Tout le monde ? Pour avoir accès au crédit, il faut tout de même pouvoir faire preuve de rentrées financières ou être capable de présenter des garanties qui assurent que le prêt sera remboursé. Cette condition qui est a priori parfaitement logique a pour conséquence directe de barrer l'accès au crédit à toute une classe de population qui en aurait bien besoin. De fait, le crédit rigidifie les structures sociales. Il permet aux personnes favorisées qui sont à même de présenter les collatéraux demandés par les banques de renforcer leur position en augmentant le volume des biens qu'ils contrôlent et il empêche les plus pauvres d'acquérir les moyens qui leur permettraient d'améliorer leur position.
Pour pouvoir avoir quand même accès à du crédit, les couches les plus défavorisées de la population peuvent évidemment faire appel à leur parentèle. Reste que la probabilité que des personnes pauvres aient des parents pauvres est très importante, ce qui limite l'importance des sommes disponibles par ce moyen. Ces personnes peuvent également utiliser les services des monts-de-piété ou des usuriers, mais se font matraquer par des taux d'intérêt exorbitants. Enfin, elles peuvent participer à ce qui est appelé dans nos régions « jami'yat » (associations). Il s'agit de cercles de solidarité qui existent un peu partout dans le monde sous des dénominations différentes. Ces associations regroupent des personnes qui payent mensuellement une contribution à un administrateur qui remet chaque mois l'ensemble de ces contributions à l'un des membres de l'association selon une séquence convenue. La première personne qui reçoit l'argent bénéficie d'un vrai crédit. Au fil des séquences de payement, celui-ci se transforme en une sorte d'épargne. Ce système n'est pas exclu de problèmes. Les sommes disponibles sont évidemment fonction du revenu des membres de l'association et puis l'accès à ce système est fonction de l'encastrement social des candidats. Pour que le système fonctionne, il faut être en contact avec des personnes qui ont suffisamment confiance dans la solvabilité des uns et des autres pour s'engager dans ce système.
On est donc loin d'une solution idéale, mais signe des temps, les « jami'yat » se multiplient. De plus, on les trouve maintenant dans des banlieues plutôt aisées et même dans certains immeubles cossus où les femmes en créent pour pouvoir disposer une fois l'an d'un « extra » toujours bienvenu.
* Spécialiste en stratégie et théorie des organisations - Centre de recherche, d'études et de développement (CRED) de l'ESA
En coopération avec : ESA