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Nos Lecteurs ont la Parole

Pas une vie, mais une carrière

Par Louis INGEA
Il ne me serait jamais venu à l'idée de commenter un événement en rapport avec un chanteur, quelle que soit son envergure. Qu'il s'agisse d'une vedette du petit écran ou, encore moins, d'un crooner de show business, champion de musique pop et de chahuts programmés.
Sauf que, cette fois, l'impact du personnage semble avoir dépassé tous les pronostics : Michael Jackson aura fait un tabac par sa mort plus qu'il n'en a fait par sa vie et marqué de son passage un jalon important de l'évolution des comportements.
N'a-t-on pas assisté, en effet, dès l'annonce de son décès à un branle-bas inouï au niveau de tous les médias de la planète ? Et le crescendo en continu n'aura-t-il eu de cesse, au bout d'une dizaine de jours, qu'avec le pic spectaculaire de ses funérailles publiques ? Je me demande si une explosion nucléaire accidentelle aurait fait plus de tapage de par le monde et mobilisé autant l'angoisse d'auditeurs se chiffrant par centaines de millions...
La première impression qui a prévalu chez toute personne de bon sens aura provoqué, sans doute, une réaction d'ahurissement qui s'est muée, au vu des excès constatés, en exaspération. Je confesse avoir été du nombre de tous ceux qui ont mal pris la chose. Qu'aurait-on fait davantage si un grand chef d'État avait subitement disparu, si s'était déclenché un conflit majeur entre Israël et l'Iran, par exemple, si le niveau de l'océan Atlantique était brusquement monté de plusieurs crans au point d'envahir la banquise... ?
Et pourtant, si je prends la peine d'élargir le discours, c'est bien parce que quelque chose d'essentiel doit filtrer à nos yeux et qu'il serait bon d'en prendre conscience.
Pour qui aura eu la patience d'assister en direct à la cérémonie du Staples Center à Los Angeles, il saute aux yeux que les États-Unis d'Amérique ne sont plus dorénavant les États privilégiés régis depuis trois cents ans par une population anglo-saxonne greffée d'immigrants nordiques aux yeux de canard et aux cheveux blonds. Il est vrai que la seule constante culturelle est encore la langue anglaise, telle que pratiquée là-bas. Mais la culture générale de cette immensité, devenue société composite, représente davantage aujourd'hui le mode de vie complexe et unique en son genre d'une nation parfaitement hétéroclite dans laquelle les divers apports ethniques sont imbriqués de telle sorte que l'on peut véritablement parler désormais d'une civilisation proprement américaine. Et qui explique en bonne partie le prestige et le succès de « l'American Way of Life » jusqu'aux confins de la Chine.
Dans l'Amérique du XXIe siècle, se sont donc définitivement incrustées d'autres races et d'autres sensibilités. La détermination, le froid calcul et le rationalisme de l'Europe des Lumières, véhiculés primitivement par les « Wasp » ainsi que la prédominance de l'esprit combinard, ont fait place à une nouvelle énergie, à des sentiments spontanés et un comportement de masses basés plutôt sur le cœur : ce qui, au demeurant, est parfaitement compatible avec l'humanisme au sens large du terme. Par ricochet naturel, c'est tout le domaine de l'art qui s'en trouve transformé. Le rythme, la musique et la danse, dons spécifiques de la race noire, y figurent au premier plan. Suivis de la peinture, de l'architecture, de l'art dramatique principalement axé, de nos jours, sur les grands spectacles. Y perdure, bien entendu, le courant classique des grandes réalisations théâtrales, reflet de l'Europe millénaire. Mais le souffle de la vie trépidante que les sociétés de consommation auront imposée au monde moderne a fini par prévaloir, par son dynamisme, sur les formes ramollies héritées des siècles passés.
On n'arrête pas le progrès. Même si, souvent, il devait accuser, paradoxalement, des bonds en arrière dans le domaine de la moralité publique et de l'éthique en général.
