Il se confirme dans ce cadre, de diverses sources toutes concordantes, que pour l'heure, le principal obstacle à l'aboutissement des tractations entreprises par le Premier ministre désigné réside dans les exigences avancées par le chef du Courant patriotique libre, Michel Aoun, qui insiste, plus particulièrement, à obtenir en toute priorité l'entrée au gouvernement de son gendre, le ministre sortant des Télécoms, Gebran Bassil. Or aussi bien M. Saad Hariri (qui a conféré hier avec les ambassadeurs des États-Unis et de France) que le président Michel Sleiman seraient fermement opposés à la désignation à des postes ministériels de personnalités ayant été battues aux dernières élections législatives. S'ils cèdent sur ce point, MM. Sleiman et Hariri risqueraient de provoquer une réaction en chaîne du fait que certains pôles du 14 Mars ne manqueraient pas alors de réclamer la nomination de personnalités de premier plan telles que Farès Souhaid, Carlos Eddé ou aussi Bassem Sabeh.
Certes, dans une déclaration faite en début de semaine, M. Hariri avait souligné que chaque faction devra nommer ses représentants au sein de l'Exécutif. Cette petite phrase a été interprétée par des sources aounistes comme étant un assouplissement de la position du Premier ministre désigné au sujet du refus de l'entrée au gouvernement de candidats malheureux aux élections législatives du 7 juin. Des sources loyalistes dignes de foi ont toutefois réfuté une telle interprétation, précisant que trois critères ont été définis pour ce qui a trait à la composition du cabinet : le rôle d'arbitre et de garant conféré au président de la République ; le rejet du tiers de blocage ; et le refus de la désignation au gouvernement de candidats ayant été battus aux dernières législatives. C'est sur base de ces trois critères que les factions politiques seraient appelées à désigner leurs représentants au gouvernement, indiquent les sources susmentionnées.
Il apparaît donc que le retard mis dans la finalisation de la composition du cabinet est dû principalement à l'attitude du chef du CPL et son insistance à s'en tenir à Gebran Bassil. Preuve en est que toutes les déclarations faites par l'ensemble des responsables politiques, toutes tendances confondues, aussi bien dans les rangs du 14 Mars que dans ceux de l'opposition (à l'exception du CPL), convergent sur le même point : l'opération de formation du gouvernement est pratiquement achevée, et les obstacles qui persistent sont mineurs et secondaires. Le chef du Législatif et leader du mouvement Amal, Nabih Berry, l'a réitéré hier même en affirmant, à l'issue d'une entrevue avec une délégation palestinienne : « Le cabinet est quasiment formé, il ne reste plus que les noms et la répartition des portefeuilles. »
Même son de cloche chez les Marada. Le député Estephan Douaïhy, élu sur la liste de Sleimane Frangié, a ainsi déclaré hier : « Le problème du gouvernement est clos et a été réglé. Tout ce qui se dit au sujet des obstacles se rapporte à de petits détails qui seront surmontés au cours des deux prochains jours. » Abondant dans le même sens, le vice-président du Conseil supérieur chiite, cheikh Abdel Amir Kabalan, a lui aussi affirmé hier que « le cabinet est sur le point d'être formé ». Il a toutefois pris soin d'exhorter les parties concernées à « ne pas dresser des obstacles sur la voie de la formation du gouvernement et à faciliter la tâche » du Premier ministre désigné. Même l'ancien ministre Wi'am Wahhab - qui a prédit, en outre, pour les prochaines semaines de « grandes surprises » qui provoqueront des changements sur la scène libanaise - a affirmé hier que « le problème du gouvernement a été dépassé », précisant que « l'important est la phase post-gouvernementale ».
Bassil chez Sleiman
et Hariri
Les milieux du CPL ne l'entendent pas toutefois de cette oreille et continuent de faire preuve de scepticisme quant à un prochain dénouement. Les exigences du général Aoun sur ce plan ont été au centre de deux entretiens que M. Gebran Bassil a eus hier avec le président Sleiman et M. Hariri, à la demande du général Aoun. À l'issue de son entretien avec le Premier ministre désigné, qui a duré une heure et quart, le ministre sortant des Télécoms s'est contenté de qualifier le climat de « très positif », affirmant que « tout est discutable, de notre part et de la part du Premier ministre désigné ». Interrogé sur le point de savoir si le problème de son entrée au gouvernement constitue l'obstacle qui entrave la mise sur pied du cabinet, M. Bassil a déclaré : « Cette question n'a pas été abordée et en discuter revient à poser un problème artificiel. Le problème ne se situe pas à un niveau particulier. Les discussions se poursuivent et les réunions se poursuivront. » En réponse à une question, M. Bassil a, d'autre part, souligné qu'une réunion entre Saad Hariri et Michel Aoun pourrait avoir lieu « lorsque des progrès seront enregistrés ».
Il convient de relever dans ce cadre que le général Aoun a donné hier un indice de la solution qu'il pourrait agréer pour faciliter la mise sur pied du cabinet. Le chef du CPL a ainsi souligné qu'il pourrait se départir de sa revendication portant sur la proportionnalité dans la représentation au sein du gouvernement (en fonction du poids de chaque bloc parlementaire) en cas de répartition « opportune » des portefeuilles. De là à déduire que cette petite phrase signifie que le général Aoun mettrait de l'eau dans son vin si Gebran Bassil se voit confier un poste ministériel (en l'occurrence les Télécoms), il n'y a qu'un pas que nombre d'observateurs n'ont pas hésité à franchir.
Parallèlement à « l'obstacle Aoun-Bassil », des questions de détails restent aussi à régler concernant l'octroi de certains ministères-clés ou de services. M. Ghazi Aridi (bloc Joumblatt) a ainsi confirmé hier que le PSP désire conserver le portefeuille des Travaux publics, convoité également, semble-t-il, par les Forces libanaises. Le ministre FL de l'Environnement, Tony Karam, a souligné sur ce plan que les FL désirent effectivement un ministère de services traitant des préoccupations quotidiennes de la population, mais il a précisé que son parti n'est pas attaché à un portefeuille particulier. M. Karam a par ailleurs commenté avec dérision les informations rapportées par des médias proches du 8 Mars qui ont affirmé hier que les FL menacent de boycotter le gouvernement si leurs requêtes ne sont pas satisfaites. Des sources FL ont également apporté un démenti catégorique aux indications évoquées par ces mêmes médias qui ont prétendu que le dernier entretien de M. Hariri avec le leader des FL, Samir Geagea, avait été « orageux ». « Bien au contraire, cette entrevue a été très constructive », ont relevé les sources FL.
Reste à signaler que les tractations en cours pour la détermination de la composition de l'équipe ministérielle ont été examinées au cours d'une réunion extraordinaire tenue hier à Bickfaya par le bureau politique Kataëb qui a souligné, dans un communiqué, que « le gouvernement devrait refléter les résultats des élections de manière à couper court aux tentatives visant à faire approuver une formule basée sur le principe de blocage dont a pâti le cabinet sortant ».
Il apparaît, en tout état de cause, évident - du moins à en juger par les apparences - que le dénouement heureux n'est pas pour bientôt. « L'affaire risque de traîner longtemps », soulignait hier soir un observateur averti. À moins que le miracle libanais ne se mette une fois de plus de la partie.
M.T.