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Les forces de sécurité irakiennes restent prisonnières des logiques du conflit - Éclairage

Les forces de sécurité irakiennes restent prisonnières des logiques du conflit

Capacité des forces irakiennes à prendre le relais des soldats américains, éventualité d'un nouveau cycle de violence, évolution de l'influence américaine sur la politique irakienne... Les experts analysent les paramètres et conséquences du retrait militaire américain d'Irak.

Les soldats de la compagnie Charlie, 1er bataillon du 3e régiment d’infanterie, à leur arrivée sur la base Saint Andrews, dans le Maryland, après un déploiement de 12 mois en Irak. Nicholas Kamm/AFP

Les effectifs de l'armée américaine en Irak sont tombés sous la barre des 50 000 hommes alors que prend officiellement fin demain la mission de combat des États-Unis en Irak. Nouvelle étape du calendrier pour un retrait graduel des forces américaines qui doit aboutir au départ du dernier GI du sol irakien fin 2011.
Un retrait dont le calendrier a été critiqué, le 11 août, par le chef d'état-major irakien, le général Babaker Zebari : «À ce stade, le retrait se passe très bien car les Américains sont toujours là, mais le problème sera différent après 2011. S'ils me posent la question du retrait, je répondrai aux hommes politiques que l'armée américaine doit rester jusqu'à ce que l'armée irakienne soit prête en 2020. » Des déclarations qui ne sont pas au diapason de celles des autorités politiques irakiennes, puisque le porte-parole du gouvernement, Ali al-Dabbagh, a déclaré que « les forces de sécurité irakiennes sont suffisamment prêtes pour faire face à la menace ». Même son de cloche côté américain, le porte-parole adjoint de la Maison-Blanche affirmant, jeudi dernier, que les Irakiens « sont capables de prendre en charge leur propre sécurité ».
Néanmoins, pour Myriam Benraad*, chercheuse à Sciences Po et au Centre d'études et de recherches internationales (CERI) à Paris, les déclarations du général Zebari sont réalistes. Selon la spécialiste, les forces de sécurité irakiennes sont sujettes à un manque d'effectifs, d'équipement et de ressources financières. Ce surtout depuis que le budget affecté aux forces armées a été réduit en février dernier en raison des difficultés économiques que connaît l'Irak. Les forces de sécurité irakiennes sont également traversées par des loyautés diverses. « Les forces de sécurité restent prisonnières des logiques du conflit. Des rapports officiels irakiens soulignent que certains membres des forces de sécurité restent proches de certaines milices ou de l'insurrection, voire coopèrent directement avec elles. Ces rapports font notamment état de policiers qui, depuis le transfert aux Irakiens de la gestion des prisons, effacent les casiers judiciaires d'anciens insurgés et les font libérer », indique Myriam Benraad.
L'impasse politique actuelle - cinq mois après les législatives, les partis irakiens n'ont toujours pas trouvé d'accord en vue d'une coalition de gouvernement - n'aide pas. « Actuellement, il n'y a aucune directive claire quant à la stratégie sécuritaire que ces forces vont appliquer », note la chercheuse qui rappelle que « la sécurité ne dépend pas seulement des forces armées, mais aussi de la volonté politique, de la formation d'un gouvernement qui puisse réconcilier les Irakiens, et nous en sommes très loin ».

Nouveau cycle de violence ?
Dans ce contexte, nombreux sont les Irakiens à craindre que cette nouvelle étape du retrait américain s'accompagne d'une franche dégradation de la situation sécuritaire dans leur pays. Près de six Irakiens sur 10 estiment que le moment n'est pas propice au retrait des troupes américaines, selon un sondage réalisé entre le 15 et le 22 août par le centre de recherche Asharq. « Nos forces ne sont pas prêtes à protéger la population », déclarait à l'AFP Mouna Jassim Ali, une enseignante de Bassora (Sud) de 31 ans. « La preuve en est que des attentats ont lieu là où il y a un nombre important de troupes irakiennes. » De fait, depuis quelques semaines, les forces de sécurité sont la cible d'une série de sanglants attentats.
 « L'Irak a effectivement été, ces derniers temps, le théâtre de violences spectaculaires. Mais ces violences ont montré qu'elles ne changeaient pas fondamentalement les dynamiques en place. Et ce alors même qu'il s'agissait du but recherché puisque les attentats sont principalement perpétrés dans des zones chiites, bastions de l'Armée du mehdi, ou sur cette ligne de fracture entre Arabes et Kurdes qui court de la frontière syrienne, au nord-ouest, à la frontière iranienne, au nord-est », souligne Peter Harling, expert de la question irakienne à l'International Crisis Group (ICG).
Selon lui, s'il existe un risque que la situation sécuritaire se détériore fortement, ce scénario est difficile à anticiper. « L'Irak est un pays qui voit la plupart des questions posées il y a sept ans par le renversement de l'ancien régime toujours sans réponses. Par exemple, la question de la nature de la formule de partage du pouvoir, que ce soit entre les différentes composantes ethniques et sectaires de la société ou de l'élite politique irakienne, ou entre les anciens exilés de retour après 2003 et les acteurs présents à l'époque de Saddam, est toujours sans réponse, estime-t-il. La question des relations entre chiites et sunnites reste largement indéterminée, idem pour les relations entre Arabes et Kurdes, pour les relations entre l'appareil du pouvoir civil et l'appareil de sécurité, pour les relations entre la capitale et les gouvernorats. Les relations entre l'Irak et la quasi-totalité de ses voisins restent également extrêmement fluides. Cette situation ne permet pas de se projeter. »
Myriam Benraad ne s'attend pas, pour sa part, à un nouveau cycle de violence en ce sens qu'en Irak, « la violence n'a jamais cessé ». Selon elle, les progrès enregistrés en 2007-2008 lors du « Surge » américain (décision du président Bush d'envoyer, en 2007, 30 000 soldats supplémentaires) s'inscrivent dans un contexte particulier. « Le "Surge" capitalisait sur la lassitude de la population et sur le conflit opposant les tribus des provinces sunnites à el-Qaëda. Ce succès s'inscrivait dans un contexte. Malgré les revers, el-Qaëda n'a jamais disparu du paysage. »
Pour la chercheuse, « l'horizon est sombre dans la mesure où la classe politique irakienne est déchirée, incapable de former un gouvernement et dépourvue de toute vision pour le pays. En face, la population est lasse, elle manque des services élémentaires, eau, électricité, les infrastructures sont dans un état pitoyable, les projets sont en retard, le délabrement est général. Le tout dans un environnement de violence et en l'absence d'une refondation nationale de l'Irak. Dans ce contexte, ce que l'on peut craindre, c'est que la logique de fragmentation s'accentue dans les prochains mois. À moins d'un sursaut politique ».

