Rechercher
Rechercher

Diaspora

La communauté libanaise de Côte d’Ivoire, ou l’histoire du baobab centenaire qui abrite le cèdre millénaire

La Côte d'Ivoire est depuis le début du XXe siècle l'une des principales terres d'accueil des Libanais en Afrique de l'Ouest. Elle abrite aujourd'hui près de 100 000 Libanais qui ont adopté cette patrie comme la leur, sans pour autant renier leurs origines. Retour sur l'historique de cette frange de la diaspora libanaise en Afrique. 
La date précise de l'émigration levantine en Afrique reste incertaine, mais à en croire certains témoignages, l'arrivée de ceux que l'on appelait alors les Syro-Libanais en Côte d'Ivoire remonte à 1890 dans la ville de Grand Bassam, capitale coloniale du pays. Aux premières heures de la colonisation, ces immigrants originaires du pays du négoce par excellence y ouvrirent les premiers comptoirs commerciaux.
Cette présence revêtait un caractère œcuménique puisque les familles pionnières les plus connues se répartissaient entre chrétiens originaires du Mont-Liban et musulmans originaires du Sud-Liban, comme en témoigne la déclinaison des patronymes : Abinader, Aboujaoudé, Achkar, Assaf, Awad, Bejjani, Borro, Charbine, Copti, Fakhri, Farhat, Ghandour, Khalil, Mansour, Omaïs, Berro, Sabbah, Sahioun, Zreik, Ganamet, Saab, Bourgi...
La grande famine de la Première Guerre mondiale (1914-1918), qui a poussé une large fraction de la population libanaise à prendre le chemin de l'exil, ainsi que l'accroissement de la demande mondiale de produits tropicaux, la tutelle française et les quotas annuels d'immigrants institués dès 1921 par les États-Unis ont stimulé l'émigration en l'orientant vers les colonies de l'Afrique occidentale. Le Sénégal d'abord, en tant que plaque tournante de l'administration coloniale française dans l'Afrique francophone, la Côte d'Ivoire ensuite.
L'arrivée massive des Libanais en Côte d'Ivoire a eu lieu à partir de 1930, à la faveur de l'instauration du mandat français au Liban, de la dépression économique mondiale consécutive au krach financier de 1929 et l'ouverture subséquente de la colonie aux étrangers.
En trente ans, le nombre de Libanais vivant et travaillant sur le territoire ivoirien a augmenté de 697 personnes, s'élevant à 700 en 1938, pour 900 Français à la même date. À l'époque, les Libanais étaient répartis sur une dizaine de villes, à l'exception d'Abidjan (actuelle capitale économique) qui ne représentait encore nullement une ville propice aux échanges commerciaux.
Placé sous mandat français par la Société des nations, le Liban offrait à l'Afrique occidentale française le potentiel humain dont elle avait besoin. C'est ainsi que le consulat français à Beyrouth a longtemps facilité cette politique d'émigration qui a puisé son succès dans la prédisposition du Libanais à émigrer.....
La Côte d'Ivoire compte de nos jours près de 100 000 Libanais, dans leur écrasante majorité chiites (à 95 %), originaires des localités du Sud-Liban : Zrariyeh, Nabatiyeh, Tyr, Toura, Abbassiyeh, Qana et Jouaya, notamment. Quelque 2 000 chrétiens y résident encore contre 2 % de sunnites et quelques rares familles druzes et juives.
Félix Houphouët-Boigny - père fondateur de la Côte d'Ivoire, ancien communiste reconverti au charme du libéralisme économique - a favorisé dès l'indépendance (1960) et le début de son règne les investissements étrangers, permettant un développement prodigieux du pays par rapport aux voisins de la sous-région.
Plaque tournante de l'Afrique noire au sud du Sahara, dotée d'infrastructures de qualité et bénéficiant de facilités d'accès, elle a réussi son « miracle ivoirien » grâce à ses ressources naturelles et au soutien français visant à faire d'Abidjan le pôle compétitif et alternatif de Dakar, misant pour ce faire sur le monde paysan et le concours actif des Libanais.

