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Joseph Smith fonde l’Église et meurt assassiné en défendant la cause

L’Église des mormons veut redonner à l’amour et au don de soi leurs lettres de noblesse

Dans un monde de plus en plus régi par des intérêts personnels étroits et où le mot religion rime trop souvent avec politique et pouvoir, l'univers des mormons se révèle à la manière d'un oasis extraplanétaire, habité par des êtres magnanimes, altruistes et généreux comme on n'en voit pratiquement plus de nos jours. À Salt Lake City, où se tenait il y a quelques jours la 179e assemblée générale de l'Église des mormons, se dégageait, en une belle journée dominicale, une énergie humaine rayonnante d'amour et « bénie par la paix et la sérénité que prodigue la foi profonde ». Elle provenait de l'immense salle de conférences dans laquelle s'étaient rassemblés les dizaines de milliers de fidèles venus des quatre coins du monde et des États américains partager cet événement bisannuel qu'aucun membre de « l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours » n'aurait voulu manquer.
Encadrés par un réseau de sécurité particulièrement renforcé pour l'occasion, les fidèles avançaient, par rangs serrés, observant une discipline rigoureuse qu'ils ont assimilée depuis leur plus jeune enfance dans leurs milieux respectifs. Sobrement vêtus, jupes longues et cols fermés pour les femmes, veston et chemise blanche pour les hommes, les mormons se dirigeaient un à un vers les sièges qui leur étaient attribués à l'avance, dans une immense salle de conférences spécialement édifiée pour ce type de rencontres. Encadrés tout le long par de jeunes missionnaires consacrés à la tâche, les fidèles attendaient, au son des chants religieux qui émanaient du tabernacle, les premières interventions de leurs « guides spirituels ».
Peu ou mal connue du grand public, cette communauté chrétienne - puisqu'elle reste foncièrement chrétienne d'inspiration - tente depuis des années de se propager à travers le monde. Grâce à la parole de son Église, aux injonctions de son prophète d'origine et fondateur, Joseph Smith (1805-1844) et par la force de l'amour et de la charité (le credo par excellence des mormons), « l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours » compte désormais près de 13 millions de fidèles à travers le monde.
Ses piliers : le prophète, ou chef de l'Église, les douze apôtres, et une assemblée de sages formée de 70 prélats. Ils étaient assis ce jour-là face au public, pour rappeler l'autorité dont ils sont investis, et surtout la stricte hiérarchie de cette jeune Église qui étonne encore par son originalité.

Cinquante-trois mille missionnaires
Sur le parvis du centre de conférences, les missionnaires, venus spécialement de France, de Suisse, du Mexique, du Brésil, des Philippines ou d'autres pays, brandissaient des pancartes indiquant la langue dans laquelle ils pouvaient s'adresser aux fidèles en provenance de l'étranger, pour leur donner des indications, des conseils ou une aide quelconque en ce jour bien particulier pour la communauté.
Les mormons sont d'ailleurs fiers de leurs 55 000 missionnaires qui arpentent le monde pour prêcher la bonne parole. Celle-ci leur est transmise de père en fils par le biais, notamment, du Livre des mormons, et grâce à une formation religieuse assidue qui les prépare à affronter deux ans durant une mission de prosélytisme ou d'action humanitaire dont ils sont en charge dans l'une des contrées du monde. Ils se dirigent vers tous les continents, sauf au Proche-Orient et Israël où ils s'abstiennent de prêcher, par respect pour les religions respectives qui y sont pratiquées, soit l'islam et le judaïsme. Cela n'exclut pas toutefois leurs multiples actions humanitaires et caritatives dans cette région.  
« Sister Packer », 21 ans, de mère anglaise et de père américain, est venue spécialement de l'État d'Ohio pour accomplir sa mission « mormone » dans l'État du Utah. Jupe et manches longues comme il se doit, elle explique avec enthousiasme et ferveur les termes de sa tâche de missionnaire et « l'extrême joie » que lui confèrent sa place et son rôle parmi les siens, sa famille spirituelle. À l'instar de nombreux autres fidèles, elle attend avec impatience de retrouver son compagnon de route, « qui doit nécessairement être un mormon », pour se marier au temple, lieu sacré de la communauté auquel seuls les membres peuvent accéder. Insistant sur les détails de l'histoire du Bon Samaritain qui, entre autres, lui a inspiré son engagement et son dévouement au service des autres, elle se lance dans une explication passionnée sur « l'appel qu'elle a reçu pour faire exactement ce que Jésus a fait, notamment apporter aux pauvres de quoi se vêtir, se nourrir et les aider à trouver un emploi ».
Les lieux saints et historiques de l'Église accueillent ainsi chaque jour des dizaines d'autres jeunes de son âge qui sillonnent les lieux jusqu'à 21 heures, prêts à prêcher, prodiguer conseils, et convertir tout nouveau venu.

