Kenneth vient de Norvège et travaille à Beyrouth. Il a préféré prendre des cours particuliers dans une école privée. photo Nicolas Ropert
Pouvoir parler aux gens
Dans l'une des salles de cours flambant neuve, Kenneth Iversen répète l'alphabet avec son professeur Nada Dirani. Le jeune Norvégien de 24 ans vient de débuter les cours d'arabe. « Je suis arrivé il y a un mois à Beyrouth en tant qu'économiste pour les Nations unies. Je travaille en anglais, mais j'avais envie d'apprendre l'arabe. Vu que je reste pour une période minimum de 2 ans, ça vaut le coup », confie le jeune homme dans un anglais parfait. « Ce n'est pas une obligation, mais je souhaitais pouvoir communiquer avec les Libanais, prendre un taxi et faire les magasins. »
Ce sont aussi les motivations principales d'Alexandra. Cette Canadienne vient de terminer un doctorat en Angleterre et passe une demi-année dans la région pour visiter et apprendre l'arabe. Elle a pris des cours à Damas avant de débarquer au Liban : « En Syrie, c'est plus facile d'apprendre l'arabe, car on est plus facilement en immersion. Au Liban, beaucoup de personnes parlent anglais ou français. Mais j'avais envie de venir au Liban parce que j'ai des amis ici. » Poursuivre son apprentissage de l'arabe au Liban a été la suite logique. La jeune femme affirme pouvoir maintenant suivre une conversation en libanais. Car c'est là l'une des plus importantes difficultés : pouvoir parler le dialecte libanais, celui que tout le monde parle dans la rue.
Dialecte ou arabe littéraire
Les étudiants sont parfois complètement perdus. Surtout ceux qui ont appris l'arabe littéraire en Europe ou aux États-Unis et qui espéraient pouvoir se faire comprendre sans soucis. C'est le cas des étudiants du programme intensif d'arabe de l'Université libano-américaine (LAU). La directrice du programme raconte : « Nos étudiants suivent des cursus d'arabe dans leurs universités d'origine. Mais la grande majorité apprend l'arabe standard moderne qui est différent du dialecte parlé dans la région. Nous proposons donc de les faire progresser en arabe standard moderne et de leur faire découvrir le libanais. » Avec 164 participants à la session de l'été, une hausse de plus de 60 % par rapport à l'an dernier, la LAU peut se vanter d'avoir largement battu son record historique.
Une tendance aussi confirmée par Bilal Orfali, le directeur du programme arabe à l'Université américaine de Beyrouth (AUB) : « Nous avions 70 étudiants il y a deux ans contre 80 cet été. Mais c'est uniquement parce que nous n'avons pas la possibilité d'en prendre davantage. Nous avons reçu plus de 200 dossiers de candidatures contre une centaine les années précédentes. »
Même son de cloche du côté de l'Université Saint-Joseph, le centre le plus ancien. « Au cours de l'année, ce sont des gens qui travaillent au Liban qui viennent prendre des cours. Leur effectif est toujours a peu près stable », assure Pierre Neim, le directeur du service étudiant d'information et d'orientation, « mais nos sessions d'été attirent de plus en plus. »
Effet 11-Septembre ?
Américains du Nord, Européens, mais aussi Asiatiques, les étudiants viennent d'un peu partout dans le monde. M. Orfali, de l'AUB, croit savoir d'où provient ce regain d'intérêt pour l'arabe : « Il y a une énorme demande depuis le 11 septembre 2001. Je veux dire qu'aux États-Unis, par exemple, un mouvement s'est créé pour mieux comprendre la culture et la langue arabes. Aujourd'hui, l'arabe est une langue importante, c'est une langue officielle de l'ONU. »
L'Égypte et la Syrie dominent depuis plusieurs décennies le marché des cours d'arabe. Le Caire et Damas sont des centres qui attirent chaque année plusieurs dizaines de milliers d'étudiants. Mais si le Liban profite de la vague, le pays tire correctement son épingle du jeu : « Le Liban a l'avantage d'être un endroit ouvert, Beyrouth en particulier. Ce qu'apprécient les étudiants occidentaux. Ils prennent plaisir à découvrir la région et à vivre ici », souligne le responsable à l'AUB.
Daniel ne dirait pas le contraire. Cet Américain de 32 ans est professeur d'anglais au Maroc. Il souhaitait apprendre le dialecte du Levant en Syrie mais n'a pas pu, la faute aux délais de visa pour Damas. Il a donc choisi le Liban pour passer son mois de vacances : « Je parle l'arabe du Maghreb, mais ici je dois apprendre énormément de nouveaux mots et de nouvelles expressions. Je n'ai pas postulé dans une université car je voulais des horaires flexibles. » Il a donc opté pour un centre académique de langue où il suit deux heures de cours par jour. « J'ai trouvé ce centre via Internet. C'est beaucoup moins cher qu'une université et on a un vrai contact avec le professeur », avance-t-il.
Si Beyrouth connaît un véritable boom des cours de langues, Mac McClenahan, le cofondateur du Saifi Institute, déplore un manque d'investissement de l'État : « Il y a un vrai marché au Liban. Depuis plusieurs années, la Syrie et l'Égypte ont mis en place une véritable politique pour faire venir ceux qui veulent apprendre l'arabe. Car ils ont compris que si les étudiants viennent, ce sera autant d'argent qui rentrera. Ici, on doit faire avec les moyens du bord. » Reste à savoir si son appel sera entendu. Inch'allah, comme on dit en arabe.