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Économie - Analyse

Efficacité ou efficience, le dilemme des philanthropes

Les banques islamiques présentent deux originalités organisationnelles qui différencient leurs structures de celles de leurs consœurs de la finance conventionnelle. Il s'agit des Conseils de surveillance de la charia (CSC) et des comptes de purification. Les premiers servent à encadrer les pratiques des banques islamiques. Ils sont formés de jurisconsultes versés dans la charia et l'art d'interpréter les textes sacrés de l'islam qui définissent le cadre au sein duquel doivent s'inscrire les opérations de la banque. Les membres des CSC s'assurent aussi que leurs édits sont respectés grâce à un  contrôle ex-post. Les comptes de purification pour leur part servent de réceptacle à des rentrées monétaires qui ne sont pas tout à fait licites mais qui ne sont pas pour autant interdites.
Pour apprécier la situation, il faut savoir que les règles de la finance islamique interdisent tout profit généré directement par de l'argent. Il s'agit de la fameuse interdiction de la « riba » qui explique, entre autres, la prohibition de l'intérêt. Mais voilà que les banques islamiques utilisent des instruments financiers qui prévoient des remboursements périodiques. C'est le cas notamment de la « murabaha ». Elle permet par exemple d'acheter une voiture à crédit en prévoyant des paiements périodiques : la banque acquiert le véhicule en son nom propre avant de le revendre à un prix majoré à son client qui lui réglera son dû en payant des traites mensuelles.
Si le client manque l'une de ses mensualités, la banque lui fera payer une pénalité. En d'autres termes, l'argent (de la mensualité impayée) génère de l'argent (la pénalité) ce qui est normalement interdit par la charia. Cet écart s'explique par le principe de nécessité « darura ». Il permet des déviations aux règles strictes de la charia pour préserver la vie « nafs », la religion « din », la raison « aql », la descendance « nasl » et la propriété « mal ». Le fait de lever une pénalité sur un impayé permet à la banque de préserver ses fonds et donc le bien des propriétaires de ces fonds. Le principe de « darura » peut donc être appliqué. Cela ne veut pas dire pour autant que la banque est libre de disposer des pénalités payées à sa guise. En effet, celles-ci ne sont pas complètement licites et ne peuvent pas être considérées comme un profit qui appartient à la banque. Elles doivent être versées dans un compte spécial appelé « compte de purification » qui est placé sous la juridiction des conseils de supervision de charia. Ce sont les jurisconsultes qui décident de l'utilisation de l'argent qui est généralement versé à fonds perdu à des organisations de charité. Lorsqu'on évoque avec les membres des CSC la possibilité d'utiliser le fonds de purification pour financer des opérations qui permettent de le régénérer, on se heurte généralement à un refus. Pour un gestionnaire, cette attitude est étonnante car elle diminue l'efficience de l'ensemble de l'opération en restreignant la possibilité d'utiliser plusieurs fois les mêmes fonds. À y réfléchir, c'est peut-être là qu'il faut rechercher l'explication du refus. Les comptes de purification ont pour objectif une maximisation de l'utilité sociale des fonds qui y sont déposés. En recherchant à les rendre le plus efficients possible, il est possible de finir par confondre le but et les moyens ; de ne plus juger un projet sur la base de sa valeur intrinsèque mais sur sa capacité à se régénérer. Efficacité et efficience ne sont pas toujours synonymes, les nouveaux philanthropes et  toutes les ONG qui recherchent avant tout l'efficience devraient y penser.

Spécialiste en stratégie et théorie des organisations-Centre de recherche, d'études et de développement (CRED) de l'ESA.

En coopération avec : ESA
Les banques islamiques présentent deux originalités organisationnelles qui différencient leurs structures de celles de leurs consœurs de la finance conventionnelle. Il s'agit des Conseils de surveillance de la charia (CSC) et des comptes de purification. Les premiers servent à encadrer les pratiques des banques islamiques. Ils sont formés de jurisconsultes versés dans la charia et l'art d'interpréter les textes sacrés de l'islam qui définissent le cadre au sein duquel doivent s'inscrire les opérations de la banque. Les membres des CSC s'assurent aussi que leurs édits sont respectés grâce à un  contrôle ex-post. Les comptes de purification pour leur part servent de réceptacle à des rentrées...
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