Ziyad Baroud, un ministre atypique qu’on aime bien. Photo Michel Sayegh
Informel, franc, volubile, «anticonformiste dans le fond et dans la forme», avoue-t-il, il ne manque pas d'ôter sa cravate et de s'installer, ouvert à une discussion de deux heures, loin de la langue de bois et autres généralités hypocritement diplomatiques. L'homme, légèrement amer, visiblement déçu d'« avoir fait 90 % d'efforts pour aboutir à 10 % de résultats », ressemble souvent à un Don Quichotte dans son inlassable croisade contre des réalités qui ne changeront sans doute jamais. Il parle sans détour de ses responsabilités énormes, du manque d'effectifs dont il souffre et du manque de responsabilité de certains. Il dénonce un système rouillé, empêtré dans les poussières du temps et confesse un travail de 20 heures par jour, tant l'édification d'un État, surtout dans ses détails quotidiens, est chose ardue. Sa liberté, qui ressemble parfois à une grande solitude dans les moments difficiles, le rend atypique dans le pays des « salamalecs », des clans, des partis et des fils de.
Son arrivée au poste de ministre de l'Intérieur, qu'il doit à ses compétences et ses ambitions, a décoiffé les traditionnelles nominations, en général prévisibles. « La politique m'a toujours intéressé, je suis resté à égale distance de toutes les parties. Surtout, je n'ai pas prémédité les choses », souligne l'heureux élu.
Parcours d'un enfant de la société civile
Ziyad Baroud, comme sorti d'une boîte de Pandore, fut une des belles surprises de mai 2008, lorsque le président Michel Sleiman lui propose cet immense défi de faire partie du gouvernement dit d'union nationale. « Le président de la République me connaissait à travers certains sujets abordés ensemble. Il a pris le risque. J'étais jeune, je n'appartenais à aucune famille politique, je venais de la société civile. Le grand défi était de réussir à lui rendre cette confiance accordée. Ce ministère, très difficile, n'est pas un cadeau. Il englobe la moitié du pays en termes de compétences. Après le succès des élections législatives et municipales, des missions qui n'étaient pas gagnées d'avance, j'étais prêt à rentrer chez moi...» « Je voudrais, poursuit le jeune ministre, humaniser ce ministère. Rappeler que c'est également celui des droits de l'homme, et ils sont nombreux à être bafoués. »
Avant, car il y a un avant ce poste de tous les reproches, Ziyad Baroud a, en effet, beaucoup travaillé dans le cadre d'associations, telles l'Association libanaise pour la transparence, l'Association libanaise pour la démocratie des élections (ALDE) ou encore le Centre libanais d'études politiques. En 2001, il devient membre fondateur du Mouvement du renouveau démocratique, puis il est nommé par le gouvernement de Fouad Siniora membre de la Commission nationale pour la loi électorale.
Aujourd'hui, les Libanais associent surtout le ministre à tous leurs problèmes quotidiens, au risque d'oublier quelquefois la responsabilité sécuritaire énorme qu'il doit assumer, dans un pays et une ville à l'équilibre plus que précaire. La circulation, le chaos, l'état des routes, les chauffards criminels, les femmes au volant de... leurs cellulaires, les conducteurs de mobylette arrogants hors la loi. Les « représentants de l'ordre», incompétents ou souvent incapables de donner l'exemple, trop ou pas assez autoritaires. L'impunité générale, les mauvaises habitudes, le manque de civisme et même de politesse. Les vols, les feux de signalisation en panne, les insupportables embouteillages... La liste des mécontentements est longue. « J'ai eu tort, répond-il, de dire que cela faisait strictement partie de mes compétences et de promettre aux citoyens de grands changements. Élargir les routes, dont certaines remontent au mandat français, créer une infrastructure et des transports publics qui se respectent ne relèvent pas du ministère de l'Intérieur. Nous n'avions que 593 agents de la circulation pour tout le Liban... Nous avons élevé le chiffre à 1800 en supprimant également la protection des personnalités. 87% des automobilistes respectent les feux rouges. 32323 mobylettes ont été confisquées. Nous avons enregistré un recul de 77 % des vols de voitures. Il est malheureusement plus facile et courant de critiquer ceux qui font quelque chose que ceux qui ne font rien... »
Pour Ziyad Baroud, qui reste aussi un citoyen révolté par les nombreux dysfonctionnements qu'il ne peut changer tout seul, répondre aux mails des citoyens, prendre sa voiture la nuit pour poursuivre les contrevenants, discuter aux barrages à deux heures du matin avec de jeunes chauffards inconscients, les envoyer passer trois jours à l'association Kun Hadi pour qu'ils comprennent les dangers qu'ils encourent et font courir aux autres, devient une pratique normale.
Celui qui, enfant, voulait être... « chauffeur de camion! » et, plus tard, journaliste regrette surtout de constater que « nous avons transformé la diversité, qui est une réalité heureuse, en un malheur... ».
« Quel mérite j'aurai si tout va bien ? conclut-il. Je ne veux surtout pas décevoir les gens qui attendent, comme moi, beaucoup de ce ministère. »