Une place économique et sociale
Dès le départ, la vision sociopolitique d'ouverture d'Houphouët a permis à son pays d'accueillir les immigrés venus d'horizons divers, tirant profit de leur expertise. Un encouragement pour la première génération postindépendance des Libanais à élire domicile en Cote d'Ivoire... Une seconde génération, encouragée par les facilités d'accueil et de commerce accordées par les Ivoiriens, s'est choisi la Côte d' Ivoire comme terre d'asile, en substitution au Liban ravagé par la guerre civile (1975-1990). La soudure entre les deux générations constitue de nos jours le socle de la diaspora du pays, plus connu sous le vocable de « pays des éléphants ».
Si les Libanais ne se mêlent pas - comme tout bon commerçant - des affaires politiques du pays, ils ont acquis au fil du temps une place bien « visible » au sein de la société ivoirienne. Une place économique mais également sociale avec une intégration réussie grâce, entre autres, à la fidélité dont ils ont fait preuve envers le peuple ivoirien dans son histoire récente. Et comme pour gratifier la communauté libanaise de son implication et intégration marquante, l'ancien président Houphouët-Boigny a nommé un Ivoiro-Libanais - M. Georges Ouegning - pendant plus d'une décennie au poste de directeur du protocole de son gouvernement. Une première figure d'origine libanaise dans le paysage diplomatique ivoirien, qui constitue encore aujourd'hui une fierté pour la communauté ...
C'est également dans cet esprit de fraternité que l'actuel président Laurent Gbagbo a nommé dès son élection, en 2000, deux opérateurs économiques libanais au poste de conseillers économiques et sociaux de la République de Côte d'Ivoire : MM. Roland Dagher et Fouad Omaïs. Ce fut le premier président après Houphouët à confirmer de la sorte la confiance accordée à cette communauté, devenue partie intégrante du pays.
Lors de la guerre de juillet 2006 au Liban, le gouvernement ivoirien a, une fois de plus, tendu les bras aux Libanais en leur donnant accès au pays sans visa. Un geste fraternel ayant définitivement soudé les liens entre les deux peuples. Des liens que M. Ali Ajami, ambassadeur du Liban en Côte d'Ivoire, qualifie de « mariage maronite », comme pour signifier le caractère indissociable d'un tel lien.
Le Liban a reçu en mai dernier la visite du ministre ivoirien des Affaires étrangères, M. Bakayoko. Ce séjour a permis d'élaborer des accords bilatéraux dans les multiples domaines de la coopération. Une des rares visites officielles entre les deux pays qui, pourtant, partagent une histoire commune de plus d'un siècle. Aujourd'hui, la communauté libanaise de Côte d'Ivoire désire des relations interétatiques plus « concrètes » et une attention plus marquée à son égard de la part de l'État libanais. Car si le cèdre millénaire a apporté sa force de survie au pays du « Vieux », l'aidant à renaître de ses cendres après une décennie de crise sociopolitique (1999-2009), l'on ne peut que considérer comme frère le peuple du baobab centenaire, cet arbre à palabre, qui, à l'ombre de ses voluptueuses branches, abrite depuis plus d'un siècle les enfants du Liban en exil.

La date précise de l'émigration levantine en Afrique reste incertaine, mais à en croire certains témoignages, l'arrivée de ceux que l'on appelait alors les Syro-Libanais en Côte d'Ivoire remonte à 1890 dans la ville de Grand Bassam, capitale coloniale du pays. Aux premières heures de la colonisation, ces immigrants originaires du pays du négoce par excellence y ouvrirent les premiers comptoirs commerciaux.Cette présence revêtait un caractère œcuménique puisque les familles pionnières les plus connues se répartissaient entre chrétiens originaires du Mont-Liban et musulmans originaires du Sud-Liban, comme en témoigne la déclinaison des patronymes : Abinader, Aboujaoudé, Achkar, Assaf, Awad, Bejjani,...