sur les sensibilités minoritaires ; il attise le sentiment nationaliste réactionnaire ; il perpétue la méfiance envers le non-musulman ; il reste obsédé par le contrôle social au niveau de l'élite dominante - tout cela va à l'encontre du projet d'une Turquie diverse et moderne. En d'autres termes, la société et les milieux d'affaires devancent largement le monde politique s'agissant du passage à des valeurs politiques et sociales modernes. L'urbanisation, la mondialisation économique et le progrès démocratique conduisent déjà à une mutation des valeurs sociales et traditionnelles.
Malgré son franc dynamisme, quoique parfois trébuchant, la Turquie est toujours considérée comme un pays où le conflit règne en maître - que ce soit entre Turcs et Kurdes, islam et laïcité, ou Orient et Occident. Pour preuve, le débat enragé sur le prétendu abandon des alliances occidentales en faveur d'un tropisme oriental. Ces débats ignorent l'opinion publique qui, selon les sondages, préférerait une coopération avec l'Europe, particulièrement l'Allemagne, plutôt qu'avec l'Arabie saoudite, l'Iran ou la Russie. Il y a donc peu de risque de voir la Turquie se tourner vers l'Orient ou vers un régime théocratique en l'absence d'un processus crédible d'accession à l'UE.
L'Europe commet une erreur en laissant la Turquie au bord de la route. Symbole d'espoir et source d'inspiration pour de nombreux pays musulmans et non musulmans, la Turquie se construit son avenir toute seule, en ne comptant que sur ses propres ressources. En s'affirmant ainsi indépendante de l'Union européenne, la Turquie finira par déboulonner le mythe qui voudrait que seule l'Europe peut stimuler sa libéralisation et, par extension, celle des pays arabes et du Moyen-Orient.
* Fadi Hakura est spécialiste de la Turquie à Chatham House et expert mondial des Nations unies (www.globalexpertfinder.org). Article écrit pour le service de presse de Common Ground (CGNews). Reproduction autorisée.
Depuis la fin de l'Empire ottoman, une idée reçue voudrait que l'Europe soit le dernier rempart de la Turquie, suggérant qu'elle ne peut pas, ou ne veut pas, devenir une démocratie libérale en l'absence d'un agent extérieur. Il s'agit d'une idée fausse, qui repose non pas sur la réalité politique ou culturelle, mais sur un accident de l'histoire.Tandis que la procédure d'accession à l'Union européenne est dans le coma, la société turque avance à grands pas vers plus de démocratie, de laïcité et de renouveau socio-économique. Les sondages montrent que les Turcs souhaitent une vision plus spirituelle de l'islam, une plus grande transparence de l'action des gouvernants et des institutions de l'État, ainsi...
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