Les contestataires
À quelques mètres du lieu de la conférence, des pancartes bien visibles sont brandies par des contestataires appartenant à l'Église catholique ou protestante. « Ils sont là, tous les six mois, toujours au rendez-vous. Nous en avons déjà l'habitude », explique une jeune missionnaire, sourire aux lèvres, un peu comme si le spectacle des manifestants faisait désormais partie du jeu et du décor. Pacifiquement et sans remous, ils dénoncent en chœur ce qu'ils considèrent être une hérésie par rapport à leurs propres croyances. « Où est donc la Bible ? S'ils affirment croire en les Écritures saintes, pourquoi je ne les vois tenir aucun autre ouvrage que le Livre des mormons ? » proteste l'un des manifestants.
Plus loin, un autre protestataire ne mâchera pas ses mots, dénonçant en chaîne l'Église mormone, qu'il traite d'Église du « diable », les Témoins de Jehovah, les juifs et les musulmans.
Une scène bien plus pittoresque est celle que les membres de l'Église protestante ont choisi de mettre en valeur au sein de ce cercle de contestataires. Habillées dans le style du XIXe siècle, en jupe bouffonne accompagnée du bustier blanc et de la coiffe de l'époque, une dizaine de femmes dénonçaient, documents en mains, la pratique de polygamie exercée à l'époque par Joseph Smith. « Il en avait épousé trente, dont trois mineures », s'indigne l'une d'entre elles, en brandissant la liste des noms et de l'âge des épouses du premier prophète. L'argument selon lequel l'Église mormone a banni de manière définitive cette ancienne pratique, et cela depuis la fin du XIXe siècle, ne semble pas les dissuader, encore moins la pluie fine qui commençait à humidifier leur tenue vestimentaire très recherchée pour l'occasion.
 
Les polygames ne font plus partie de notre Église
Longtemps considérée comme une sorte de secte, notamment à cause des accusations qui lui ont été adressées en matière de polygamie (officiellement interdite par l'Église en 1894), l'Église des mormons cherche aujourd'hui à s'ouvrir de plus en plus au monde, pour recruter des fidèles, certes, mais tout en s'attelant à promouvoir sa nouvelle image d'Église universelle engagée et altruiste, dans une tentative certaine d'effacer les stigmates du passé et de construire sur ses multiples aspects positifs. Les mormons de Salt Lake City persistent et signent : « La polygamie ne fait plus partie de nos pratiques. Les quelques individus ou groupes qui continuent de le faire de nos jours ne sont plus reconnus par l'Église. »
« La polygamie avait eu sa justification au moment où les mormons étaient persécutés. Pour protéger la communauté et son message, ils devaient se multiplier rapidement, et accroître leur nombre. La pratique a été interdite le jour où elle était entrée en contradiction avec l'esprit ambiant et les valeurs sociales du moment », raconte le guide du musée des Mormons, chargé de relater l'histoire tumultueuse de l'Église.
Guidés aujourd'hui par leur prophète moderne, Thomas Monson, qui devra laisser la place à son successeur à son décès, le poste étant consacré de facto au plus âgé parmi les prophètes, l'Église est dotée d'un organigramme unique en son genre, avec ses apôtres et son assemblée de prélats ayant tous fait leurs preuves d'engagement au sein de l'Église et de la communauté. Pour eux, un mormon fait acte de foi à travers son œuvre, bien plus que par le biais de la seule parole.

