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Économie - Liban - Débat

Le « Yes we can » de Nahas, un appel vibrant à une révision de la politique économique

Volonté politique de torpillage du processus d'adoption du budget ou pas, le document soumis par le ministre Charbel Nahas jeudi dernier en Conseil des ministres met le doigt sur la plaie et jette les fondements d'une vision économique à moyen terme.


Il y a une semaine, jour pour jour, le ministre des Télécoms, Charbel Nahas, soumettait aux ministres, alors réunis pour discuter du budget 2010 - pour la deuxième semaine consécutive -, un document comportant certaines critiques du projet de loi élaboré par le ministère des Finances dans lequel il établit également un diagnostic détaillé du mal économique libanais et propose des solutions à court et moyen terme. Ce document avait alors attisé quelque peu les tensions, certaines parties accusant en catimini le camp politique auquel appartient Charbel Nahas de vouloir saboter le processus d'adoption du budget sous le prétexte de la nécessité de débattre de la vision économique générale.
Dans un entretien avec L'Orient-Le Jour, le ministre des Télécoms, qui a expliqué les tenants et aboutissants de son document, a toutefois démenti en bloc ces accusations, soulignant qu'il « est temps de trouver des solutions aux problèmes chroniques dont souffrent les Libanais, sans les noyer dans des conflits politiques d'aucune sorte ».
« D'autant que notre gouvernement a aujourd'hui une occasion rare d'atteindre nombre des objectifs que nous nous sommes fixés. Car d'abord ce gouvernement est très largement représentatif, ensuite parce que la situation financière qui prévaut offre davantage de souplesse qu'auparavant et rend possibles des changements fondamentaux des politiques influant sur l'orientation générale de l'activité économique. » « Il ne faut donc surtout pas gaspiller cette occasion en réduisant le débat sur le projet de budget 2010 à un cadre purement comptable déconnecté de son cadre économique », a-t-il insisté.

Le Liban pris dans un cercle vicieux néfaste sur le plan économique
La tâche à laquelle nous devons nous atteler aujourd'hui dépasse en effet la question de « l'organisation des comptes », ou celle de leur « embellissement ». Elle porte sur des questions de fond qui ont été longtemps négligées, a souligné d'emblée le ministre Nahas à L'Orient-Le Jour.
« Le Liban vit depuis plusieurs années déjà une situation anormale que les politiques financières adoptées par les gouvernements successifs n'ont fait qu'aggraver. Celle-ci se caractérise notamment par l'existence d'un important flux de capitaux qui, certes, contribue à une croissance soutenue, mais aboutit également à des taux d'inflation élevés qui nuisent largement au niveau de vie des résidents ainsi qu'à la compétitivité des producteurs locaux. »
« En effet, le Liban est passé, en raison de nombreux facteurs, d'une situation de pénurie de financement à une situation d'abondance, enregistrant des entrées de capitaux spectaculaires depuis 2008. Cela s'est traduit par une croissance remarquable des dépôts, dont le volume global a bondi de 42 % au cours des deux dernières années », a-t-il indiqué.
« Ces flux exceptionnels ont contribué à la croissance de la consommation interne à un rythme tout aussi remarquable, entraînant une augmentation réelle du produit intérieur brut (PIB) à 18 % au cours de cette période, selon les chiffres cités par la ministre des Finances. »
« Cela a toutefois mené, en parallèle, à une forte inflation, dans une proportion cumulée de 18 % sur la période 2008-2009, selon les estimations mêmes de Mme el-Hassan », a-t-il poursuivi.
Les flux extérieurs de capitaux ont en effet permis à la demande interne d'augmenter au-delà de ce que lui permet le niveau des revenus résultant de la production interne. Cette demande démultipliée a eu un impact double, selon le ministre Nahas : d'une part, sur les actifs domestiques (l'immobilier en particulier) et, d'autre part, sur les divers biens et services, notamment les biens et services non échangeables (avec le monde extérieur).
Ce phénomène a ainsi entraîné une augmentation du coût de la vie et une hausse parallèle du coût de la production locale, « ce qui a considérablement réduit la compétitivité des entreprises produisant des biens et services échangeables (agriculture, industrie et services à valeur ajoutée), alors qu'il s'agit des secteurs les plus porteurs en termes d'emplois qualifiés... En parallèle, les activités productrices de biens non échangeables se sont développées (bâtiment, commerce local et services à faible valeur ajoutée), sachant qu'elles ont principalement recours à des emplois faiblement qualifiés et qu'elles emploient majoritairement des travailleurs étrangers à bas salaires », a-t-il expliqué.
Les entrées de capitaux ont donc favorisé des taux de croissance élevés. Il ne s'agit toutefois pas, selon le ministre des Télécoms, d'une croissance équilibrée entre les divers secteurs, groupes sociaux et régions du Liban, mais d'une croissance qui exclut une grande partie de la jeunesse libanaise. « Celle-ci ne trouve pas de travail sur le marché de l'emploi et se spécialise de plus en plus dans le commerce, les services à faible valeur ajoutée, le bâtiment et les activités immobilières. Elle est en outre privée de certains services primordiaux comme le logement en raison de la flambée des prix. »
« En parallèle, le salaire moyen, qui a progressé de 15 à 20 % au cours des deux dernières années (grâce notamment à la correction des salaires décidée en 2008), n'a pas augmenté au même rythme que le PIB nominal, qui a progressé de 40 % durant cette période, voire de 50 %, si l'on prend en compte les transferts de l'étranger. La part des salaires par rapport aux revenus nominaux est ainsi tombée de 35 % à moins de 30 %, à l'heure où la part des salaires dans le PIB des pays développés s'élève en moyenne à 67 % », a-t-il indiqué.
« Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que les jeunes Libanais cherchent à émigrer, notamment les diplômés d'entre eux. Ce phénomène ne fait toutefois qu'alimenter la spirale pernicieuse dont souffre le Liban : l'argent coule pour alimenter la consommation privée et publique, les prix augmentent, tandis que le pouvoir d'achat recule, ce qui pousse les gens à émigrer pour poursuivre les envois de capitaux et ainsi de suite », a déploré Charbel Nahas (voir schéma).

