Rana Raouda présentant son livre d’artistes dans son atelier. (Michel Sayegh)
Sur la grande table de travail, les livres sont posés. C'est avec beaucoup de délicatesse, presque religieusement, qu'il faudra les feuilleter, les effleurer et y pénétrer.
Comment a commencé cette aventure à deux et même à trois ? s'interroge-t-on. Rana Raouda, qui, malgré ses voyages et ses pérégrinations, a constamment le Liban au cœur, raconte : « Il y a quatre ans, je m'établissais à Annecy et je rencontrais le poète Michel Dunand qui y anime, avec ferveur, la "Maison de la poésie". Étant venu au Liban, il avait écrit certains poèmes sur le pays. Il me propose alors de faire ce livre d'artistes à deux. Ce qui m'a séduit dans ce projet, c'est de travailler sans règles ni contraintes, poursuit-elle. La seule exigence de ma part était le support. Il me fallait un papier fait main. » Une texture qui a une histoire et une mémoire collective.
C'est après de multiples recherches que l'artiste-peintre tombe sur l'adresse d'un artisan papetier belge, Pascal Jeanjean. « Cette première étape franchie, souligne Raouda, il fallait se mettre à l'œuvre. »
Des mots et des couleurs
De cette belle expérience à deux vont naître deux recueils de poésies écrits par Dunand, avec une peinture réalisée par Raouda pour chaque texte, dissimulée sous papier intercalaire transparent. Le premier recueil s'intitule Libans (car, pour ce poète sensible, il n'y a pas un seul pays du Cèdre, mais plusieurs en un) et l'autre Météores. Libans comporte cinq poèmes et six peintures, tandis que Météores - hommage à des poètes disparus trop tôt comme Baudelaire, Pavese, Saint-Exupéry et Gibran Khalil Gibran - comprend douze textes et treize peintures. Ces recueils sont-ils un préambule à une large exposition à Annecy ou à une autre série ?
« Sur ce format carré et à travers l'opacité et la translucidité qui s'interposent, se mélangent et se superposent, la vie n'est pas un seul plan, dit Rana Raouda, mais des bagages et des étapes. Et si ce travail s'est accompli maintenant, c'est que moi-même j'y étais préparée. » D'autres pourront certainement suivre.
« Entre à ton tour, prends possession de la montagne, entre en toi », écrit le poète. Plus loin encore : « Se faire oreille, œil, peau, fleur et fruit. Lire avec le corps. On lit ainsi dans la langue originelle. On reçoit alors l'esprit. »
L'âme du poète, cette âme d'enfant, a aujourd'hui une alliée, la couleur, une couleur apprivoisée que Rana Raouda s'est faite sienne et qui décline en plusieurs teintes, mais sous une seule forme, celle de l'amour.
« Cet amour et cette beauté qui nous ont été interdits durant la guerre et auxquels je m'accrochais, dit l'artiste, je les ai propulsés en un seul jet sur papier et les ai mariés à la poésie épurée de Dunand. »
Mots et couleurs deviennent ainsi des fenêtres de l'âme par où la lumière pénètre en abondance.