À ce propos, il aura été hautement dommageable pour Michael Jackson d'avoir sacrifié, une fois atteint le sommet d'une réputation planétaire bien méritée au départ, à des instincts cachés, inhérents par ailleurs à tout être sensible et exceptionnellement doué. J'ai retenu le mot d'un commentateur français sur la deuxième chaîne : « Michael Jackson, a-t-il déclaré, n'a pas eu une vie mais une carrière ! » C'est à ce titre qu'il nous intéresse.
Sa vie privée, il était évident qu'elle était ratée. Resté enfant dans le fond de sa personnalité, il a atteint, au prix du sacrifice d'un caractère équilibré et adulte, le sommet d'un art exclusivement composé au premier chef de rêves, de passion, de fantaisies débridées qui auront servi de point de ralliement à une jeunesse avide de nouveautés. Et qui aura donné à la « soul music » des titres de noblesse et que d'autres Noirs avant lui, d'autres Louis Armstrong avaient déjà élevée au rang de grand art.
N'étant pas personnellement amateur de pop ou de rap, je glisse volontairement sur les réalisations plus douteuses qu'artistiques collectionnées tout au long de ces attroupements hystériques mis à la mode un peu partout par les médias pour des raisons purement lucratives et que ma culture personnelle répugne toujours à cataloguer parmi les succès légitimes du monde de l'art. Les fans, dans ce domaine, voudront bien m'en excuser ! Je n'insiste pas non plus sur les détails des adieux funèbres et sur la chorégraphie, d'un kitsch sublime, comme seule l'Amérique hollywoodienne sait en offrir...
Car le point culminant de mon raisonnement reste ce message à décoder, consciemment ou inconsciemment assumé par Michael Jackson, l'artiste. Peu me chaut, par conséquent, qu'il se soit avéré pédophile, maniaque ou mégalomane. Naïf, dépensier et prodigieusement marginal, jusqu'à vouloir changer de couleur de peau et se couvrir, en un sens, de ridicule. La mémoire publique ne retiendra de sa vie sur terre que la valeur d'un enfant prodigue, d'un enfant prodige, issu d'un milieu modeste, mais qui a réussi à porter le flambeau de la passion authentique jusqu'à un sommet planétaire avec un cœur pour principal et unique moteur. Ceux qui l'ont connu et fréquenté de près l'affirment. Nous ne pouvons que les croire sur parole.
Il aura contribué à faire poindre la nouvelle Amérique, celle du futur. Il en a été, avec tant d'autres, le témoin et le propulseur. Dans un monde qui a laissé mûrir jusqu'au pourrissement la flamme de la Renaissance, qui a provoqué, à cause de son inéluctable développement matériel et matérialiste, la chute de tant de valeurs humaines et la déchristianisation de l'Europe actuelle, il est bon qu'un garçon fou, noir et génial ait initié, peut-être sans s'en rendre compte, cette remontée de la spiritualité portée par les gens de cœur et de couleur que sont les Latinos et les Noirs. Si l'Amérique doit rester le phare universel du progrès, si l'humain, à travers ses tâtonnements, ses dérives et ses chutes, garde toutes les chances de reprendre sa place dans un monde qui n'a de sens que s'il témoigne d'une « montée de l'esprit » telle que programmée par le prodige de la Création cosmique, alors, oui ! la carrière d'un Michael Jackson devient un passage obligé à souligner et à consacrer...
Tel était, modestement, le fond de mon propos. Puisse le monde, sous la pression de pareils phénomènes, continuer à explorer, pour en jouir, les zones profondes de la nature humaine, assoiffée de justice et de fraternité. Et nous faire comprendre que le véritable sens de la vie ne réside pas dans les succès faciles ou éphémères, encore moins dans les appétits à assouvir, mais principalement dans le perpétuel « mouvement en avant » de nos possibilités créatrices, quelles qu'elles soient.
L'élection si démocratique, il y a quelques mois, d'un Barack Obama à la tête des États-Unis d'Amérique en est l'illustration la plus parfaite.
Il ne me serait jamais venu à l'idée de commenter un événement en rapport avec un chanteur, quelle que soit son envergure. Qu'il s'agisse d'une vedette du petit écran ou, encore moins, d'un crooner de show business, champion de musique pop et de chahuts programmés.Sauf que, cette fois, l'impact du personnage semble avoir dépassé tous les...
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