Mais ce climat de détente, Michel Aoun s'en démarque totalement. À l'occasion de la fête de son saint patron, célébrée en l'église Mar Mikhaël, il s'est déchaîné contre le chef de l'État, le président du Conseil, les ministres de l'Intérieur, de la Défense, de la Justice et de l'Information pour les inviter à se réveiller du sommeil profond où ils seraient plongés ou, sinon, à démissionner. Il a été jusqu'à user de termes pour le moins blessants en assurant, par exemple, que le président de la République ne fait que pleurer.
Ses attaques suscitent, cependant, un premier point d'interrogation politique important. À savoir qu'il semble se positionner, en invitant les responsables à démissionner, contre Hassan Nasrallah, qui souligne son ferme attachement au maintien du gouvernement. En précisant même qu'il faut couper court de suite aux rumeurs ou spéculations sur un prochain départ du cabinet.
Des raisons
Mais pourquoi cette déviation, pour ne pas dire cette dérive, du chef du CPL ? Des sources du 14 Mars l'attribuent aux batailles qu'il livre présentement, non sans difficulté, à propos des dossiers suivants :
- L'arrestation du général Fayez Karam, sur laquelle il a des réserves, en évoquant le rôle de l'unité de renseignements qui serait, selon lui, illégale, voire illégitime. Le général Aoun relève, en outre, que l'on n'a pas pris connaissance de la déposition effectuée par le général Karam ni des informations qu'il a pu apporter. Quoi qu'il en soit, des efforts sont actuellement déployés, indiquent des sources fiables, pour mettre le dossier à l'abri de la médiatisation en vue de classer ensuite l'affaire discrètement.
- La répartition des rôles politiques. Le Hezbollah joue la détente et le soutien au gouvernement, tandis que Michel Aoun doit entretenir la tension et attaquer le pouvoir. Il rend ainsi doublement service au parti chiite car ce dernier montre une patte encore plus blanche, par contraste avec son allié, aux yeux des décideurs étrangers. Tout en gardant quelqu'un pour attaquer Saad Hariri, que le Hezbollah ne porte quand même pas dans son cœur.
- Le général Aoun doit, par conséquent, s'impliquer dans la polémique sur le désarmement de Beyrouth. Quoi que ressente la population, il ferraille aux côtés du Hezbollah, dont le potentiel se trouverait ciblé. En ajoutant que le but de la campagne de non-violence serait de faire de Beyrouth une ville ouverte aux vents.
- Les nominations. Michel Aoun a l'impression que ses suggestions concernant certains postes ne seront pas retenues. Ses demandes relatives au programme de l'administration non plus. Son gendre, le ministre Gebran Bassil, a exprimé ces doutes ou ces soupçons à ce sujet, lors de la dernière réunion du gouvernement. Il se peut, donc, que l'on cherche à torpiller le mécanisme convenu pour gommer le copartage.
Reste l'attaque contre le président Michel Sleiman. Selon les cadres cités, cette offensive se relie à une obsession connue du général Aoun, candidat infortuné à la présidence de la République. Il a manifesté indirectement son ulcération, pour ne pas dire sa frustration, pour les législatives ou les municipales de la région de Jbeil, plus particulièrement à Amchit, berceau du chef de l'État. Détail amusant : des loyalistes rappellent au chef du CPL qu'il s'en prend à quelqu'un qui n'a pas assez de prérogatives pour décider et à qui donc on ne peut pas reprocher de ne pas agir. Pour être conséquent avec lui-même et justifier ses attaques, Michel Aoun devrait batailler, avant toute chose, pour que la présidence de la République retrouve des pouvoirs plus consistants. Surtout qu'il se présente en champion incontournable de la communauté maronite, concluent ces loyalistes.