Dans la moisson de résultats de la période avril-juin, le contraste a été flagrant entre les grands établissements financiers du pays et les banques régionales, dont nombre ont encore affiché des pertes.
Les quatre mastodontes qui ont émergé sur les ruines fumantes du système financier américain ont dégagé des profits colossaux : 2,7 milliards de dollars pour JPMorgan Chase, 3,2 milliards pour Bank of America et Wells Fargo, et même 4,3 milliards pour la plus mal en point, Citigroup.
« Ces résultats viennent de la banque d'investissement » et non de l'activité classique de prêts, si cruciale pour l'activité économique, résume Cesare de Novellis, analyste chez Meeschaert New York. Ils ont été permis par la forte remontée des Bourses et le regain d'activité sur les marchés obligataires, qui ont dopé les revenus dans le courtage, a-t-il relevé.
La banque d'affaires Goldman Sachs, dont les activités grand public sont minimes, a ainsi vu son bénéfice bondir de 65 % sur un an, à 3,4 milliards.
Ces bons résultats ont relancé les polémiques sur les rémunérations variables des « traders », qui semblent repartir de plus belle, après s'être faites discrètes pendant quelques mois.
Citigroup, renflouée par l'État à hauteur de 45 milliards de dollars, et Merrill Lynch, qui a dû se vendre pour échapper à la faillite, ont ainsi trouvé le moyen de verser l'an dernier respectivement 5,33 et 3,6 milliards de primes, selon un récent rapport du secrétaire à la Justice de l'État de New York.
Le directeur général du Fonds monétaire international Dominique Strauss-Kahn s'est dit « scandalisé » par le retour de ces pratiques.
Alors qu'un courtier vedette de Citigroup fait actuellement pression pour que la banque lui verse 100 millions de dollars en bonus cette année, la Chambre des représentants vient d'adopter un projet de loi destiné à limiter la rémunération des dirigeants des grandes entreprises renflouées par l'État.
« L'administration (du président Barack) Obama est partie avec l'idée de réformer le système financier, mais pour l'instant, elle a seulement réussi à éponger les pertes des grandes banques », déplore M. de Novellis.
Les banques qui ont le plus accru leurs bonus « ont déjà remboursé les fonds avancés, si bien que le gouvernement ne peut plus faire pression pour limiter » les sommes versées aux courtiers vedettes de Wall Street.
L'euphorie actuelle pourrait n'être qu'un feu de paille car les grandes banques risquent de buter prochainement sur la montée des impayés, qui affecte déjà les comptes de leurs concurrentes régionales. Ces dernières, à l'instar de KeyCorp et SunTrust, ont encore enchaîné les pertes au deuxième trimestre.
« Les banques régionales, dont les plus petites, ont des portefeuilles moins diversifiés que les plus grandes banques et ont donc tendance à être plus vulnérables (aux soubresauts de) l'économie régionale », explique Charles Geisst, professeur de finance au Manhattan College.
Les banques régionales connaissent une explosion des défaillances, surtout dans les États frappés de plein fouet par la récession et la crise du crédit, comme la Californie et la Géorgie. Un nombre record de 72 banques ont été fermées depuis janvier, contre 25 sur l'ensemble de 2008.
Charles Geisst met en garde contre deux nouvelles bombes à retardement pour les grandes banques : elles « sont aussi largement exposées aux risques de non-remboursement sur des cartes de crédit, mais aussi dans les prêts de l'immobilier commercial ».
Selon l'universitaire, ces établissements « ne vont pas pouvoir continuer de se régaler de la banque d'investissement très longtemps ».
Dans leur dernier rapport sectoriel, les analystes de Standard and Poor's s'inquiètent eux aussi « des pressions persistantes dans le cycle du crédit » pour les grandes banques du pays, avec une dégradation inévitable dans la banque commerciale (services financiers aux entreprises).
« Les pertes associées aux non-remboursements pourraient continuer de grimper au cours des prochains trimestres », estiment-ils, en chiffrant en dizaines de milliards de dollars le montant des provisions futures.