Les milieux de l'ex-opposition estiment qu'il s'agit là d'un changement stratégique dans l'attitude du Premier ministre, et certaines sources libanaises proches de la Syrie affirment que cette attitude nouvelle est le fruit des longues conversations entre le président Bachar el-Assad et Saad Hariri suite au rapprochement syro-saoudien. Les derniers détails de cette interview auraient d'ailleurs été mis au point entre le général Rustom Ghazalé et le chef du département des informations aux FSI, Wissam Hassan, au cours de la récente visite de ce dernier à Damas, qui a suivi celle du Premier ministre. Les autorités syriennes auraient réclamé des positions claires de la part de Saad Hariri et ce dernier aurait choisi d'accorder une entrevue au quotidien achark el- Awsat avec toute la symbolique que cela représente, le quotidien appartenant au courant dit « plus dur » au sein de la famille royale saoudienne.
En tout état de cause, les propos de Saad Hariri ont produit l'effet voulu. Le président de la Chambre Nabih Berry s'est empressé de le contacter pour le remercier, avant d'envoyer le député Ali Hassan Khalil en guise d'appui. De même, le Hezbollah a fait connaître son approbation et les médiateurs de bonne volonté cherchent maintenant à organiser une rencontre entre le Premier ministre et Hassan Nasrallah, après la fête du Fitr. Il faut rappeler à cet égard que la porte de Haret Hreik (où selon toute probabilité réside Nasrallah) est restée fermée ces derniers temps devant le locataire du Sérail. Au cours des derniers mois, il y aurait eu entre les deux courants un échange plus ou moins tendu, coupé par deux visites au domicile de Saad Hariri effectuées par l'adjoint politique de Nasrallah, Hussein Khalil. La première rencontre s'était d'ailleurs très mal déroulée, alors que le climat de la seconde était plus positif. Au cours de la première rencontre, Saad Hariri se serait écrié : « Vous voulez donc que je renonce au sang de mon père ? » et Hussein Khalil aurait répondu : « Certainement pas. Mais pourquoi nous lancer les accusations ? » Par contre, le ton avait changé au cours de la seconde rencontre, avant que les relations ne connaissent une nouvelle tension, suite aux incidents de Bourj Abi Haïdar et aux propos qui ont suivi. Hajj Hussein Khalil a toutefois contacté par téléphone le Premier ministre après son discours appelant au calme dimanche soir, et désormais, les efforts - notamment ceux de Walid Joumblatt qui joue un rôle déterminant entre Hariri, Nasrallah et Assad - portent sur l'organisation d'une rencontre entre Nasrallah et Hariri. Toutefois, pour le Hezbollah, les déclarations très courageuses et positives du Premier ministre au quotidien saoudien sont encore insuffisantes. Le Hezbollah n'a pas oublié la déclaration hâtive du Premier ministre dans laquelle il avait appuyé les négociations de paix israélo-palestiniennes qui, pour l'instant, ne semblent pas tenir compte du droit au retour des Palestiniens. De plus, le gouvernement n'a adopté aucune position officielle à ce sujet, alors que les responsables américains évoquent clairement la possibilité d'intégrer au processus de négociations la Syrie et le Liban. De même, la teneur éventuelle de l'acte d'accusation continue à être brandie comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du Hezbollah et dans certains milieux de l'ex-opposition, certains ironisent : il a fallu cinq ans à Saad Hariri pour reconnaître qu'il s'était trompé en accusant la Syrie. Faudrait-il attendre autant pour qu'il accepte l'idée que le Hezbollah n'est pas coupable ?...
C'est dire que si les derniers propos du Premier ministre sont considérés comme un développement de la plus haute importance, d'autant qu'ils ont surpris la base même de Hariri, la méfiance reste de mise. Le Hezbollah a en effet été informé globalement du contenu des discussions entre le président syrien et le Premier ministre. Selon les confidences parvenues au commandement de la résistance, Hariri aurait déclaré à son interlocuteur, au cours de l'un des entretiens, que le Hezbollah exécute un agenda iranien, insinuant qu'il existe des divergences avec le commandement syrien, et la réponse aurait été très ferme : « N'essayez pas de jouer sur ce tableau. » D'ailleurs, le président syrien se rend la semaine prochaine à Téhéran. De même, au cours d'un autre entretien, Assad aurait déclaré à Hariri : « Nous pouvons contrôler le Hezbollah. Pouvez-vous en faire de même avec toutes les organisations sunnites ? »... Assad aurait aussi affirmé que la Syrie a traversé une longue période d'isolement et elle en est aujourd'hui sortie grâce à sa détermination. Mais elle n'acceptera pas que le Liban se transforme en ventre mou pour elle. C'est pourquoi le Hezbollah et la résistance constituent, à ses yeux, une ligne rouge. Le message a été bien reçu et le Premier ministre a modifié le ton et le contenu de son discours.
À la veille de la fête du Fitr, la tendance est donc au calme et des développements positifs pourraient se produire au cours des prochaines semaines. Mais l'ex-opposition attend encore que les paroles courageuses du Premier ministre se traduisent concrètement, notamment à travers le dossier des faux témoins.