Les rebondissements qui ont eu lieu récemment dans l'affaire du Tribunal spécial sur le Liban, notamment au lendemain des données avancées par Hassan Nasrallah sur l'éventuelle implication d'Israël, ne manqueront pas d'affecter directement ou indirectement la date de la parution de l'acte d'accusation qui devait, à l'origine et selon des informations concordantes, paraître en automne prochain.
Sans pouvoir pour autant prédire le temps qui sera nécessaire au procureur du tribunal pour examiner, évaluer et vérifier les données communiquées par le secrétaire général du Hezbollah via les autorités libanaises, il n'en reste pas moins que la simple prise en compte de ces données devrait logiquement repousser un tant soit peu la date de l'acte d'accusation. Quand bien même Daniel Bellemare serait convaincu de la piste présumée du Hezbollah, et même s'il devait avoir des éléments de preuve irréfutables pouvant incriminer le parti chiite qui serait depuis un certain temps, dans le point de mire du procureur, toujours est-il que les observateurs et experts en la matière affirment unanimement que l'examen des nouvelles données présentées par Hassan Nasrallah devrait occuper les enquêteurs internationaux pendant plusieurs mois. Cela, si l'on considère que toute nouvelle enquête qui serait orientée dans la direction pointée par Hassan Nasrallah suppose la rencontre et l'interrogatoire d'officiers et de responsables israéliens, voire éventuellement de responsables du Hezbollah, pour tirer au clair les images audiovisuelles diffusées lors de la fameuse conférence de presse du numéro 1 du parti chiite.
À défaut d'une enquête sérieuse et rigoureuse dont devrait faire preuve Daniel Bellemare, ce dernier risquerait d'être accusé notamment par le parti chiite « d'avoir bâclé » son investigation, ce qui ne ferait que rajouter de l'eau au moulin du parti chiite qui claironne depuis plusieurs semaines déjà que le TSL n'a plus de crédibilité à ses yeux. Ce qui n'est nullement en faveur de l'instance internationale qui, tout en martelant qu'elle travaille de manière complètement indépendante et sérieuse, prend soin de véhiculer une image qui corresponde à ses dires.
Certes, le procureur reste complètement souverain en la matière et ne devrait avoir cure ni des dires de l'opposition ni des accusations de politisation que lui lance le parti chiite. Cependant, et dans un dossier hautement juridique, Daniel Bellemare ne saurait ignorer le contexte politique environnant qu'il doit prendre en compte dans ses multiples tactiques d'investigateur chevronné.
Ainsi, outre le temps qu'il lui sera nécessaire pour élucider les éléments présentés par le Hezbollah, Daniel Bellemare devra parallèlement poursuivre son enquête initiale qu'il ne peut abandonner pour l'instant au profit de la piste israélienne. Rappelons qu'à cette fin, les enquêteurs du bureau du procureur devaient entendre encore d'autres membres du parti chiite, un face-à-face qui avait été reporté au lendemain de la fête du Fitr, comme l'avait d'ailleurs mentionné Hassan Nasrallah lui-même au cours de sa conférence de presse. Les témoins devraient probablement être entendus à partir de la mi-septembre, à moins que la relation entre le TSL et le parti chiite ne se détériore d'ici là, le Hezbollah n'ayant pas, à ce jour, complètement coupé les ponts avec l'institution internationale, si l'on croit les propos du ministre Mohammad Fneich qui vient d'affirmer que le Hezbollah n'a pas réclamé l'annulation du TSL. C'est probablement pour cette raison d'ailleurs que le procureur avait lancé dans son dernier communiqué son fameux appel au Hezbollah l'invitant à coopérer, alors qu'il s'engageait en même temps à examiner les éléments et indications exhibés par le parti.
Selon une source informée, l'appel de Daniel Bellemare à la coopération devrait probablement porter également sur les éléments additionnels que le secrétaire général du parti chiite avait promis de révéler dans une phase ultérieure, le procureur ayant fait preuve, jusque-là, et comme il se doit, d'une volonté d'écoute et d'une disponibilité totale à accueillir toute information pertinente à l'enquête.
Il reste enfin la question de la reconstitution du crime qui devait avoir lieu également en septembre et qui prouve en toute logique que l'acte d'accusation ne saurait paraître au cours du même mois.
Si certaines voix au sein du 14 Mars affirment que le secrétaire général du Hezbollah aura dans tous les cas réussi dans ses « manœuvres dilatoires » en présentant - « avec beaucoup de retard » - de nouveaux éléments au TSL et en réussissant à acculer le procureur à les prendre en compte, il ne faudrait toutefois pas occulter le fait que tribunal ne saurait ignorer non plus un facteur primordial à la poursuite de sa mission, à savoir s'assurer du financement sans lequel l'instance judiciaire ne saurait fonctionner, quand bien même elle aurait épuisé l'examen de toutes les preuves ou contre-preuves.
Les dates relatives aux échéances du financement sont tout aussi pressantes pour l'instance judiciaire. Car si le financement de la seconde année (mars 2010 à mars 2011) a été en grande partie assuré - seuls quelques États qui s'étaient engagés à payer ne l'ont pas encore fait relève une source informée -, il reste que dès le mois de décembre prochain, les États contributeurs devront respectivement prévoir leur part de contribution dans leurs budgets nationaux. Ce qui n'est pas encore tout à fait garanti, d'autant que les derniers rebondissements au niveau de l'enquête risqueraient de dissuader certains États récalcitrants de poursuivre leur soutien au TSL.
Reste enfin l'énigme libanaise. Le Liban ayant déjà payé sa contribution pour la première et la deuxième année, la question de savoir s'il s'engagera à payer la troisième reste entière à la lumière de la position qui serait adoptée par les ministres de l'opposition.
Car si à ce jour l'actuel gouvernement continue, dans sa majorité, a soutenir le tribunal, rien n'est acquis en ce qui concerne le dernier versement, surtout que le Hezbollah, qui n'a pas encore annoncé son divorce définitif avec le TSL, pourrait très vite changer d'avis. Par conséquent, le risque d'un blocage gouvernemental à ce niveau est à prendre en considération.
Certes, le secrétaire général de l'ONU a toujours la possibilité selon les termes de la 1757 de pallier un éventuel refus du gouvernement libanais de financer le tribunal en appelant les États membres à effectuer des dons au bénéfice du TSL, s'il arrive à les convaincre. Une tâche qui ne sera pas de tout repos d'autant qu'il s'agit d'assurer prés de 49 % du financement que représente la part du Liban.
En somme, autant de facteurs incertains qui risqueraient d'entraver la progression du TSL en direction de la publication de l'acte d'accusation ou du moins de le retarder plus que prévu.