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Législatives : juin 2009 - Tout le monde en parle

De Karak à Taëf : la convivance islamo-chrétienne

Dans son discours du 6 juin 2009, à la veille des élections, le cardinal Nasrallah Sfeir a glissé une expression qui a surpris plus d'un observateur. Mettant en garde contre une victoire possible du camp syro-persan, le patriarche maronite d'Antioche crut bon d'évoquer les risques qu'une telle éventualité ferait courir à « notre identité arabe ».
Il est vrai que, dans certains milieux chrétiens, une telle expression peut surprendre surtout ceux qui confondent encore « arabité » et « arabisme » et qui comprennent toute référence à l'identité culturelle arabe comme étant synonyme de l'idéologie du panarabisme islamiste.
On peut comprendre qu'on ne puisse pas faire la distinction entre « identitaire » et « identité », et qu'on puisse s'imaginer que la présence chrétienne au Proche-Orient se mesure à l'aune du nombre de bureaux dans le bâtiment d'un sérail ou de sous-fifres dans telle ou telle administration. Il serait salutaire de rappeler l'histoire des tribus chrétiennes de Karak, en Transjordanie, du moins avant 1880 et leur premier contact avec les missionnaires occidentaux qui firent d'eux des « communautés » dont l'identité, géométriquement circonscrite, leur fit brusquement découvrir les délices sulfureux du sectarisme identitaire qui, aujourd'hui, empoisonne le Liban.
Dans les steppes isolées de Karak, un système social original a perduré jusqu'au XXe siècle. L'ordre établi n'avait rien d'ottoman et ne ressemblait en rien à la norme islamique établissant une stricte hiérarchie entre « croyants » et « gens du livre » réduits au statut de dhimmis. Les tribus de Karak étaient organisées en une fédération gouvernée par un vague majlis (assemblée) formé d'une trentaine de cheikhs représentant les tribus fédérées. Un cheikh pouvait être indifféremment chrétien ou musulman. L'allégeance était fonction de l'identité collective tribale dont le paramètre était le lignage et non l'appartenance confessionnelle. La prééminence sociale était régie par un système complexe de usul (origine) et de sharaf (honneur) sans lien aucun avec la religion. Ainsi, on trouvait au bas de l'échelle sociale les exclus du système, ceux dont le lignage en faisait une catégorie équivalente à celle des métèques de l'Antiquité. Au sein de ce groupe on trouvait les nawar (romanichels nomades), les âbid (Noirs réduits en esclavage) ainsi que les membres des tribus musulmanes de basse caste, pauvres et méprisés. Ces exclus ne pouvaient pas rentrer dans le jeu des alliances politiques, ni partager le pouvoir. Il leur était strictement interdit de porter les armes et surtout de posséder la terre. En d'autres termes, aucune ségrégation sur base religieuse n'emprisonnait les chrétiens dans une quelconque catégorie de dhimmis ou de citoyens de seconde zone.
Les chrétiens de Karak étaient tous des fidèles du patriarcat roum-orthodoxe de Jérusalem, tout en demeurant des membres à part entière de l'une ou l'autre tribu islamo-chrétienne des castes dominantes de cette société. Mais leur identité religieuse commune ne constituait pas le fondement de l'unité politique. Une identité de groupe permettait, certes, de distinguer chrétiens et musulmans au sein de chaque tribu, mais une telle disctinction n'avait aucune incidence institutionnelle et encore moins de conséquences en termes de ségrégation sociale ou politique. « Les musulmans comme les chrétiens, sont divisés par un factionnalisme » (G. Chatelard).
Ainsi, l'ordre politique et l'ordre tribal coïncidaient au sein de cette étrange société. La convivance, ou le vivre-ensemble de Karak, allait encore plus loin que ce qui avait cours, jadis, dans al-Andalus, et ce au cœur de dar-el-islam. « Il n'existe aucune cohésion proprement chrétienne, guère d'identité collective en tant que communauté religieuse, mais plutôt une compétition permanente... où chrétiens et musulmans jouent selon les mêmes règles d'un jeu social dans lequel... les tribus, et non les groupes confessionnels, sont considérées comme les unités en concurrence » (G. Chatelard).
En évoquant « notre identité arabe », le cardinal Sfeir a, certes, voulu rappeler l'esprit du partenariat islamo-chrétien voulu par Taëf mais il a aussi, ressuscité de l'oubli, l'esprit de la convivance qu'ont pratiquée ensemble, musulmans et chrétiens, au sein des tribus non confessionnelles de Karak.
Il est vrai que, dans certains milieux chrétiens, une telle expression peut surprendre surtout ceux qui confondent encore « arabité » et « arabisme » et qui comprennent toute référence à l'identité culturelle arabe comme étant synonyme de l'idéologie du panarabisme islamiste.On peut comprendre...