Tout d'abord le choix violent et parfaitement explicite de ce décor en noir. Lugubre tranchée de cimetière, couloir d'asile de fous, corridor carcéral ou innommable mouroir? Pour buter contre l'incompréhension et le refus total, au fond de la scène, pour ce tunnel de la mort, une plaque en fer penchée jusqu'au ciel. Une plaque qui s'érige en barrière infranchissable, comme un mur de la honte, têtu et obsédant. Un mur odieusement intransigeant que les téméraires et ultracourageux Sisyphe, «fedayin» de tous bords, tenteront en vain de forcer.
Et arrivent sur scène trois excellents comédiens: Nisrine Hemaidane, Bassam Abou Ziab et Abdo Chahine. Haillons, trench-coats, manteaux, guenilles maculées et fripées, visages outrancièrement grimés, pieds nus peints en vert et mains souillées de rouge, cheveux hirsutes et en bataille, tous les trois sont des zombies tout droit sortis d'un horrifiant film expressionniste allemand ou des cavernes les plus oubliées.
Et ils déballent nerveusement, démentiellement, leur paquet de mots. Avec véhémence, outrance et tendresse bourrue.
Des mots qui ne comprennent plus où est l'épée, où est la rose, qu'est-ce qui est éphémère, pourquoi est-on si vulnérable, pourquoi le pain et l'air sont si rares, pour qui sont les vivants et que font les morts? Des morts aux allures de vivants et des vivants morts qui transportent leur catafalque sur le dos ou le font danser, en caisson, comme des maisons en cartons qui tanguent sur des dunes de sable mouvant.
Ici, le verbe de Mahmoud Darwiche, toujours simple et transparent comme une eau de source, a des phosphorescences et des ignitions saisissantes, tourmentées. Un verbe qui invoque et évoque la mort, la solitude, la peur, l'angoisse, le désarroi, la détresse, la violence, la guerre, le mal de vivre.
Pour mettre de la chair sur ces vocables en feu, impalpables et fuyants comme du mercure, Jawad el-Assadi a opté pour le cri, l'hystérie, la gestuelle corporelle en transes colériques et désespérées. Avec le soutien de la musique d'une modernité grinçante de Bandar Saki, qui allie d'une manière flamboyante les tonalités de Liguetti et Bartok à celles de Stockhausen.
Pour cela, des acteurs qui ont du nerf (et des muscles), notamment les deux hommes dont les furieux échange et débit de paroles ont toutes les attitudes d'un douloureux et fatal combat. Sans oublier la voix de la femme, chargée de tendresse et de miel pour une déchirante folie qui a pour nom l'absence. La femme, muse et mère du poète, toujours en manque, à cause des errances et de l'adversité.
On n'attend pas impunément la mort, même si l'on dépose auparavant des «violettes» sur les tombeaux. Et puis les chevaux supportent mal la solitude. Ces chevaux qui craignent les charges des avions fous et sont supposés garder les maisons quand les enfants, les vieux et les femmes sont forcés de les abandonner. Oui, un enfant ne comprend pas toujours ce qu'un père raconte et un père n'a pas toujours les mots qu'il faut.
Images atroces et insoutenables d'un drame qui embrase la région depuis plus d'un demi-siècle et qui ont annexé à leur douloureuse évocation la planète entière. Une planète à la violette fragile, se protégeant bien mal de sa mauvaise conscience, qui hisse ce drame aujourd'hui au niveau de ce qui est universel.
Avec le souffle de Jawad el-Assadi, brûlant et implacable, la poésie de Mahmoud Darwiche, appel à la paix et à la vérité, a certes toujours des caresses à rebrousse-poil, mais elle devient ici véritable coup de poing sur la table et majeure prise de conscience de l'être avec une réalité brutale et sans faux-semblants.
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