L'influence politique américaine en Irak
Pour le moment, la scène politique irakienne est plus à l'heure de l'impasse que du sursaut. Une situation sur laquelle les Américains ne veulent pas ou ne peuvent pas intervenir. « Il est clair que les États-Unis ont perdu en influence sur la politique interne irakienne. Washington a essayé de peser discrètement sur le processus de formation du nouveau gouvernement. Des visiteurs de haut rang (l'assistant à la secrétaire d'État Feltman, le vice-président Biden et plus récemment l'amiral Mullen) ont fait pression sur les dirigeants irakiens à Bagdad, mais ont été incapables d'accélérer la formation du gouvernement », indiquait, début août, Marina Ottaway, directrice pour le Proche-Orient de la « Carnegie Endowment for International Peace » à Washington, sur le site de la fondation.
Pour Myriam Benraad, « il y a un désengagement américain au niveau des affaires interieures irakiennes ». Contrairement aux élections de 2005, dans le cadre desquelles les Américains avaient exercé des pressions pour une coalition politique donnée, Washington s'est tenu en retrait du scrutin de 2009, se contentant de faire pression pour le respect du calendrier. « Aujourd'hui, le débat à Washington porte sur la question de savoir si les États-Unis ont encore une politique en Irak. Personnellement, je vois plutôt que les États-Unis ont une diplomatie en Irak », estime la chercheuse. « Les États-Unis peuvent conseiller et faire des suggestions, mais ils ne sont pas en position de forcer Bagdad à aller dans la direction qu'ils souhaitent. Si l'on se projette, le niveau d'influence américaine dépendra grandement de qui sera le prochain Premier ministre et de la politique du nouveau gouvernement irakien », estime encore Marina Ottaway.
Pour Peter Harling, de manière plus générale, « aucun acteur extérieur ne jouit aujourd'hui d'une influence déterminante sur la scène irakienne. Chacun peut faire obstacle à des formules de partage du pouvoir qui desservent ses intérêts propres. Mais personne n'est capable d'imposer une formule qui servirait ces mêmes intérêts. L'ensemble des acteurs extérieurs, États-Unis, Iran, Syrie, Turquie, Arabie saoudite, jouissent d'une influence relativement forte quand il s'agit de s'opposer aux desseins des autres. Mais aucun ne dispose d'une capacité à imposer sa propre vision ».
Certains estiment néanmoins que le retrait militaire américain va entraîner une redistribution des cartes en matière d'influence extérieure. « Par rapport aux années passées, l'Irak a atteint une forme d'équilibre, certes précaire, mais équilibre tout de même. Un équilibre dont la présence américaine fait partie. Si l'on retire cette composante, on introduit automatiquement une forme de déséquilibre et de renégociation. C'est un peu ce qui est en train de se passer en ce moment », estime l'expert de l'ICG.
De ce retrait, les États-Unis pourraient-ils au moins tirer une amélioration de leur image dans la région ? « Ce retrait ne trompe personne dans la région, notamment car il s'accompagne d'un engagement renforcé en Afghanistan », souligne Myriam Benraad. « Il sera très difficile pour les États-Unis de se défaire de l'héritage d'une invasion qui continuera d'être perçue comme injustifiée et extrêmement nuisible. Ce qui pourrait renverser cette perception, c'est un Irak stable et prospère », poursuit Peter Harling. Ce qui n'est pas gagné, loin s'en faut.

* Auteure de « L'Irak » à paraître en septembre 2010 aux éditions du Cavalier bleu (collection « Idées reçues » ).
Les effectifs de l'armée américaine en Irak sont tombés sous la barre des 50 000 hommes alors que prend officiellement fin demain la mission de combat des États-Unis en Irak. Nouvelle étape du calendrier pour un retrait graduel des forces américaines qui doit aboutir au départ du dernier GI du sol irakien fin 2011.Un retrait dont le calendrier a été critiqué, le 11 août, par le chef d'état-major irakien, le général Babaker Zebari : «À ce stade, le retrait se passe très bien car les Américains sont toujours là, mais le problème sera différent après 2011. S'ils me posent la question du retrait, je répondrai aux hommes politiques que l'armée américaine doit...