Je n'avais pas fait vraiment attention à ces petites, qui me brisent le cœur aujourd'hui, si je n'avais pas été à deux doigts d'avoir un accident. C'est ainsi qu'il m'a été donné de voir ce visage de 18 ans à peine, cigarette à la main et maquillage de poupée. C'est dans des situations pareilles que les questions vous assaillent et que plus rien n'a de sens.
J'aurais voulu descendre de ma voiture et lui dire que rien ne la forçait à accepter d'embarquer dans cette Mercedes. Mais je n'ai pas pu : son « protecteur » n'était pas loin. J'ai préféré proférer un gros mot et continuer ma route comme si de rien n'était.
Comme vous, comme elle, comme lui, comme eux.
Il faut bien dire blanc quand c'est blanc et noir quand c'est noir. Une courgette est une courgette. Appelons les choses par leur nom.
Les réseaux se forment, les filles circulent. Il y en a pour tous les goûts et de toutes les couleurs. L'éventail se fait de plus en plus large. Et se vendre pour pouvoir joindre les deux bouts est juste une excuse que l'homme qui jette sa femme à la rue peut avancer, sûr de son droit et fort de sa bonne conscience
Les bars se multiplient et ceux qui les fréquentent débordent sur la rue. La nuit, bien sûr, encore plus que le jour. L'on peut voir alors une certaine jeunesse en jeans slim et petit tee-shirt noir, le nombril à l'air, circuler au milieu de l'autoroute, guettant l'éventuel chaland.
Tout ça sous nos yeux. Dès le coucher du soleil.
Parce que c'est comme ça qu'un pays se développe économiquement. C'est comme ça que nous nous rendons compte que vendre son corps reflète notre condition économique et sociale. On a faim et on nous jette en pâture sur ce petit bout de trottoir. Le reste n'existe plus.
Le reste est juste aveugle. Et tout le monde joue le jeu.
Vous pourriez me dire que c'est le plus vieux métier du monde. Je le sais. Merci de me le rappeler. Le problème n'est vraiment pas là. Ce commerce de chair existe depuis belle lurette et cela ne changera rien à ma vision du monde. L'on pourrait avoir une vision judéo-chrétienne, ça ne changera en rien l'existence de ce problème social que personne ne veut évoquer.
Alors osons le faire ensemble.
Parler de ce problème, c'est déjà effectuer la moitié du chemin.
Un hématome peut disparaître, mais la violence psychologique que ces personnes ressentent est un mal permanent. Elles sont jeunes, surtout elles manquent d'éducation.
La sexualité a toujours été un sujet tabou, même si les panneaux publicitaires pour des moyens de contraception commencent à émerger sur les toits de nos immeubles, la perception de la sexualité reste clandestine. Avec le pouvoir que prend ce qui est devenu une véritable industrie, le résultat social est étonnant. Les hommes perçoivent les femmes comme étant des objets de plaisirs dépourvus de cervelle et de dignité. Ils peuvent tout se permettre.
Nous sommes en train, jour après jour, de devenir le Bangkok du Moyen-Orient. Les rues d'Amsterdam et leur civisme sont bien loin de nous. Nous sommes un pays du tiers-monde, mais il nous faut surtout commencer à pointer du doigt les problèmes sociaux tels que la prostitution. On me rétorquera que l'on ne peut arrêter cette forme d'esclavagisme des temps modernes. Oui, mais nous pouvons éduquer, exiger que ces femmes subissent une visite médicale une fois par mois, dans un hôpital public, opérer des descentes dans les bars et les maisons closes. Est-il si difficile de faire bouger les services publics et les associations, les ministères concernés surtout ?
Nous sommes un pays où le tourisme fleurit de plus en plus chaque année et nous ne pouvons plus nous permettre de faire comme si de rien n'était.
C'est trop facile.
Après tout, il ne s'agit pas d'un simple tableau de Toulouse-Lautrec.