Réviser la politique fiscale à travers une réduction des taxes sur la consommation
Selon lui, le seul moyen aujourd'hui de sortir de ce cercle vicieux est de mettre en place une politique financière permettant d'en réduire l'impact négatif.
« Or, les politiques adoptées au cours des dernières années n'ont pas joué leur rôle de correction de ces évolutions. Au contraire, elles ont contribué à approfondir le problème en concentrant la charge fiscale et en laissant s'élargir le rôle redistributif de l'État », a-t-il souligné. En d'autres termes, l'État s'est concentré sur les taxes sur la consommation, entraînant une augmentation supplémentaire des prix et exacerbant, par conséquent, l'effet néfaste du cercle vicieux dans lequel le Liban est pris.
« Or, si en termes absolus tous les impôts réduisent le pouvoir d'achat réel et le revenu disponible, leur impact varie radicalement suivant qu'ils s'appliquent à la consommation ou aux revenus. Contrairement aux taxes sur la consommation, l'impôt sur le revenu induit en effet un recul de la demande qui pousse indirectement les prix à la baisse. En cas normal, c'est la variation du taux de change qui est censée corriger les déséquilibres entre les prix locaux et les prix mondiaux. Mais la dollarisation de l'économie libanaise annule ce mécanisme et nous oblige à nous concentrer sur l'utilisation de l'impôt sur le revenu, plutôt que les taxes sur la consommation, même si ces dernières sont plus faciles à collecter », a-t-il expliqué.
« Le projet de budget 2010 comporte des intentions sérieuses en ce sens. Je pense au doublement des dépenses d'investissement, mais aussi à certaines mesures correctrices comme la hausse de l'impôt sur les intérêts bancaires et les taxes sur les biens bâtis vacants. Cependant, ce projet ne prend pas en compte certaines dispositions de forme, ni tous les indicateurs précités, que ce soit au niveau de la croissance ou de l'inflation. »
« C'est pourquoi nous suggérons que le débat en cours sur le projet de budget s'articule autour de plusieurs points essentiels pour changer de direction, a souligné le ministre des Télécoms. D'abord, au niveau de la forme, nous proposons une régularisation de la période passée (aucun budget n'ayant été approuvé depuis 2005) à travers l'élaboration des comptes des années précédentes, qui incluraient les dépenses comptabilisées et celles hors budget. Nous proposons également d'appliquer la loi en matière de consolidation budgétaire. Il n'est plus acceptable aujourd'hui d'exclure du budget central toutes les dépenses prévues hors budget (CDR, Haut Comité de secours, Caisse du Sud, etc.). ».
« Au niveau du fonds, nous proposons une révision de la politique fiscale, à travers plusieurs mesures : d'abord, la réduction de la charge fiscale sur les salaires et les budgets des ménages à faibles et moyens revenus. Ensuite, il faudrait soumettre les revenus fonciers et les intérêts des capitaux au même prélèvement fiscal que les bénéfices des sociétés et les dividendes afin de ne pas favoriser la rente au détriment de la production. En parallèle, il faudrait fournir aux entreprises des incitations fiscales suffisantes pour les encourager à réaliser davantage d'investissements productifs. Enfin, nous suggérons de réduire de façon significative l'impôt et les quasi-impôts sur la consommation en général, et les télécommunications en particulier », a-t-il souligné.
Le ministre Nahas a insisté, en parallèle, sur la nécessité d'instaurer un système de transport en commun moderne, qui permettrait, selon lui, d'éviter de réduire la « douloureuse » taxe sur l'essence et d'en conserver ainsi les bienfaits en termes de revenus, tout en limitant son impact sur les consommateurs.
Il a préconisé, par ailleurs, une séparation des fonctions distributrices de l'État (chômage déguisé, prestations sociales justifiées ou non, etc.) de son rôle de prestataire de services. « L'antagonisme qui prévaut aujourd'hui entre ces deux fonctions affaiblit considérablement l'administration et entame son prestige aux yeux des citoyens. » « Il faudra donc envisager une correction des salaires dans le secteur public afin d'y attirer les talents, d'améliorer sa productivité et sa capacité à mettre en œuvre et à gérer les services et les projets qui lui incombent », a-t-il souligné en outre.
Pour le ministre Nahas, qui croit dur comme fer à toutes ces réformes, le changement de la politique économique, à travers, entre autres, l'application de ces mesures, n'est pas chose impossible et devrait figurer au top des priorités de l'État. « De même qu'en politique, nous avons réussi à former un gouvernement d'union nationale, oui, nous pouvons réussir en économie, a-t-il conclu, en allusion au slogan phare "Yes we can" de la campagne de l'actuel président américain Barack Obama.
Il y a une semaine, jour pour jour, le ministre des Télécoms, Charbel Nahas, soumettait aux ministres, alors réunis pour discuter du budget 2010 - pour la deuxième semaine consécutive -, un document comportant certaines critiques du projet de loi élaboré par le ministère des Finances dans lequel il établit également un...

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