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L’univers carcéral au Liban : des abus, encore et toujours, malgré la réforme qui se met en place - Droits de l’homme

L’univers carcéral au Liban : des abus, encore et toujours, malgré la réforme qui se met en place

Les atteintes aux droits des détenus se poursuivent dans les prisons libanaises, dans l'attente de l'application d'un plan quinquennal de réforme du système carcéral.

On dénombre 5 551 détenus dans les prisons libanaises, selon les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur. Photo D.R.

En avril dernier, à la prison pour hommes de Kobbé, environ 150 détenus de cinq cellules ont reçu l'ordre de sortir de leurs geôles et de se déshabiller. Alignés contre le mur, ils ont été tondus, rasés, battus et humiliés, même les plus âgés d'entre eux. Sans raison aucune. Sur ordre d'un officier. Un détenu dont la moustache faisait la fierté a également été rasé sans état d'âme. L'information a été rapportée à L'Orient-Le Jour par une source fiable, qui a souhaité garder l'anonymat. Cette source se demande si la mesure, qu'elle qualifie de « forme de torture », ne serait pas liée au fait que trois détenus parmi les 150, transférés quelques jours plus tôt à la prison de Tripoli, avaient participé à la prise d'otages, au centre carcéral de Roumieh.
Autre atteinte aux droits de l'homme à la prison de Aley, qui regroupe près d'une soixantaine de détenus : 24 étrangers en situation irrégulière, ayant purgé leur peine. Ils sont toujours retenus, une détention jugée arbitraire par les associations.

Violence physique et morale
Les atteintes aux droits de l'homme sont fréquentes dans les prisons libanaises, aussi bien que dans les centres d'arrestation ou de rétention. Et pour cause, après la guerre civile, « le dossier n'a jamais été estimé prioritaire par les différents gouvernements », davantage concernés par la reconstruction de l'infrastructure, des routes, des écoles publiques, des hôpitaux, que par la situation de la population carcérale, comme l'explique Omar Nashabé, spécialiste en matière d'administration pénitentiaire auprès du ministre de l'Intérieur, Ziyad Baroud.
Il n'est désormais plus possible d'ignorer les problèmes qui se sont accumulés au fil des années dans les différents centres pénitentiaires du pays, à savoir la surpopulation carcérale, le nombre élevé de détenus en attente de jugement, l'extrême lenteur des procédures judiciaires, le manque d'effectifs des FSI et l'absence de formation du personnel carcéral. Des problèmes qui favorisent les abus subis par les détenus, notamment la violence physique et morale à leur encontre, qui peut parfois prendre la forme de torture, notamment lors d'interrogatoires, comme le dénoncent régulièrement les associations et organisations des droits de l'homme. Sans oublier les conditions inhumaines de détention des étrangers en situation irrégulière, dont de nombreux réfugiés qui demeurent incarcérés parfois plus d'un an dans les sous-sols du centre de rétention de la Sûreté générale (secteur Palais de justice) ou ailleurs, après avoir purgé leur peine.
Ce qui a amené les autorités à mettre en place en 2008, un plan de réforme du système carcéral, constitué notamment « d'un plan quinquennal de transfert de l'autorité des prisons du ministère de l'Intérieur au ministère de la Justice et de la révision du code pénal et de la loi sur les prisons qui date de 1949 », souligne Omar Nashabé. « Une réforme qui implique également le transfert de la direction des prisons, cédée de manière provisoire aux FSI en 1949, à une administration professionnelle spécialisée », précise-t-il. « Cette réforme devait initialement se faire en 1963, mais elle n'a jamais eu lieu », constate-t-il.

