La culture du juron

Wizara siyadieh, wizara khadamatieh, wazir malak (ministre roi), telt damen, telt mouattel (tiers de blocage), 10,15, 5 ; 10,10,10 ; 16,10,4 ; wizarat wehdi watanieh (union nationale), tawafok watani (entente nationale) aktarieh (majorité) qui gouverne, akallieh (minorité) qui se soumet, Gebran Bassil (intraduisible) ; mehwar souri-irani ; mehwar masri-saoudi-souhyouni-imperiali ; mahkama doualia (sujet qui revient sur le tapis avec plus d'acuité) ; etc.
Ils tournent, ils tournent pour revenir au point de départ, sans avoir la capacité de sortir de ce cercle vicieux dans lequel ils se sont enfermés - et nous avec eux -, alors que les problèmes vitaux qui touchent à la vie du citoyen sont renvoyés aux calendes grecques. Le soleil se couche, la nuit tombe, on sombre dans un paisible sommeil dans l'espoir d'un lendemain meilleur... C'est l'aube, le soleil se lève, les citoyens se réveillent pleins de vigueur et d'enthousiasme, vaquent à leurs occupations après une bonne douche et un copieux plat de foul ou de hommos au awrama qu'ils digèrent avant d'atteindre leur lieu de travail du fait des embouteillages monstres dans lesquels ils sont pris. C'est là exactement que le juron commence à produire son effet thérapeutique, aidant les conducteurs et les passagers qui les accompagnent à vider leur sac dans une ambiance appropriée. Nul n'est à l'abri des jurons qui fusent de toutes parts en direction de celui qui perche au plus haut de la pyramide jusqu'au dernier des survivants de la dernière guerre mondiale. La tension monte au fur et à mesure que le tableau de bord indique une baisse progressive de la quantité d'essence payée la veille à un prix exorbitant, du fait des taxes perçues par l'État.
Les jours passent, les mois se succèdent, rien de nouveau dans ce sinistre tableau statique et figé. Sur la monotonie du discours politique creux et sans fond et des déclarations imbues de haine se greffe la hausse des prix des produits de première et de dernière nécessité, réduisant le Libanais à un mendiant endimanché. Là encore, c'est le juron qui vient à la rescousse.
Bientôt la rentrée scolaire. Préparons-nous à glorifier le juron pour sa précieuse assistance dans les moments les plus difficiles. Car en recevant la fiche de scolarité, au lieu de dégainer ou de se taper une crise de folie, on se contente de lancer un ou deux jurons à l'adresse de celui qui est en face, de l'autorité chargée de ce secteur, et le problème est résolu.
Les Libanais doivent en savoir gré au juron qui devrait être inclus dans les programmes d'enseignement primaire, secondaire et universitaire. Car dans ce pays, il ne leur reste que ce pauvre juron, arme modeste contre l'insouciance, l'irresponsabilité, la corruption, le manque de respect du citoyen et la fourberie érigée en système allié à l'incompétence.
Il nous arrive parfois de nous poser la suivante question : dans quel pays vivons-nous ? Sommes-nous tellement ignorants ou masochistes pour nous contenter d'un juron qui n'atteint jamais sa cible, et nous laisser conduire jusqu'au point de vénérer nos tortionnaires ? Si tel est le cas, cessons de nous plaindre et de jurer et suivons conjointement l'exemple du renard dans l'une des fables de La Fontaine, Les animaux malades de la peste : « Sire, dit le renard en s'adressant au lion qui dévorait tout ce qui lui tombait sous la dent : vous êtes trop bon roi ; vos scrupules font voir trop de délicatesse. »
« Eh bien ! Manger moutons, canailles, sotte espèce, Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes, seigneur, en les croquant, beaucoup d'honneur. »
À tout seigneur, tout honneur.