Message universel en 24 langues
Lors du grand rassemblement - une cérémonie on ne peut plus solennelle qui a lieu tous les six mois -, le prophète a tenu à rappeler à près de 26 000 mormons venus l'écouter, « le message de Jésus-Christ : nous pouvons et devons aspirer à devenir meilleurs. Nous pouvons évoluer à l'image du Sauveur », insiste Thomas Manson.
« Il nous a donné l'exemple de la famille pour apprendre à aimer (...), en faisant passer le bien-être des autres avant le nôtre. Priez pour avoir l'amour pour alléger le fardeau et le chagrin de l'autre », ajoute le prophète.
Traduites en 24 langues, ces paroles constituent l'essence même de la foi qui anime les mormons, une communauté dont plus de la moitié des membres se trouve en dehors des États-Unis.
L'Église compte dans ses rangs 13 membres du Congrès américain, et quelques sénateurs, dont deux représentant l'État du Utah. Ils ont même eu leur propre candidat à la présidentielle. Les mormons encouragent l'engagement politique et le service public et militaire, tout autant que l'action humanitaire, qui est la pierre angulaire de cette puissante organisation. L'engagement dans l'arène politique, certes, mais avec une seule condition, toutefois, celle du respect de l'allégorie des deux glaives, affirment les responsables : « Rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »

L'allégorie des deux glaives
Pour les mormons, il ne peut y avoir de confusion entre le domaine spirituel, l'action humanitaire et l'engagement politique qui reste une action civique à part, bien séparée du reste. Ainsi, précisent-ils, une fois sénateur ou membre du Congrès, un mormon ne peut s'exprimer et agir au nom de l'Église dans le cadre de ses prestations politiques, même s'il reste profondément animé par les valeurs spirituelles ou humaines que lui inspire sa religion.
« Nous ne donnons jamais de directives de vote dans un sens ou un autre lors des élections. Nous conseillons simplement à nos électeurs mormons de participer nombreux au scrutin », atteste un membre de l'Église. Résultat pratique : le vote mormon va aussi bien aux démocrates qu'aux républicains, avec toutefois une légère préférence pour ces derniers, connus pour leur conservatisme en général.
Là où les valeurs républicaines semblent cependant primer au niveau de la sphère politique, c'est lorsqu'il s'agit de voter en faveur de textes législatifs portant sur des questions sociales ou familiales. Cela va de soi : les mormons sont contre l'avortement, contre le divorce (ils se marient pour la vie éternelle), et bien entendu contre le mariage des homosexuels, envers lesquels ils expriment un conformisme intransigeant, leur interdisant les relations sexuelles à vie, lorsque et seulement lorsque ces derniers décident de rejoindre l'Église, chose extrêmement rare de toute évidence.
Ce sont des principes tout aussi rigoureux qui s'appliquent aux jeunes hétérosexuels, cette fois-ci, puisque l'Église prohibe - pour les hommes aussi bien que pour les femmes - les relations sexuelles avant le mariage, les deux fiancés devant se réserver pour la nuit nuptiale, et se jurer l'amour éternel. Encouragés à fonder des familles nombreuses - avec 4 ou 5 enfants en moyenne -, ils sont également incités à se marier jeunes et à œuvrer en vue de la consolidation de l'unité de la famille, un noyau social quasi sacré pour eux.
Andy Walton, engagé au sein de l'Église depuis sa tendre enfance, est grand-père de 46 petit-fils et filles. Tous mormons, du moins c'est qui en ressort à ce jour. Une famille typique qui ne manquera pas de nourrir les rangs des missionnaires et volontaires.
« Nous devons être honnêtes, chastes, bénévoles, vertueux, fidèles, charitables, responsables et faisant du bien à l'humanité entière. » L'exhortation de Paul sera rappelée avec insistance par le prophète lors de la conférence. Et Thomas Manson de conclure en mettant les fidèles en garde contre « le déclin rapide des vertus dans le monde. Au civisme, désormais absent du discours politique, se sont substituées la convoitise et la corruption », a-t-il affirmé.
Sur ces derniers conseils, il se retire de la salle, discrètement, à pas feutrés, alors que résonnent les cantiques entonnés par « les Chœurs du Tabernacle », une chorale à la réputation tout aussi universelle.
Encadrés par un réseau de sécurité particulièrement renforcé pour l'occasion, les fidèles avançaient, par rangs serrés, observant une discipline rigoureuse qu'ils ont assimilée depuis leur plus jeune enfance dans leurs milieux respectifs. Sobrement vêtus, jupes longues et cols fermés pour les femmes, veston et chemise blanche pour les hommes, les mormons se dirigeaient un à un vers les sièges qui leur étaient attribués à l'avance, dans une immense salle de conférences spécialement édifiée pour ce type de rencontres. Encadrés tout le long par de jeunes missionnaires consacrés à la tâche, les fidèles attendaient, au son des chants religieux qui émanaient...