Ce phénomène, défini et décrit pour la première fois en 1986 par Richard Gardner, professeur de pédopsychiatrie à l'Université de Columbia, est celui de l'aliénation parentale. Une pratique que subissent de plus en plus d'enfants dans le monde. « Le parent aliénant imprime à ses enfants des idées de dévalorisation systématique de l'autre parent, explique à L'Orient-Le Jour Yvonne Poncet-Bonissol, psychologue clinicienne et psychanalyste, en visite dernièrement au Liban. Mme Poncet-Bonissol est également présidente d'une association qui lutte contre la violence morale dans la sphère familiale et experte-psychologue des affaires familiales sur France 2, dans le cadre du programme « Toute une histoire » avec Jean-Luc Delarue.
« Le parent aliénant transmet avec une force inouïe des impressions négatives et de faux souvenirs de l'autre parent à tel point que l'enfant ressent le besoin de protéger le parent aliénant, qui joue à la fois le rôle du protecteur et du martyr, ajoute-t-elle. Tout est mis en œuvre pour que la vie émotionnelle du parent aliéné soit un chaos total. Jouant sur ce fait, le parent aliénant va provoquer insidieusement des faux souvenirs. Ainsi, il suffit que le parent aliéné boive un verre de vin à table pour qu'il devienne alcoolique, qu'il se plaigne ou qu'il ait un accès de colère pour le traiter de fou, etc. »
Le parent aliénant crée ainsi une multitude de faux souvenirs et, comme dans l'armée, dresse le terrain du double langage. « L'enfant se sent ainsi insécurisé, d'autant que le parent aliénant lui fait croire que son autre parent lui veut du mal, note Mme Poncet-Bonissol. Il vient ainsi se poser en tant que protecteur et le convainc qu'il est le seul à pouvoir accéder à son bonheur. »
« Au fait, le parent aliénant est très subtil et très intelligent, poursuit la psychologue. Il a souvent un double visage, mais ne le démasque que bien plus tard. Vide de sentiments et stratégique, il s'arrange pour faire en sorte que l'enfant ne manque de rien pour mieux l'aliéner. C'est exactement un copier-coller de ce qu'on trouve dans les domaines sectaires. D'ailleurs, tous les parents qui sont aliénants connaissent parfaitement les phénomènes sectaires et ceux de l'emprise qui consistent à dévaloriser, dénigrer et diaboliser l'autre parent pour garder l'enfant aliéné sous l'autorité du parent aliénant. »
Une stratégie bien étudiée
Pour atteindre ses objectifs, le parent aliénant a recours à une stratégie mise en place depuis longtemps et qui consiste essentiellement à empêcher l'autre parent d'exercer son droit de visite, à confier l'enfant à une autre personne qui est souvent un nouveau partenaire, intercepter le courrier et cacher toutes sortes d'informations concernant l'autre parent pour que l'enfant n'ait pas accès à lui, à diaboliser tout ce qui appartient à l'autre parent ou tous les cadeaux qu'il offre, à prendre des décisions importantes qui touchent aussi à la religion. « Tout cela constitue un meurtre psychologique de l'autre parent, constate Mme Poncet-Bonissol. Le parent aliénant fait en sorte de le tuer symboliquement. L'enfant aliéné devient fermé et difficile à pénétrer. Il adopte un langage stéréotypé (maman ou papa nous a laissés, maman ou papa préfère les amis, etc.) et reproduit quasiment sans se rendre compte les actions et les paroles du parent aliénant. Il va jusqu'à étendre son comportement à tout l'entourage du parent aliéné. »
Mme Poncet-Bonissol poursuit : « Au moment du divorce, des rapts parentaux ont souvent lieu. C'est vraiment la bombe à retardement. Tout est fait dans le secret le plus absolu et à l'occasion de vacances ou d'un déplacement. Les enfants sont enlevés et il devient difficile de rentrer en contact avec eux, parce que, comme dans l'armée, ils sont tiraillés entre l'ordre que l'on donne et le désordre. Ils finissent par avoir une vie affective fracturée, même s'ils réussissent sur le plan social, éducationnel et professionnel. »
Trois stades d'aliénation parentale
Les psychologues distinguent trois phases de l'aliénation parentale. « Elle peut être légère, l'enfant manifestant peu d'intérêt envers le parent aliéné, constate Mme Poncet-Bonissol. Le stade moyen, au cours duquel l'enfant manifeste des symptômes, mais voit quand même le parent aliéné. Dans le stade grave, l'enfant devient quasi fanatique. Il va tellement paniquer à l'idée de voir le parent aliéné, que la visite devient impossible. Et si elle a lieu, le risque c'est que l'enfant va tellement protéger le parent aliénant qu'il va faire tout ce qui est en son possible pour détruire cette relation. »
Comment aider le parent et l'enfant aliénés ? « Il faut que les enfants sachent la vérité, répond Mme Poncet-Bonissol. Je pense qu'on ne peut plus masquer des éléments. Les faux souvenirs doivent être débusqués de leur cache et une opération vérité doit se mettre en place. Il faut leur parler vrai et ne plus les enfermer dans un double langage. Il faut aplanir les difficultés pour que le parent aliéné puisse voir ses enfants, parce qu'on ne peut pas vivre en étant amputé d'un parent ni faire le deuil d'un enfant vivant. » Une démarche qui doit toutefois être entreprise progressivement avec, de préférence, l'aide d'un professionnel.