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Jeunes méditerranéens - Gaza

Rencontre avec des jeunes Gazaoui de la «Galerie»

Je me dirige vers la «Galerie», ce lieu de brassage des jeunes Gazaouis situé dans une rue en zig zag. J’y entends des mots surprenants qui cassent les traditions éculées, et tentent de combler le vide sans fond de Gaza.

Il y a des tasses de café partout ; les nerfs sont tendus. Tout est stress, ennui, insomnie, avenir et donc rêve. La langue du rêve devient une chanson pour ces jeunes, une saga qui ferait parler pierres et arbres. C’est ici que commencent mes entretiens avec la jeunesse, dans cette «Galerie».

Mais permettez-moi d’abord de vous expliquer ce que signifie ce mot à Gaza: c’est la réunion d’un groupe de jeunes venant d’endroits divers, de diverses universités ; des groupes de jeunes qui constituent des cercles culturels où circulent les plaisanteries. Il y a partout des narguilés, du tabac, du café renversé, des spéculations sur l’avenir enfermé dans le marc du café. La misère est telle que les auditeurs s’inclinent sur ces tasses à défaut d’autre chose. En dehors de la «Galerie», on voit des taxis, des étudiants en plein examens semestriels et bien sûr l’anarchie des voix qui couvrent tout : Khan Younijs, Nassirat, Rafah, Gaza, Bérij, Maghazi, Deir El Balah, crient les chauffeurs de taxis. Les klaxons et les vrombissements de moteurs ne s’arrêtent pas.

 

Le matin, j’entre dans cet espace culturel, des réunions s’y déroulent, des pancartes posées dans les couloirs revendiquent: «nous voulons le changement», «Nous voulons le Bonheur», d’autres sont plus plus farfelues : «groupe du coup de tête» ou «des gens s’amusent» ou encore «Enfants espiègles». Je m’assois à un endroit d’où il m’est possible d’embrasser les différentes scènes du regard. Je m’aperçois que, çà et là, on m’observe.

Je suis pris dans le tourni des voix, des sourires, des expressions physiques. Les traits de ces jeunes me transportent dans un monde gazaoui où vivacité et singularité tendent à détruire tous les barrages. La manière dont les jeunes sont assis est une infraction aux traditions et aux coutumes. Les mouvements de leurs corps, leurs sourires, ne sont admis qu’ici.

Je m’approche d’un cercle de discussion. L’ambiance est étrange, sorte de ségrégation islamiste sur laquelle on se méprend souvent. J’ai l’impression que ces jeunes s’enferment ensemble dans une oisiveté qui les empêche de tirer profit de leur énergie. Lorqu’on leur parle, ils répondent immanquablement «foutaise» ou «de quelle apostasie parlez-vous?». Cette langue de bois est devenue un tic dans certains milieux depuis que la société gazaouie s’est islamisée. Bien entendu, ce n’est pas l’islam que je critique ici; ce que je critique c’est cette manie de mythifier l’islam qui se veut pourtant si accessible, qui n’est que facilité(1).

Gaza grouille de jeunes qui représentent 27% de la population totale. Les tendances démographiques indiquent une tendance à la hausse, selon les sources de l’Institut de Statistiques Palestinien. Avec l’occupation, l’avenir de ces jeunes ne sera probablement fait que de répression, de violence et de frustration. Malgré tout cela, les jeunes de Palestine ont toujours cette force, cette propension créatrice et positive qui aspire au changement à travers une prise de conscience culturelle pour laquelle tant de jeunes se mobilisent.

Je reviens à la «Galerie» le soir même, j’ai aperçu un jeune que j’avais l’habitude de rencontrer. Avec son luth, il ravissait ses auditeurs. Sa voix qui reprend les vieilles chansons palestiniennes ou arabes d’Abdelhalim, Feyrouz, de Rima Khachih, de Maya Nasri et de Mayada Balsis est un enchantement. Son nom : Aymen Abou Abdou. C’est un jeune artiste palestinien qui s’est déjà produit dans des villes arabes et européennes, là où la paix de la musique attire encore des oreilles attentives. Sa passion pour la musique, son engament pour l’Intifada, ont pu s’exprimé à la fin d’une longue période de souffrance qu’il a connue juste après l’installation de sa famille à Gaza. Aymen me confie: «La jeunesse gazaouie vit une situation complètement anormale à tous les points de vue: social, culturel et politique. Et cela entraîne un gaspillage de ses aptitudes. Pourtant il y a des tentatives visant à changer la réalité pour en faire quelque chose qui ressemble aux autres sociétés. Je rêve toujours de voir se réaliser mes ambitions, trouver des conditions propices pour devenir un artiste international et voir changer le regard que porte la société gazaouie sur l’art et les artistes».