Des statistiques peu fiables
Dans l'attente de la mise en place de ces réformes, et malgré les louables efforts du ministère de l'Intérieur pour améliorer les choses de manière ponctuelle, les problèmes persistent. Rien qu'à la prison de Roumieh, qui a une capacité d'accueil de 1 050 personnes, on compte toujours près de 3 900 hommes et mineurs, selon les derniers chiffres du ministère de l'Intérieur. Le ministre lui-même avait récemment dénoncé le fait que 70 % des détenus de Roumieh attendent d'être jugés. « Mais ce chiffre est à considérer avec grande prudence et devrait être bientôt revu à la baisse, nombre de détenus ayant plusieurs dossiers », estime la coordinatrice nationale de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Renée Sabbagh.
« Nos prisons sont des bombes à retardement », n'hésitent pas à dire dans un même élan, le père Hady Aya, fondateur de l'Association justice et miséricorde (AJEM) qui œuvre au service des détenus, et Suzanne Jabbour, directrice de l'association Restart pour la réhabilitation des victimes de violence et de torture.
« Nous entendons beaucoup parler de réforme du système carcéral, mais nous n'en voyons pas encore les procédures d'application ni même le plan », déplore le père Aya, estimant que « le seul objectif de la direction actuelle des prisons est que le calme règne et qu'il n'y ait pas de problèmes sécuritaires ». Il tient toutefois à rendre hommage aux « quelques initiatives, preuve de bonne volonté ».
Outre les sempiternels problèmes de surpopulation, d'alimentation et de retard dans les procédures judiciaires dont se plaignent les détenus, le père Aya dénonce l'excès d'abus dans l'univers carcéral où le manque d'effectifs des FSI et leurs salaires dérisoires favorisent l'émergence d'une catégorie de prisonniers (les chaouiches), qui se voient octroyer des pouvoirs au détriment des détenus plus faibles et plus défavorisés. « Les gardiens arrivent à peine à faire le décompte des prisonniers », dit-il, tout en affirmant que certains prisonniers exercent leur pouvoir même sur les geôliers. « Qui laisse entrer la drogue, les cachets (de somnifères et autres) en prison ? » demande-t-il. « La prison est le reflet de la société libanaise en miniature, avec ses faiblesses, sa faillite, sa corruption », indique-t-il.
Réhabilitation inexistante
Et le prélat de déplorer l'important taux de récidive parmi les prisonniers, isolés du monde extérieur et nullement préparés à réintégrer la société. « À court d'argent, sans emploi, sans protection sociale, marginalisés par leur entourage et par la société, présentant un casier judicaire entaché, quel autre choix ont-ils que celui de récidiver à leur sortie de prison ? » s'interroge-t-il encore. Une récidive facilitée par le fait que les petits délinquants sont placés dans des cellules avec les grands criminels, et que même les jeunes de 18 ans et deux mois sont placés dans les cellules de criminels aguerris, dénonce le prêtre.
Le père Hady Aya constate, par ailleurs, que seule une centaine de prisonniers de Roumieh, les plus pistonnés, ont accès à des activités rémunérées durant leur détention. « Ils gagnent juste de quoi améliorer leurs conditions à l'intérieur de la prison », précise-t-il. « Mais de manière générale, la réhabilitation est inexistante dans le système carcéral local. Il y va pourtant de l'intérêt de la société », estime-t-il.
Le fondateur de AJEM va encore plus loin. Il se demande si l'objectif de l'incarcération au Liban n'est pas « la punition et la vengeance ». « Les autorités nient catégoriquement tout usage de la torture. Mais nous savons pertinemment bien que la torture, la maltraitance et l'humiliation sont pratiquées contre nombre de détenus, à leur arrivée en prison, ou durant leur interrogatoire », affirme-t-il.
De son côté, Suzanne Jabbour tient à préciser que les conditions de détention à la prison de Roumieh sont nettement meilleures que dans d'autres prisons du pays. « À Tripoli, les conditions sanitaires sont déplorables dans cette ancienne étable aménagée en prison », affirme-t-elle. Elle observe qu'un seul médecin doit s'occuper de 500 prisonniers et qu'aucun dépistage de maladie n'est fait à l'arrivée des nouveaux détenus. Elle ajoute que les deux tiers des prisonniers sont en attente de jugement et qu'ils n'ont donc pas droit aux soins de santé. Cette psychologue dénonce, par ailleurs, les reports continuels des séances et des jugements et l'absence de véhicules pour transporter les prisonniers aux audiences. Quelle sorte de justice est-ce cela ? demande-t-elle.

Salaires de misère et corruption
Mme Jabbour observe aussi que dans cette prison, les prisonniers en attente de jugement sont incarcérés dans les mêmes cellules que les condamnés. « De même, les jeunes de 19 à 21 ans sont placés avec les grands criminels », déplore-t-elle. Il ne faut absolument pas mettre un voleur de mobylette dans la même cellule qu'un trafiquant de drogue, martèle-t-elle, précisant que « les droits les plus élémentaires des prisonniers ne sont pas respectés ». Et de constater que les prisons libanaises forment les prisonniers à la criminalité.
La responsable de Restart dénonce également l'attitude des forces de l'ordre dans les prisons, appelant à la mise en place d'une police des prisons spécialisée. « Nous savons pertinemment bien que les FSI manquent de moyens, d'effectifs et de qualifications, mais cela ne justifie pas ce qui se passe au sein des prisons », dit-elle. Elle évoque les salaires de misère des gardiens, ce qui favorise la corruption. Elle constate aussi l'usage par ces geôliers de propos humiliants, même à l'égard des travailleurs sociaux des associations. « Notre programme a été interrompu à deux reprises », révèle-t-elle.
Mme Jabbour demande enfin ce qui empêche les juges de se rendre régulièrement dans les prisons du pays. Elle insiste aussi sur le devoir des ordres d'avocats d'exercer des pressions pour accélérer les jugements, et d'assurer la défense des détenus les plus démunis.
En mai dernier, un sous-comité des Nations unies pour la prévention de la torture (SPT) a visité les prisons libanaises. Le Liban, rappelle-t-on, est signataire de la Convention internationale contre la torture et de sa convention optionnelle. « Si l'État est réellement concerné par le dossier des prisons, comme il l'affirme, pourquoi ne publierait-il pas le rapport de ce comité, en guise de bonne volonté ? » suggère Suzanne Jabbour.
En avril dernier, à la prison pour hommes de Kobbé, environ 150 détenus de cinq cellules ont reçu l'ordre de sortir de leurs geôles et de se déshabiller. Alignés contre le mur, ils ont été tondus, rasés, battus et humiliés, même les plus âgés d'entre eux. Sans raison aucune. Sur ordre d'un officier. Un détenu dont la moustache faisait la fierté a également été rasé sans état d'âme. L'information a été rapportée à L'Orient-Le Jour par une source fiable, qui a souhaité garder l'anonymat. Cette source se demande si la mesure, qu'elle qualifie de « forme de torture », ne serait pas liée au fait que trois détenus parmi les...