Il m’est difficile de détourner les yeux de cette jeune fille qui a pris place dans la Galerie, à quelques mètres de moi. Elle a une énergie positive qui m’intrigue et me pousse vers elle. Je lui serre la main, je m’assois à côté d’elle. Elle déborde de révolte et revendique le changement. Son sourire allie féminité et bravoure. Je n’ai d’yeux que pour elle. Elle s’appelle Mouchira Abou Chamam. Ses réponses à mes questions montrent qu’elle pense l’avenir. Elle a, à propos de tout, une position de refus : refus de ce que la tradition impose, des préjugés, de la culture affectée, de l’oppression de la femme. «Sourire c’est notre affaire, c’est nous qui bâtissons l’avenir et le présent. C’est à nous que revient l’honneur d’être la jeunesse qui libérera la Palestine, et cela nous suffit», me dit-elle avec conviction.

«Je suis une Bédouine palestinienne», poursuit-elle, «les traditions familiales n’auraient pas dû me permettre de me marier librement. Mais je me suis battue pour avoir le droit de choisir mon mari. Les bédouins refusent systématiquement les mariages avec les non bédouins, mais moi j’ai réussi à me soustraire à cette règle. J’ai réussi à dire non. Et dire que nous sommes à une époque où l’homme a marché sur la lune et certains ne pensent qu’à suivre des traditions d’un autre temps. En tant que jeune palestinienne de Gaza, j’essaie de prendre des initiatives pour éveiller les consciences, pour donner à réfléchir aux gens et pour les appeler, je parle surtout des jeunes, à être à la hauteur de la responsabilité afin que nous puissions libérer notre patrie de l’occupation.. J’espère que ce blocus sera levé et que les jeunes pourront travailler et construire la société palestinienne de demain.»

Ma rencontre avec les jeunes femmes de la galerie est une petite rèvélation. Leur vivacité, leur énergie, leurs sourires me pousse à m’interroger sur ceux qui nous gouvernent : pourquoi ne soutiennent-ils pas ces jeunes, pourquoi font-ils si peu cas de la résolution 2037 de l’Assemblée Générale de l’ONU qui reconnait officiellement le rôle vital et décisif de la jeunesse dans le développement des sociétés, et ce dans tous les domaines du développement humain, car ce sont précisément les jeunes qui présideront un jour aux destinées de l’humanité.

Mais tous les jeunes de Gaza n’ont pas la belle énergie de ces jeunes femmes rencontrées. Je me suis posé un tas de questions sur Ahmed Abou Saria qui sortait de la Galerie en même temps que moi. Où vit-il ? Connaît-il ses droits ? Que fait-il de ses journées? Tout dans sa dégaine produit une ambiguité que je voudrais éclaircir. Il prend une cigarette et commence à dévider son histoire, avec fureur, avec vigueur : «Je passe la moitié de la journée à dormir et l’autre moitié à bavarder avec les amis et dans les jeux d’action, j’essaie de tout oublier autour de moi. A Gaza, sous le blocus, il n’y a que misère et ruine. L’occupation est notre réalité. Il n’y a que mes cigarettes et mon ordinateur qui me comprennent». A la question «Quels sont tes rêves?» il répond du tac au tac: «Je voudrais tant quitter ce pays pour la Norvège ou la Suède.. Peut-être que là-bas on respecte l’être humain. Au moins, il n’y a chez eux ni occupation, ni blocus et on trouve tout ce que l’on veut. Peut-être même qu’on m’y aiderait à exploiter mes capacités. J’ai 23 ans et je ne sais où donner de la tête dans ce pays où chacun est accaparé par ses propres soucis.»

Au sortir de ces rencontres et de ces mots rapidement glânées, un sentiment d’injustice me secoue. Les jeunes palestiniens ne peuvent plus être les otages de l’histoire. Des solutions adéquates doivent être trouvées pour leur offrir tout simplement le droit d’être jeune. Car si la jeunesse palestinienne a toujours fait preuve d’un potentiel vital impressionnant, aujourd’hui celui-ci risque bien de se tarir à tout jamais dans la misère et la frustration.

 

1) Précepte de la jurisprudence musulmane tiré d’un hadith "la religion est facilité …"

 

 

Traduction de Jalel El Gharbi

Il y a des tasses de café partout ; les nerfs sont tendus. Tout est stress, ennui, insomnie, avenir et donc rêve. La langue du rêve devient une chanson pour ces jeunes, une saga qui ferait parler pierres et arbres. C’est ici que commencent mes entretiens avec la jeunesse, dans cette «Galerie».
Mais permettez-moi d’abord de vous expliquer ce que...